
Capture d'écran d'une vidéo YouTube de Naya Daur. Le sous-titre indique que “la liberté d'expression est la beauté de la démocratie”.
Les journalistes pakistanais font en ce moment face à une intensification de la censure et de la répression exercées par l’État. Début juillet 2019, une interview de l'ancien président pakistanais Asif Ali Zardari [fr] a été retirée de l'antenne en pleine diffusion, et de nombreux journalistes ont tiré la sonnette d’alarme contre ce qui est perçu comme une atteinte à la liberté de la presse.
Plus récemment, des journalistes critiques à l'égard du gouvernement et de l'armée ont été pris pour cible par le parti au pouvoir via des tweets mettant en garde les médias contre “l’abus de liberté d'expression”.
Les élections générales de 2018, qui ont porté au pouvoir Imran Khan [fr] et le parti Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI) [fr], ont également vu la mise en place de politiques que certains observateurs indépendants, tels que Reporters Sans Frontières, qualifient de tactiques de “censure“. D'autres groupes ont également noté la détérioration générale de l'environnement médiatique du pays, qui était autrefois dynamique.
Le 16 juillet 2019, le compte Twitter officiel du parti au pouvoir, @PTIofficial, a publié plus de deux douzaines de tweets avertissant la presse qu'une couverture médiatique trop critique pouvait être perçue comme antiétatique et pouvait potentiellement être considérée comme une “trahison” :
Media houses & journalists must take care that in their quest for criticism on State, they intentionally or unintentionally do not end up propagating enemy’s stance. Freedom of expression is immense power. And with great power there is great responsibility!#JournalismNotAgenda pic.twitter.com/YdxD9Al5Pb
— PTI (@PTIofficial) July 16, 2019
[Sur le poster] Le journalisme : un business ou une responsabilité ? La liberté d'expression est la beauté de la démocratie. Exprimer la position de l'ennemi n'est pas de la liberté d'expression mais une trahison envers son peuple.
Les organes de presse et les journalistes doivent veiller à ce que, dans leur empressement à critiquer l’État, ils ne finissent pas, délibérément ou non, par propager la propagande ennemie. La liberté d'expression est un pouvoir immense. Et un grand pouvoir implique de grandes responsabilités!
Freedom of expression is the beauty of democracy but if used for ill purposes, it loses its charm #JournalismNotAgenda pic.twitter.com/U6BjQmR0V7
— PTI (@PTIofficial) July 16, 2019
La liberté d'expression est la beauté de la démocratie, mais si elle est utilisée à des fins malveillantes, elle perd de son charme.
The ruling party’s Twitter account @PTIofficial put out at least 19 tweets this week warning journalists against what it called abuse of freedom of expression. This comes amid persistent complaints by Pakistani journalists of censorship and threats https://t.co/6lJCmdqHB0
— Saeed Shah (@SaeedShah) July 18, 2019
Le compte Twitter du parti au pouvoir, @PTIofficial, a publié cette semaine au moins 19 tweets mettant en garde les journalistes contre ce qui est qualifié d’abus de liberté d’expression. Et ce alors même que les journalistes pakistanais se plaignent sans relâche de subir censure et menaces.
Ramsha Jahangir a écrit dans Dawn :
At least four hashtags targeting journalism emerged on Twitter on Tuesday — two of the trends became top trends in Pakistan.
Analysis of one such trend #JournalismNotAgenda reveals that besides the PTI’s official verified account, other accounts participating in the campaign were also several factions of the PTI’s social media wing. The top tweets in the hashtag (over 20 tweets per account) were sent out by PTI’s Lahore wing and PTI West Punjab chapter.
Mardi, au moins quatre mots-clics prenant pour cible le journalisme ont émergé sur Twitter. Deux d’entre eux sont devenus des tendances majeures au Pakistan.
