La police philippine a engagé des poursuites pour sédition et d'autres charges contre la vice-présidente Leni Robredo et trente-cinq autres personnes. Ces poursuites se fondent sur la publication d'une vidéo sur Internet qui accuse la famille du président Rodrigo Duterte d'être lié à des opérations illégales liées à la drogue. Nombreux sont ceux qui considèrent ce geste comme une nouvelle tentative du gouvernement de museler les voix dissonantes.
Les charges retenues par le Groupe d'enquête criminelle et de recherche de la Police nationale philippine (le PNP-CIDG en anglais) sont la sédition, la diffamation et la diffamation en ligne, la fraude, l'hébergement de criminels et l'obstruction à la justice. Les personnages importants cités avec Leni Robredo incluent deux sénateurs de l'opposition en fonction, deux anciens sénateurs et quatre évêques catholiques de haut-rang. Leni Robredo elle-même est une membre de l'opposition.
Tous les accusés ont constamment exprimé leur inquiétude au sujet des abus des droits humains commis par les forces de l’État dans le cadre de la notoire “guerre contre la drogue” [fr] menée par le président Duterte.
Des milliers de personnes ont été tuées par la police au cours de descentes de police depuis que R. Duterte est entré en fonction en 2016. Les organisations de défense des droits humains affirment que le nombre de morts a déjà dépassé vingt mille, mais la police assure que le nombre de victimes s'établit entre quatre et six mille. Une résolution adoptée par le Conseil des Droits de l'homme de l'ONU le 11 juillet 2019 demande une enquête officielle des Nations Unies pour déterminer le nombre de morts liées à la drogue et aux autres affaires de meurtres extrajudiciaires aux Philippines.
“Vidéo séditieuse”
L'affaire contre L. Robredo et les autres inculpés trouve son origine dans la diffusion en ligne, en avril 2019, d'une série vidéo en six parties dans laquelle la famille de R. Duterte est accusée d'avoir des liens avec à des organisations criminelles liées à la drogue.
Le lanceur d'alerte dans cette vidéo, “Bikoy”, s'est fait connaître un peu plus tard et a révélé son identité, Peter Joemel Advincula. La police l'accuse de manquer de crédibilité.
Après avoir disparu pendant plusieurs jours, Bikoy est apparu à une conférence de presse avec la police et a affirmé que la série vidéo faisait partie d'un plan visant à déstabiliser le gouvernement Duterte. Il a déclaré que Leni Robredo et d'autres leaders de l'opposition étaient impliqués dans la production de cette vidéo et avaient conspiré pour discréditer Rodrigo Duterte et lui faire quitter le pouvoir.
Leni Robredo et les autres accusés n'apparaissent pas dans les vidéos et ne les ont pas soutenu publiquement.
“Harcèlement pur et simple”
Le cabinet de Leni Robredo a déclaré que l'enquête menée par la police “est totalement sans fondement et n'est rien de plus que du harcèlement pur et simple”.
Pour la sénatrice Leila de Lima, une des accusés, cette enquête de la police est “du n'importe quoi”. D'autres leaders de l'opposition se posent des questions sur le fait que cette enquête a été conduite quelques jours avant le quatrième discours de R. Duterte sur l'état de la Nation pour détourner l'attention du peuple d'autres questions pressantes. Parmi celles-ci, on peut citer les meurtres liés à la drogue qui se poursuivent, les abus [fr] des droits humains dans les campagnes, la hausse du chômage et l'inaction du président sur les constructions militaires menées par la Chine dans la mer occidentale des Philippines (la mer de Chine méridionale).
L'évêque Pablo Virgilio David, qui fait partie des accusés, a déclaré à la presse que l'action de la police a pour but d'intimider les critiques du gouvernement :
The intention is obvious: pure harassment and an effort on the part of the PNP [police] to do, not their sworn duty, but what they think will be pleasing to the higher authorities.
L'intention est évidente : c'est du harcèlement pur et c'est un effort mené par une partie de la PNP (la police) pour faire, non pas leur devoir sacré, mais ce qu'elle pense être un moyen de plaire aux plus hautes autorités.
Dans une déclaration aux mots très choisis, l'archevêque de Davao, Romulo Valles, qui est également à la tête de l'influente Conférence des évêques catholiques des Philippines, se porte garant de l'intégrité des évêques accusés de faire partie du complot de sédition :
They may be perceived as very vocal and very critical in their pronouncements. But that they consciously worked promoting seditious activities and other related crimes, these honestly I cannot believe. These are individuals whose love for country and dedication for the welfare of our people I cannot doubt.
Ils sont peut être perçus comme très virulents et très critiques dans leurs déclarations. Mais qu'ils aient consciemment œuvré à promouvoir des activités séditieuses et d'autres crimes, honnêtement, je ne peux pas le croire. Je ne peux pas mettre en doute l'amour de ces personnes pour leur pays ni leur dévouement pour le bien-être de notre peuple.
Le Groupe d'assistance légale libre a communiqué une déclaration défendant les avocats des droits humains qui étaient cités dans l'acte d'accusation :
The charges are not only baseless, they are meant to silence and persecute human rights lawyers, opposition leaders, and the church, and to send a message to anyone who dares to criticize this administration.
The charges filed by the CIDG are designed to intimidate, harass and interfere with our lawyers, who are just doing their jobs as human rights defenders.
Les charges retenues ne sont pas seulement infondées, mais elles ont pour but de faire taire et de persécuter des avocats des droits humains, des leaders de l'opposition et l’Église, et d'envoyer un message à quiconque ose critiquer cette administration.
Les charges retenues par le Groupe d'enquête criminelle et de recherche ont pour but d'intimider, de harceler et d'affecter le travail des avocats, qui ne font que leur travail en tant que défenseurs des droits humains.
Depuis trois ans, les critiques qui ont fait face à des poursuites criminelles sont des journalistes, des opposants politiques, des activistes et des missionnaires religieux.
Le ministre de la Justice Menardo Guevarra a affirmé que son cabinet respecterait strictement la procédure et conduirait une enquête préliminaire basée sur la plainte présentée par la police.
I have said this before and I will say it again. The DOJ [Department of Justice] is not a weapon for oppression or persecution. We shall go only by the evidence presented before us and we don't care who gets indicted and who goes scot-free.
Je l'ai déjà dit et je le redirai. Le ministère de la Justice n'est pas une arme pour oppresser ou persécuter. Nous ne nous fierons qu'aux preuves rassemblées devant nous et il nous est égal que telle personne soit inculpée et telle autre, non.
Le porte-parole de Rodrigo Duterte a déclaré que le cabinet du président n'a joué aucun rôle dans l'enquête menée par la police.