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Le 3 août 2019, le Département des services d’État (DSS), une unité des services de sécurité du Nigeria, a arrêté le militant des droits humains Omoyele Sowore chez lui à Ikeja, à Lagos. Avant son arrestation, M. Sowore avait appelé à “#RevolutionNow”, une manifestation nationale contre la mauvaise gouvernance. Des agents de la sécurité ont pris d'assaut le domicile de M. Sowore vers 1h30 du matin et l'ont arrêté “après une petite altercation”, selon un témoin oculaire qui s'est entretenu avec le journal en ligne d'Abuja Premium Times.
Omoyele Sowore, éditeur du journal d'investigation en ligne Sahara Reporters, a été l'un des candidats à la présidence aux élections nigérianes du 23 février 2019. Il a obtenu environ 33 000 voix, se plaçant à une dizaine de places derrière le vainqueur et président sortant, Muhammadu Buhari, qui en a recueilli 15 millions.
Il a été arrêté en vertu de la section 27 (1) de la Loi de 2011 sur le terrorisme, qui confère aux agents de la DSS le droit de détenir quiconque se prépare à “commettre un acte de violence”. S'il était inculpé et condamné, il risquerait une peine d'emprisonnement à vie, une amende ou les deux.
“Nous avons le droit d'être en colère”
Dans une interview du 18 juillet 2019 avec Reuben Abati et Tundun Abiola de la chaîne Arise News, M. Sowore avait déclaré que “le Nigeria a besoin d'une révolution, pas d'une guerre”. Il a expliqué qu'il avait lancé cette campagne car “le gouvernement a échoué. Le Nigeria a échoué en tant qu’État et jusqu'à ce que nous franchissions ce grand pas nécessaire – et pas avant – le Nigeria ne réalisera pas tout son potentiel “. Par conséquent, il “mobilise les gens autour du Nigeria pour qu'ils viennent le faire une fois”.
En conséquence, le 27 juillet, M. Sowore et le mouvement de la Coalition pour la révolution (CORE), qu'il a lancé, ont déclaré leur intention de tenir des manifestations à l'échelle nationale le 5 août 2019 :
There are currently more than a dozen armed conflicts going on around the country with deadly consequences and massive displacements of people. These confirm the reality that Nigerian is tending more towards a FAILED STATE where barbarism reigns supreme… the Coalition for Revolution, would be leading a nationally coordinated protest movement. We have the right to be in a rage and to protest.
Plus d’une douzaine de conflits armés se déroulent actuellement dans le pays, entraînant des conséquences mortelles et des déplacements massifs de population. Ceci confirme le fait que le Nigérian tend de plus en plus à devenir un ÉTAT DEFAILLANT où la barbarie règne en maître… la Coalition pour la révolution dirigera une série de manifestations coordonnées au niveau national. Nous avons le droit d'être en colère et de manifester.
Des manifestations #RevolutionNow ont bien eu lieu le 5 août malgré l'arrestation et la détention de M. Sowore. Elles se sont déroulées dans quatre États, Lagos, Osun, Ondo et Cross River, et dans la capitale Abuja.
Live at National stadium,Lagos…Venue of planned #revolutionnow protest pic.twitter.com/DQC3jWwYC3
— tunde pratt (@tundepratt) August 5, 2019
En direct du stade national, Lagos… Lieu de la manifestation prévue #revolutionnow
Toutefois, des soldats et des policiers ont dispersé les manifestants par la force à Lagos avec des coups de feu et du gaz lacrymogène. Un journaliste couvrant la manifestation a également été malmené par la police.
Buhari can't confront Fulani herdsmen but he can put out soldiers with strange assault rifles on Lagos streets to confront peaceful protesters. #RevolutionNow pic.twitter.com/0mWJEvVAzG
— Revolutionary Oracle (@AbdulMahmud01) August 5, 2019
Buhari ne peut pas affronter les éleveurs peuls, mais il peut envoyer des soldats avec d'étranges fusils d'assaut dans les rues de Lagos pour affronter des manifestants pacifiques.
Une incitation à la révolution est-elle une “trahison” ?
Peter Afunanya, porte-parole du DSS, a déclaré que M. Sowore avait été arrêté parce que son appel à la révolution pouvait entraîner “une prise de contrôle de gouvernement par la force” :
Someone is calling for revolution in Nigeria, we must understand the meaning of revolution. Primarily, it means a revolt, it means insurrection, it means insurgency, it means forceful takeover of government and we are operating democratic system in Nigeria.
Quelqu'un appelle à la révolution au Nigeria, nous devons comprendre le sens de la révolution. Cela signifie principalement une révolte, une insurrection, une prise de contrôle du gouvernement par la force alors que nous avons un système démocratique au Nigeria.
De même, le porte-parole présidentiel Shehu Garba a déclaré dans un communiqué qu'il existait une “différence entre un appel pacifique à manifester et une incitation à la révolution”. Le gouvernement a également déclaré que “l'urne est le seul moyen constitutionnel de changer de gouvernement et de président au Nigeria. Le temps des coups d'état et des révolutions est révolu.”
Les Nigérians, cependant, n'étaient pas d'accord. En ligne, un certain nombre de militants ont affirmé qu’un appel à la “révolution” n’était pas une trahison et ont souligné que les dirigeants du parti au pouvoir avaient eux-mêmes déjà appelé à la révolution.
En 2011, le président Muhammadu Buhari a appelé à une révolution lorsqu'il a encouragé les Nigérians à apprendre des manifestants du Printemps arabe égyptien. À l’époque, Buhari avait même organisé une manifestation contre le président sortant Goodluck Jonathan en 2015.