L’analyse de l’une de ces tendances, #JournalismNotAgenda, révèle qu’outre le compte officiel vérifié du PTI, d’autres comptes participant à la campagne appartiennent également à plusieurs factions de la branche en charge des réseaux sociaux du PTI. Les tweets les plus relayés du mot-clic (plus de 20 tweets par compte) ont été envoyés par l’aile du PTI de Lahore et par le chapitre du PTI du Pendjab occidental.
Selon son rapport, le responsable Médias numériques du Premier ministre, Dr. Arslan Khalid, a déclaré que les tweets officiels du PTI avaient été interprétés de manière exagérée. Selon lui, l’idée derrière la série de tweets n’était pas de ridiculiser mais d’‘éduquer’ les médias.
Éduquer ou saper les médias ?
La campagne Twitter lancée par le compte du PTI était axée sur le soi-disant concept de “journalisme responsable” et avait été largement partagée, accompagnée du mot-clic #JournalismNotAgenda. Une série de tweets en anglais et en ourdou demandait aux journalistes “d’être responsables et de construire la nation”.
Media is one of the most important pillars of a state. Irresponsible action can lead to destructive conclusions. #JournalismNotAgenda pic.twitter.com/kyRpCxLw2N
— PTI (@PTIofficial) July 16, 2019
Les médias sont l’un des piliers les plus importants de l’État. Une action irresponsable peut conduire à des résultats destructifs.
Le compte officiel du PTI a même tweeté sur le fait que la liberté d’expression ne devait pas “nuire” aux intérêts nationaux ou à l’État. Certains des tweets ont même accusé des journalistes de relayer des agendas partisans et d'en tirer profit par la même occasion :
The part time journalists and full time propagandist and social media activists are getting desperate to pay off their master’s favours showered to them in past but it must not come at the cost of the future of this country. #JournalismNotAgenda pic.twitter.com/s78xSk3D84
— PTI (@PTIofficial) July 16, 2019
Les journalistes à mi-temps et activistes propagandistes des réseaux sociaux à temps plein veulent à tout prix rembourser les faveurs dont leurs maîtres les ont couverts par le passé, mais cela ne doit pas se faire au prix de l’avenir de ce pays.
Le compte officiel du PTI a également critiqué les journalistes qui ont parlé de la vie privée du Premier ministre Imran Khan :
Media is often considered a pillar of state. It is sad to see certain media factions & seasoned journalists who also scrutinize Prime Minister Khan’s personal life in the name of freedom of media later accuse the State for curtailing media freedom. #JournalismNotAgenda pic.twitter.com/fHCzqaQJae
— PTI (@PTIofficial) July 16, 2019
[Sur le poster] Le journalisme : un business ou une responsabilité ? Bien qu'elles profitent de la liberté d'expression, les fausses protestations des médias contre l'État feront du tort à l'image du Pakistan à l'international.
Les médias sont souvent considérés comme un pilier de l'État. Il est triste de voir certaines factions médiatiques et certains journalistes chevronnés scruter la vie privée du Premier ministre Khan au nom de la liberté de la presse, et accuser ensuite l’État de limiter la liberté des médias.
La presse papier et électronique du Pakistan a récemment subi des pertes économiques qui ont conduit à la fermeture d’un grand nombre de journaux et au licenciement de journalistes. Un responsable du PTI attribue ces pertes économiques au manque de “qualité” du journalisme :
In the age of digital media, print media had to bear the brunt. Media houses should have focused on quality reporting & strong business models. Blaming the death of print media on government is downright hilarious & misguided!
— PTI (@PTIofficial) July 16, 2019
À l'ère des médias numériques, il était inévitable que la presse écrite en fasse les frais. Les organes de presse auraient dû mettre l’accent sur des reportages de qualité et des modèles commerciaux solides. Accuser le gouvernement de la mort de la presse écrite est franchement hilarant et erroné !
Certains ministres ont suivi le mouvement et ont commencé à partager activement le mot-clic sur les réseaux sociaux, critiquant les journalistes pour leur irresponsabilité et exigeant qu'ils ne portent pas atteinte aux intérêts nationaux.
