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Au Vietnam, cinéma et législation donnent une meilleure visibilité à la communauté transgenre

Catégories: Asie de l'Est, République Tchèque, Viêt-Nam, Droits humains, Femmes et genre, Film, LGBTQI+, Médias citoyens

Le Anh Phong, le personnage principal du film Find Phong. Photographie utilisée avec autorisation.

Pour toute personne LGBTQI+, vivre dans une société communiste signifie que dans la plupart des cas, c'est l’État qui détermine le niveau de visibilité dans l'espace public. Cette identité est tout simplement niée en Corée du Nord [fr] [1], et admise en Chine mais uniquement dans la sphère privée. Le Vietnam est un cas intéressant témoignant d'une plus grande tolérance et d'une visibilité accrue pour la communauté LGBTQI+, y compris dans les médias. Un exemple parlant est le documentaire Finding Phong [2] (A la recherche de Phong), tourné en 2015, qui dresse le portrait d'une femme transgenre appelée Phong. Profitant de leur passage à Prague pour une projection du film, suivie d'une discussion avec les communautés tchèque et tchéco-vietnamiennes (plus de 80,000 personnes d'origine vietnamienne [3] résident à titre permanent en République tchèque, soit près de 1 % de la la population totale), j'ai interviewé Le Anh Phong, le personnage principal du film, et Gerry Herman, le producteur du film, afin d'en savoir plus sur les conditions de vie de la communauté LGBTQI+ au Vietnam aujourd'hui. L'interview avec Le Anh Phong s'est déroulée avec l'aide d'un interprète.

Filip Noubel (FN) : Comment décrivez-vous la situation de la communauté LGBTQI+ au Vietnam aujourd'hui ? 

Le Anh Phong: There is undoubtedly a growing emergence of this community. The first reason is due to the role played by the media that now openly covers LGBTQI+ issues, including inside the country. The second reason is that the Vietnamese National Assembly will review a draft law that would guarantee medical support to citizens requesting sex reassignment. This has created a flow of public and online discussions. 

Gerry Herman: The LGBTQI+ rights movement has also been actively supported by international organizations and several embassies, including those from the United States [4],  the Netherlands, Germany and Canada. A number of trainings, campaigns, study tours have been organized, and this has changed the general atmosphere. My impression is that Vietnamese authorities do not view LGBTQI+ issues as particularly sensitive or overly political. 

Le Anh Phong : Il ne fait aucun doute qu'on assiste à une émergence de cette communauté. La première raison est due au rôle joué par les médias qui couvrent l'info LGBTQI+, y compris quand cela se passe au Vietnam. La deuxième raison est que l'Assemblée nationale vietnamienne va étudier un projet de loi qui garantirait un soutien médical aux citoyens et citoyennes désirant procéder à un changement de sexe. Ceci a déclenché un torrent de discussions en ligne et dans l'espace public. 

Gerry Herman : Le mouvement des droits LGBTQI+ a obtenu le soutien actif d'organisations internationales ainsi que d'ambassades dont celles des États-Unis, des Pays-Bas, d'Allemagne et du Canada. De multiples formations, campagnes, et des visites guidées ont été organisées, ce qui a modifié l'ambiance. J'ai le sentiment que les autorités vietnamiennes ne considèrent pas la question LGBTQI+ comme trop sensible ou politiquement dangereuse. 

FN : Quelle est la situation pour les personnes transgenres, qui doivent faire face à bien d'autres problèmes ? 

Le Anh Phong: In Vietnam, there is a lot of confusion within the public opinion about a set of different laws that affect the transgender community. First, in November 2015, a law was passed [5] that changed provisions in the Civil Code allowing people who had a sex change to register legal documents under their new gender. This became effective as of January 2017. Now we are waiting for the next step: a law guaranteeing access to health care, such as hormonal therapy and psychological support. There is a draft of this law, and the National Assembly has announced it would review it by 2020 [6]

Personally, I haven’t experienced much challenges: I still haven’t changed my legal documents, so very often officials at the bank or at the airport asked me why I still don't have new documents [reflecting my current gender]. In the end, they do provide the services I require from them. 

