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Le régulateur des télécoms au Mozambique menace de bloquer les cartes SIM non identifiées

Catégories: Mozambique, Censure, Droit, Liberté d'expression, Médias citoyens
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mCel, un des trois opérateurs habilité à enregistrer des cartes au Mozambique. Photo: Dércio Tsandzana, 16 juillet 2019, publiée avec autorisation.

Les faits remontent à 2010, quand de violentes manifestations se sont produites à Maputo [fr] [2] contre le coût élevé de la vie. Cette année là, les manifestations ont causé au moins 13 morts [3] et semé la désolation dans la capitale mozambicaine.

Le trait marquant de ces manifestations tient au fait qu'elles ont été organisées par des moyens peu traditionnels pour l'époque, entre autres le téléphone mobile et les réseaux sociaux.

Ces événements avaient conduit le gouvernement du Mozambique, dirigé à l'époque par le président Armando Guebuza, à approuver un décret-loi obligeant les utilisateurs de téléphones mobiles à déclarer leur cartes SIM dans un délai d'un mois, une loi complétée par un décret plus exhaustif en 2015.

Beaucoup [4] ont vu dans cette démarche une démonstration évidente d'intimidation à cause des manifestations de cette année là, comme l'indique le blog “Réflexions sur le Mozambique”:

A pergunta que temos que fazer é porquê só depois de uma manifestação convocada por sms, o governo corre para bloquear os serviços da telefonia móvel? Porquê não fez isso quando o deputado José Mascarenhas foi ameaçado por sms e posteriormente assassinado?

La question que nous devons nous poser est la suivante : pourquoi juste après une manifestation organisée par sms, le gouvernement s'empresse de bloquer les services de téléphonie mobile ? Pourquoi ne pas l'avoir fait quand le député José Mascarenhas a été menacé par sms avant d'être assassiné ?

Le délai a fini par être prolongé d'un mois, jusqu’ au 7 janvier 2011, mais il faut savoir qu'à ce jour, huit ans après, aucun des opérateurs de téléphonie du Mozambique (Vodacom, Tmcel et Movitel) n'a annulé de cartes SIM non enregistrées à ses utilisateurs.

Le 28 juin 2019, l'Autorité des communications du Mozambique (ARECOM) a lancé un ultimatum de dix jours pour que les opérateurs procèdent à l'enregistrement de tous les usagers du service. Selon le journal  “O País” [5]:

Em três cartas enviadas pela Autoridade das Comunicações de Moçambique à Vodacom, Tmcel e Movitel, o regulador acusa as operadoras de telefonia móvel de terem violado o regulamento de registos e activação do módulos de identificação do subscritor de cartões SIM, aprovado pelo decreto nº 18/2015, de 28 de Agosto.

Nos ofícios, o regulador emitiu cinco avisos às operadoras, mediante as queixas de clientes e das Forças de Defesa e Segurança de que existem no mercado cartões SIM não registados e/ou com registo irregular.

1-Bloquear todos números não registados e com registos irregulares no prazo de 10 dias a contar data da recepção desta carta, pelo facto de incorrer na violação das alíneas a) e b) do artigo 6 do regulamento acima citado.

2-Garantir o cumprimento do nº 1 do artigo 11 que estipula que “os operadores e prestadores de serviços públicos de telecomunicações, bem como agentes ou distribuidores de venda estão autorizados a comercializar cartões SIM”.

3-Recolher todos cartões SIM que se encontrem fora dos estabelecimentos oficiais das operadoras, agentes e distribuidores, pelo facto de não se encontrarem nas condições previstas no nº 2 do regulamento.

4-Bloquear todos números que violam o preconizado no nº 3 do artigo 10, do diploma acima citado.

5-Informar os subscritores para regularizarem suas situações.

Dans des courriers adressés par l'Autorité des communications du Mozambique aux trois opérateurs de téléphonie mobile Vodacom, Tmcel et Movitel, le régulateur les accuse d'avoir violé la réglementation d'enregistrement et d'activation des modules d'identification des abonnés de cartes SIM, approuvée par le décret 18/2015, du 28 août.