This was buhari and co staging protest against the Jonathan Administration, but he the tyrant is scared of a peaceful protest… They arrested Sowore, your clueless administration is only giving him more power and popularity… .#FreeSowore pic.twitter.com/fiTwJA81Wv
— Adewale Anthony Ademuyiwa (@adewale_dara) August 3, 2019
Il s’agissait d'une manifestation mise en scène contre l’administration Jonathan, maintenant lui, le tyran, a peur d’une protestation pacifique … Ils ont arrêté Sowore, votre administration désemparée ne fait que lui donner plus de pouvoir et de popularité…
De même, Bola Tinubu, leader national du Congrès au pouvoir avait également appelé à une révolution en 2014.
Tinubu Calls For a Revolution – @MobilePunch September 30, 2014
History is a very stubborn thing pic.twitter.com/HiqaWWzUXC
— Igala High Chief (@I_Am_Ilemona) August 6, 2019
Tinubu appelle à une révolution – @MobilePunch 30 septembre 2014
L'histoire est une chose très têtue
La dissidence et les droits de manifester ou de se réunir sont essentiels pour permettre la participation démocratique des citoyens. En outre, le terme “révolution” a déjà été utilisé par des militants et des politiciens au Nigeria pour exprimer leur frustration face à la gouvernance, mobiliser les manifestants et obtenir le soutien populaire pour leurs causes.
En ligne, plusieurs militants et écrivains se sont mobilisés pour défendre Omoyele Sowore et soutenir son droit à la dissidence.
Le professeur ghanéen d'économie, George Ayittey, affirme qu'”arrêter les critiques” n'a jamais résolu les problèmes de l'Afrique :
If arresting critics solves problems Africa should be the most highly developed continent in world. But it is not and the coconuts don’t see it. Matter of fact dissidents and critics are useful assets in society. In challenging status quo they invent/create new products/solutions https://t.co/TtnfjVyzUR
— George Ayittey (@ayittey) August 5, 2019
Si l'arrestation des critiques résolvait les problèmes, l'Afrique serait le continent le plus développé du monde. Mais ce n'est pas le cas et les noix de coco ne le voient pas. Les dissidents et les critiques sont des atouts utiles dans la société. En défiant le statu quo, ils inventent / créent de nouveaux produits / solutions.
Mais “Sowore n'a lapidé personne; ni brandi de couteau”, a dénoncé le militant des droits de l'homme Chidi Odinkalu :
Democracy doesn't run like this. You run a democracy based on disagreement & dialogue. Sowore has not stoned anybody; he has not wielded a knife. He doesn't carry a gun. He's killed nobody. He just wants to do a demonstration. Let the man go. U don't have to agree with him. pic.twitter.com/zo7rqCKvyy
— Chidi Odinkalu (@ChidiOdinkalu) August 4, 2019
La démocratie ne fonctionne pas comme ça. Vous dirigez une démocratie basée sur le désaccord et le dialogue. Sowore n'a lapidé personne; ni brandi de couteau. Il ne porte pas d'arme à feu. Il n'a tué personne. Il veut juste faire une manifestation. Laissez-le en paix. Vous n'êtes pas obligé d'être d'accord avec lui.
L'avocat nigérian des droits humains, Femi Falana, a défié le gouvernement de lui montrer quelle “section de la constitution nigériane condamne Sowore pour trahison” :
Femi Falana is asking the Nigerian government to tell him the section of the Nigerian Constitution that finds Sowore guilty of treason. He also has a sub for someone we all know. #RevolutionNow #FreeSowore
— Gimba Kakanda (@gimbakakanda) August 6, 2019
Femi Falana demande au gouvernement nigérian de lui dire la section de la constitution nigériane qui condamne Sowore pour trahison. Il a également un remplaçant pour quelqu'un que nous connaissons tous.
Cependant, la condamnation la plus cinglante de l'arrestation de M. Sowore a été prononcée par le professeur Wole Soyinka, lauréat du prix Nobel de littérature en 1986. Wole Soyinka a décrit cette arrestation comme une chose qu'il a déjà vécue sous le dictateur militaire Sani Abacha :
Beyond the word ‘revolution’, another much misused and misunderstood word, nothing that Sowore has uttered, written, or advocated suggests that he is embarking on, or urging the public to engage in a forceful overthrow of government. I therefore find the reasons given by the Inspector-General, for the arrest and detention of this young ex-presidential candidate totally contrived and untenable, unsupported by any shred of evidence. His arrest is a travesty and violation of the fundamental rights of citizens to congregate and make public their concerns. This is all so sadly déjà vu. How often must we go through this wearisome cycle? We underwent identical cynical contrivances under the late, unlamented Sani Abacha. And yet again, even a faceless cabal under yet another civilian regime refused to be left out of the insensate play of power.
Au-delà du mot “révolution”, autre mot très mal utilisé et mal compris, rien de ce que Sowore a dit, écrit ou préconisé ne suggère qu’il se lance ou exhorte le public à renverser de force le gouvernement. Je trouve donc que les raisons données par l'inspecteur général pour l'arrestation et la détention de ce jeune ex-candidat à la présidence sont totalement artificielles et insoutenables, sans aucun élément de preuve. Son arrestation est une parodie et une violation des droits fondamentaux des citoyens de se rassembler et de faire connaître leurs préoccupations. Tout cela est si tristement du déjà vu. À quelle fréquence devons-nous traverser ce cycle fastidieux ? Nous avons subi des agissements cyniques identiques sous le très peu regretté Sani Abacha. Et encore une fois, même une cabale sans visage sous un autre régime civil a refusé de rester en dehors de ce jeu insensé du pouvoir.
Le 8 août, un tribunal d'Abuja a accueilli une demande de maintien en détention de M. Sowore “pour seulement 45 jours” afin que les services de sécurité “achèvent leur enquête”.