Le Anh Phong : Au Vietnam, les gens confondent plusieurs lois qui concernent la communauté transgenre. En novembre 2015, une première loi [5] a été adoptée modifiant le Code Civil pour permettre aux personnes effectuant un changement de sexe d'obtenir des papiers d'identité reflétant leur nouveau sexe. Cette loi a pris effet en janvier 2017. Maintenant on attend une deuxième étape, à savoir une loi garantissant un accès aux soins médicaux, comme la thérapie aux hormones et l'accompagnement psychologique. Il existe un projet de loi, et l'Assemblée nationale a annoncé qu'elle l'étudierait [7] d'ici la fin 2020.

Personnellement, je n'ai jamais eu de problème. Je n'ai toujours pas modifié mes papiers d'identité, très souvent le personnel des banques ou de l'aéroport me demande pourquoi je n'ai pas encore changé mes papiers, mais en fin de compte, ils finissent toujours par fournir les services auxquels j'ai droit.

FN : Qu'est ce qui vous a poussée à raconter votre histoire d'une façon aussi publique, à savoir à travers un documentaire ? 

Le Anh Phong: When I started my transition, I had almost no information about the process. I did this movie so that others [the transgender community in Vietnam is estimated to reach nearly 300,000 people] would find out about the issues, the challenges, the solutions. The second reason is that I wanted to have memories of my own journey. 

The most difficult part for me in the making of the movie was to introduce the camera in the privacy of my family, and have my family members get used to this intrusion. I wanted the whole thing to be humorous, so people would take it lightly. When we shoot the movie, I was working, so usually the filming happened after work, sometimes as late as 3 a.m. I was very tired, but I wanted the film to capture the authenticity of the moment.   

Le Anh Phong : Quand j'ai débuté ma transition, je n'avais pratiquement aucune info sur le sujet. J'ai fait ce film pour que les autres membres de la communauté transgenre [estimée à près de 300 000 personnes au Vietnam] en sachent plus sur la question, sur les défis et les solutions à envisager. La deuxième raison est que je veux garder le souvenir de mon propre cheminement. 

La chose la plus difficile du film, pour moi, a été d'introduire la caméra dans la vie privée de ma famille, et de laisser les membres de ma famille s'habituer à cette intrusion. Je voulais que ce soit plein d'humour, pour que les gens prennent tout ça à la légère. Quand on tournait, je travaillais, donc le film se faisait après mes heures de travail, parfois à trois heures du matin. J'étais très fatiguée, mais je voulais que le film soit authentique.

FN : Comment le film a-t-il été reçu au Vietnam ? 

Le Anh Phong: Initially, the movie was shown only in international documentary film festivals outside abroad. But in 2018, it was shown for the first time in commercial cinema theatres in Vietnam. The reception was so positive and got such good reviews in the media and from government officials that the screening was prolonged for a second week. For me, the most positive aspect is that the audience is no longer not limited to LGBTQI+ community. In fact, parents came and stayed during the entire film, which I did not expect.

Gerry Herman: It was also the first documentary movie played in commercial cinema theaters in Vietnam. Amazingly, the censorship allowed nude scenes which are always taken out in films shown in cinemas in Vietnam. Perhaps because of the topic of the movie, the censors did not intervene, which is a rare precedent. 

Le Anh Phong : Au départ, le film n'a été projeté que dans des festivals de documentaires internationaux à l'étranger. Mais en 2018, il a été montré pour la première fois dans des cinémas à but lucratif au Vietnam. L'accueil fut si positif et si élogieux dans les médias et de la part de certains membres du gouvernement que la projection fut prolongée sur une deuxième semaine. Pour moi, l'aspect le plus positif est que l'audience ne se limite pas à la communauté LGBTQI+. En fait des parents sont venus voir le film et sont restés pendant toute la projection, ce à quoi je ne m'attendais pas.

Gerry Herman : C'est aussi le premier documentaire à être projeté dans des cinémas à but lucratif au Vietnam. Ce qui est incroyable, c'est que les censeurs ont autorisé les scènes nues, qui sont toujours censurées dans les films projetés au Vietnam. Peut-être que les censeurs ne sont pas intervenus à cause du sujet, ce qui est un précédent bien rare.

