Cet article provient d'une publication écrite par Stella Adleyba, d'abord publiée sur le site partenaire OC Media.
Ruslan Yaylyan, un Arménien de Sukhum, la capitale de l’Abkhazie [fr], a déclaré à OC Media que lorsqu'il a déposé une demande pour renouveler son passeport abkhaze l'année dernière, il s'agissait de sa seconde demande et qu'il ne s'attendait pas à rencontrer des difficultés. Mais dix jours après avoir soumis les documents requis, on lui a demandé de se rendre au centre des passeports.
Il relate que l'agent s'occupant des passeports a grossièrement insisté pour qu'il apporte sa carte d'identité militaire, son certificat de naissance et sa carte de conscription. M. Yaylyan dit que la procédure administrative a duré trois mois.
Pendant la guerre Géorgie-Abkhazie de 1992–1993, Ruslan Yaylyan avait douze ans et la maison de sa famille, ainsi que tous leurs papiers, ont été brûlés par l'armée géorgienne. Après la guerre, les démarches pour recouvrer les papier n'étaient pas faciles, et beaucoup de gens ont utilisé des certificats ad hoc au lieu de passeports.
Il affirme qu'il n'a pas été formellement recensé comme résident d'Abkhazie jusqu'en 1999, mais qu'il n'est jamais parti. Il s'est même engagé dans l'armée abkhaze, ce dont il peut attester avec sa carte d'identité militaire.
A posteriori
En Abkhazie, la réglementation qui oblige à changer les anciens passeports au profit de nouveaux est en vigueur depuis 2016. Le ministre des Affaires étrangères du pays a déclaré à OC Media qu'environ 140 000 passeports devaient être de nouveaux délivrés.
Une réglementation dans la nouvelle législation relative à la citoyenneté impose que pour remplacer les anciens passeports avec de nouveaux, les citoyens d'Abkhazie doivent prouver qu'ils ont vécu en Abkhazie entre 1994 et 1999.
Les problèmes se sont accrus lorsque la loi relative à la citoyenneté de 2005 a annulé la législation précédente adoptée en 1993, privant de ce fait de citoyenneté les personnes qui l'avaient obtenue dans le cadre de la précédente législation.
Selon l'article 5 de la loi de 2005 portant sur la citoyenneté, pour être éligible à l'obtention de la citoyenneté, une personne doit avoir résidé de manière régulière sur le territoire abkhaze pour une durée d'au moins cinq ans lors de la déclaration d'indépendance de l'Abkhazie en 1999 et ne doit pas avoir renoncé à sa citoyenneté.
“Exclusion”
La procédure pour remplacer les passeports a été étroitement liée au statut légal des habitants de l'est de l'Abkhazie, dont la plupart sont d'origine géorgienne. De 2009 à 2014, ces personnes résidant dans le district de Gal en Abkhazie ont obtenu des passeports abkhazes. Le gouvernement abkhaze a par la suite établi que c'était illégal.
D'après la législation actuelle portant sur la citoyenneté, les personnes qui n'ont pas résidé en Abkhazie entre 1994 et 1999 ne sont pas des citoyens abkhazes. La population d'origine géorgienne du district de Gal, qui a le plus été déplacée pendant la guerre, n'a été autorisée à retourner à Gal qu'en 1999.
De plus, en 2013, l'Abkhazie a voté une loi autorisant uniquement la double nationalité Abkhaze–Russe. Cela a renforcé la base légale pour une dépossession importante de passeports des résidents d'origine géorgienne du district de Gal, dont la majorité détenaient la nationalité géorgienne.
Le responsable du service des passeports au sein du ministère de l'Intérieur abkhaze, Eduard Manargiya, a déclaré à OC Media que dans parmi les demandes d'un nouveau passeport il y a des cas de personnes d'origine géorgienne ayant à la fois des documents d'identité abkhaze et étant de nationalité géorgienne.
“J'en pleurais”
Parmi d'autres personnes ayant perdu leur droit à acquérir de nouveaux passeports se trouvent ceux qui, entre 1994 et 1999, ont étudié dans des universités russes, se sont engagés dans l'armée abkhaze ou des retraités qui se sont rendus en Russie pour recevoir leurs pensions de retraite russes.
Marina Chistyakova est d'origine russe et vit à Sukhum. Elle est restée en Abkhazie au cours de la guerre mais en 1995 elle a déménagé à Chelyabinsk, dans la région de l'Oural, pour s'occuper de sa mère malade. Mme Chistyakova est retournée en Abkhazie dans les année 2000 et a obtenu un passeport abkhaze mais lorsqu'elle a dû le renouveler, les problèmes se sont accumulés.
“Je pleurais à cause de mon passeport abkhaze”, raconte-t-elle à OC Media. “Chaque trajet jusqu'au bureau des passeports se terminait par des esclandres et insultes. Les agents s'occupant des passeports ne ménagent pas leurs mots quand ils découvrent que vous n'êtes pas abkhaze.”
“Mon mari est mort pendant la guerre, en défendant l'Abkhazie. J'aime vraiment mon pays, mais en vivant cette injustice je n'ai qu'une envie, c'est partir. Changer un passeport est devenu une discrimination et ce n'est pas bon signe si nous sommes censés vivre dans une pays civilisé”, dit-elle.
“La dernière fois [que je me suis rendue au bureau des passeports] ils m'ont demandé mon diplôme. Quel est le rapport avec un passeport ? Nous sommes simplement humiliés à chaque fois et je n'ai plus l'âge de supporter cela. Je vais certainement engager des poursuites, sinon ce problème ne sera pas résolu. Ce n'est pas de notre faute s'il y a des vices dans la législations abkhaze”, poursuit-elle.
Les Abkhazes sont “plus égaux que d'autres”
Bien que ce ne soit pas établi explicitement dans la législation, dans la pratique, la loi ne semble pas être appliquée aux Abkhazes, qui n'ont pas de restriction pour obtenir la citoyenneté abkhaze.
Malgré de nombreuses recherches, OC Media n'était pas en mesure de trouver un seul Abkhaze à qui l'on a demandé d'apporter des documents complémentaires ou qui a dû se soumettre à une procédure de vérification en plus.
Un porte-parole du ministère de l'Intérieur abkhaze a déclaré à OC Media qu'un manuel interne régit les procédures pour remplacer les passeports et quels documents doivent être fournis.
Cependant, ils ont déclaré que le manuel indique que les “citoyens particuliers” doivent fournir un certain nombre de documents complémentaires. Aucune information publique n'est disponible quant à savoir qui sont des “citoyens particuliers”.
Le manuel n'est pas accessible au public et le ministre de l'Intérieur a déclaré à OC Media qu'il s'agissait d'un document interne qui ne sera pas publié.
Le ministère de l'Intérieur a aussi expliqué à OC Media que “pratiquement toutes” les personnes de cette catégorie “particulière” ayant déposé une demande de passeport abkhaze ont reçu leurs papiers. Il a ajouté que sur les 95 500 passeports reçus pour renouvellement au 1er septembre [2018], seuls 520 ont été refusés.
Tous les noms de lieux et désignations utilisés dans cet article sont les mots de l'auteure seule, et ne reflètent pas obligatoirement l'opinion du comité de rédaction d'OC Media.