Dans ces courriers, le régulateur leur adresse cinq recommandations à la suite de plaintes émises par des clients et les Forces de défense et de sécurité concernant l'existence sur le marché de cartes SIM non enregistrées et/ou enregistrées de manière irrégulière.

1. Bloquer tous les numéros non enregistrés et enregistrés de manière irrégulière dans les 10 jours suivant la date de réception de ce courrier, en violation des paragraphes a) et b) de l'article 6 du règlement susmentionné.

2. Veiller au respect de l'article 11, paragraphe 1, qui stipule que “les opérateurs et fournisseurs de services publics de télécommunications ainsi que les agents ou distributeurs sont autorisés à commercialiser des cartes SIM”.

3. Confisquer toutes les cartes SIM qui se trouvent en dehors des établissements officiels des opérateurs, agents et distributeurs puisqu'elles ne répondent pas aux conditions prévues au paragraphe 2 du règlement.

4. Bloquer tous les numéros qui enfreignent l'article 10, paragraphe 3 du règlement susmentionné.

5. Informer les abonnés qu'ils doivent régulariser leur situation.

Au moins deux des trois opérateurs ont cédé à l'ultimatum d'ARECOM et bloqué quelques numéros non enregistrés, comme l'a indiqué “O País”. [5]

Élections

Le Mozambique se prépare à des élections générales cette année, prévues pour le 15 octobre.

En 2014, l'utilisation du portable a permis de surveiller le déroulement des élections grâce à des plateformes numériques et mobiles comme Olho do Cidadão et Txeka-lá [6].

Lors des élections municipales de 2018, la plateforme “Voter Mozambique” [7] a utilisé des observateurs électoraux pour superviser les élections dans diverses parties du pays.

Cette année, plusieurs organisations de la société civile s'efforcent également de surveiller le dépouillement grâce à des plateformes numériques, comme le Centre pour la démocratie et le développement [8], Olho do Cidadão (l'oeil du citoyen) et le Centre pour l'intégrité Publique [9].

Olho do Cidadão et Txeka-lá ont utilisé la plateforme Ushahidi [10] (qui signifie “témoignage” en swahili), qui permet aux citoyens d'envoyer des alertes sur le déroulement des élections, vocalement et par messages texto, à un bureau central appelé  “Sala de Situación”. Les observateurs citoyens sont invités à envoyer des photos et des vidéos qui pourraient illustrer les problèmes le jour du scrutin et contribuer à la transparence du processus de vote.

Avec le blocage des cartes non enregistrées et les coupures de communications qui en résultent, on peut s'attendre à ce que certaines personnes perdent leur accès aux plate-formes d'observation électorale.

Même si nous savons que ces dernières années, il y a eu une augmentation de l'usage d'Internet au Mozambique, [11] elle reste faible (6,6 %) selon l’ Institut national des  statistiques  (INE). La pénétration moyenne d'internet en Afrique australe est de 51 %, la plus élevée du continent selon le rapport Hootsuite 2018 [12].

En fait, la télévision et la radio sont aujourd'hui les moyens de communication les plus présents au Mozambique. La radio touche 75 % de la population mozambicaine, selon l'Institut de communication du Mozambique [13].

En conséquence, on sait que la demande d'ARECOM survient alors que les doutes persistent quant à l'identification des auteurs des attentats dans la province de Cabo Delgado, au nord du Mozambique, après l'apparition de faux comptes Facebook, créés avec des téléphones mobiles non identifiés [14], qui se réjouissent de ces attaques, d'après la Police de la République du Mozambique.

Le 15 juillet, le journal électronique “A Carta” a révélé [15] que les trois opérateurs ont été entendus par le Service national des enquêtes criminelles de Nampula, au sujet d'une enquête sur des irrégularités dans le fichier des cartes.

De plus, l'utilisation de ces mêmes cartes pour commettre des crimes tels que des vols qualifiés et des escroqueries  par internet contre des usagers au Mozambique et à l'étranger est examinée avec attention. A cet égard, la Procureure générale de la République du Mozambique [16] a également exigé que les enregistrements soient effectués au plus vite. En 2015, c'est le ministre des Télécommunications du Mozambique [17] lui-même qui l'avait exigé des opérateurs.