FN : Comment est venue la décision de faire un tel film, en tant que producteur ? 

Gerry Herman: I met Phong at a social gathering, and I heard the following story: “everybody thinks I am a gay boy, but in fact I am a straight girl in a boy’s body.” I became fascinated by the story of a young boy who grew up in central rural Vietnam with no exposure to notions of transgender identity. When Phong told me she had contacted other transgender people telling her about the underground hormone market and contacts with cheap doctors in Bangkok, I proposed a deal: we would make a documentary about her journey provided she would agree to do the transition with appropriate medical support. 

I also contacted a transgender filmmaker who alerted me about the pain that most transgender people experience in regard to their past. They usually burn pictures taken before their transition. For Phong, it was the opposite, she wanted the whole story to be captured. In the end, the real challenge was the editing: two years of filming ended with over 250 hours of footage. 

Gerry Herman : J'ai rencontré Phong à une soirée, et voilà l'histoire qu'elle m'a racontée : “tout le monde pense que je suis un garçon gay, mais en fait je suis une fille hétéro dans un corps de garçon”. Cette histoire d'un jeune garçon vivant à la campagne au Vietnam central, qui n'avait jamais entendu parler de notions d'identité transgenre m'a fasciné. Quand Phong m'a dit que qu'elle avait contacté d'autres personnes transgenres qui lui avaient parlé d'un marché aux hormones clandestin et de docteurs bon marché à Bangkok, je lui ai proposé un deal : on fait un documentaire sur son parcours à condition qu'elle accepte d'accomplir sa transition avec un soutien médical adéquat. 

J'ai aussi pris contact avec une réalisatrice transgenre qui m'a averti de la douleur que ressentent la plupart des personnes transgenres par rapport à leur passé. Ils ou elles brûlent en général leurs photos prises avant la transition. Avec Phong, ça a été le contraire, elle voulait qu'on témoigne de toute son histoire. Au final, le vrai défi a été d'éditer le film: deux années de tournage se sont transformées en 250 heures d'images.

FN : Le Vietnam a-t-il une chance de devenir le deuxième pays d'Asie, après Taiwan, à autoriser le mariage pour personnes de même sexe ? 

Le Anh Phong: I was very happy when I saw the news in Taiwan [8] because it is a place not far away from Vietnam. This means our lawmakers know about this law. Now transgender groups are also advocating for a same-sex marriage law, but the priority remains on the sex reassignment support law. People believe once this law has been passed, the same-sex marriage law will be much easier to adopt. The reality in Vietnam is that a lot of same-sex couples live together, but of course they have no legal protection of their rights currently.

Gerry Herman: There are two stages to a marriage in Vietnam: a ‘family marriage’ and then a civil, government-registered marriage. Until five years ago, it was illegal to have a gay ‘family marriage’, the police would disrupt such ceremonies. Now it is not legal, but also no longer illegal, it is tolerated and we witness many gay and lesbian marriages. This indicates growing acceptance, including from the authorities.

Le Anh Phong : J'étais ravie de voir les informations sur Taiwan [fr] [9] car c'est un endroit qui est proche du Vietnam. Cela signifie que nos législateurs sont au courant de cette loi. Maintenant les groupes transgenres font du lobbying pour une loi sur le mariage pour personnes de même sexe, mais la priorité reste la loi sur le soutien pour les personnes changeant de sexe. La communauté pense qu'une fois cette loi adoptée, le mariage pour tous sera plus facile à faire passer. En réalité, au Vietnam, de nombreux couples de même sexe vivent déjà ensemble, mais bien sûr ils ou elles ne bénéficient d'aucune protection légale.

Gerry Herman : Il y a deux étapes dans un mariage au Vietnam : un mariage “familial” et un mariage civil, enregistré par le gouvernement. Il y a cinq ans encore, c'était illégal de faire un mariage familial gay, la police intervenait pour empêcher la cérémonie. Maintenant, ce n'est pas légal, mais ce n'est plus illégal non plus. C'est toléré et on assiste à de nombreux mariages gays et lesbiens. Ceci indique une plus grande acceptation, y compris de la part des autorités.