Le responsable chargé de l’Information du PTI, Omer Sarfaraz Cheema, a tweeté :
PTI support and have struggled for independence of media with a responsible role
The media plays a powerful role in shaping public perception
it should be fair, truthful and objective
Pak media is our partner in change and we respect its contributions #JournalismNotAgenda pic.twitter.com/XYXESszbeH
— Omar Sarfraz Cheema (@OmarCheemaPTI) July 16, 2019
Le PTI soutient et a lutté pour l'indépendance des médias ayant un rôle responsable
Les médias jouent un rôle déterminant dans la formation de l’opinion publique
Ils doivent être justes, honnêtes et objectifs
Les médias pakistanais sont notre partenaire pour le changement et nous respectons leurs contributions.
Sobia Kamal Khan, députée et secrétaire du Parlement fédéral pour le Cachemire et le Gilgit-Balistan, a également demandé des journalistes qu’ils soient “fidèles au Pakistan”.
#JournalismNotAgenda Those claiming freedom of press, have to remain loyal to Pak. Journalists pursuing Anti Social agenda of #SharifMafia & RAW don't deserve privilege of free speech at the cost of national security & public safety. Spreading dospondency & hatred is unwarranted.
— Sobia Kamal Khan (@SobiaKamalKhan) July 16, 2019
#JournalismNotAgenda Ceux qui revendiquent la liberté de la presse doivent rester fidèles au Pakistan. Les journalistes qui promeuvent le programme anti-social de la mafia Sharif & RAW ne méritent pas le privilège de la liberté d'expression au détriment de la sécurité nationale et de l’ordre public. Il n’y a pas de justification pour la propagation de la haine et du découragement.
Outre les Tweets officiels du PTI, une autre campagne sur Twitter a été lancée avec le mot-clic #LayOffLifafaJournalists, demandant aux médias de licencier les journalistes qui seraient soi-disant payés pour promouvoir l’agenda d’autres partis, et y compris ce qui est qualifié d’”agenda étranger”.
We are @TeamPakZindabad Launching a trend against the Lifafa Journalists, Join us at 1 PM and expose these journalists #LayOffLifafaJournalists
— ♏ Ghazi Abbas ❕?? (@Gh_abbas1988) July 16, 2019
Nous sommes @TeamPakZindabad, nous lançons un mot-clic contre les journalistes corrompus, rejoignez-nous à 13 heures et exposez ces journalistes.
Media houses paying millions to few anchors but can’t afford to pay few thousands to small workers?
Stop exploiting poor for your own benefit.
Remember you can blackmail an individual but not the State.
Trending #LayOffLifafaJournalists at 1PM. Please join all to expose them. https://t.co/z78a1CRrjj— Imran A Raja®️ (@ImranARaja1) July 16, 2019
Les organes de presse payent des millions à quelques présentateurs, mais n’ont pas les moyens de payer quelques milliers aux petits travailleurs ?
Arrêtez d'exploiter les pauvres pour votre propre bénéfice.
N'oubliez pas que vous pouvez faire chanter un individu, mais pas l'État.
Lançons la tendance #LayOffLifafaJournalists à 13h. Rejoignez-nous pour les exposer.
En réponse, Reporters sans frontières (RSF) a condamné les tweets du compte officiel du PTI :
In #Pakistan, pro-gvt trolls are launching a new campaign against independent journalists! Dear @PTIofficial, don't you know that identifying the leader, the party and the State is typical of totalitarian regimes?#JournalismIsNotACrime pic.twitter.com/glfng0z35k
— RSF (@RSF_inter) July 17, 2019
Au Pakistan, les trolls pro-gouvernementaux lancent une nouvelle campagne contre les journalistes indépendants ! Cher @PTIofficial, ne savez-vous pas que faire l’amalgame entre le dirigeant, le parti au pouvoir et l'État est typique des régimes totalitaires ?
La journaliste Benazir Shah a déclaré dans The Hindu que ces messages sur Twitter n'étaient pas simplement “irresponsables”, mais étaient absolument “dangereux” pour les journalistes pakistanais, en faisant d’eux et de leurs organisations des cibles.