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En Inde, des solutions communautaires pour combattre le manque de soins de santé mentale

Catégories: Inde, Développement, Droits humains, Education, Jeunesse, Médias citoyens, Santé
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Mme Ashwini N.V. lors d'un atelier : “Prévenir les violences sexuelles envers les enfants” pour les enfants de l'école National Child Labour School à Lucknow en Inde. Photo de la fondation Muktha, utilisée avec permission.

L’Inde [2][fr] est le deuxième pays le plus peuplé du monde et compte le plus grand nombre [3] de cas de violence et d'exploitation sexuelles envers des mineurs. Une étude publiée en 2013 par la Revue indienne de psychiatrie rapporte [4] que la moitié des enfants indiens ont été victimes d'une forme d'abus sexuel et qu'un enfant sur cinq a subi des abus graves.

Du fait d'une culture de culpabilisation des victimes profondément ancrée, les agresseurs restent en liberté tandis que les enfants victimes d'abus en portent les blessures jusqu'à l'âge adulte, conduisant très souvent à des troubles psychologiques à long-terme. Simultanément, le pays souffre d'un manque de professionnels de la santé mentale et d'une tradition de la stigmatisation qui compliquent énormément la mise en place de soins de santé mentale.

Travailleurs sociaux, professionnels de la santé mentale et associations tentent de développer une approche communautaire pour combattre les troubles psychologiques. Mme Ashwini N.V. [5], spécialiste de la santé mentale et universitaire, croit en l'efficacité des initiatives communautaires centrées sur le renforcement des capacités et associées à la psychothérapie pour combler les lacunes dans la prise en charge des troubles mentaux.

D'après un rapport [6] de l'Organisation mondiale de la santé, il n'y aurait en Inde que 0.3 psychiatres, 0.07 psychologues et 0.07 assistants sociaux pour 100 000 habitants alors que la population indienne est en pleine croissance. Simultanément, selon un sondage national sur la santé mentale [7] de 2018, 150 millions de personnes auraient besoin de traitement pour des troubles mentaux. Combler ce manque représente un défi de taille.

La santé mentale en Inde est un énorme problème auquel nous devons répondre ! Notre budget pour la santé mentale est dérisoire comparé à d'autres pays.

Alors que la plupart des organisations travaillent soit dans le secteur de la santé mentale soit dans celui de la prévention des violences, Mme Ashwini a fondé et dirige la Fondation Muktha [16] (Muktha signifie “libération”), qui conjugue ces deux aspects. Mme Ashwini partage son temps entre la gestion de la fondation, la conduite d'ateliers de formation, la psychothérapie et l'enseignement. Dans un entretien mené au bureau de la fondation à Bangalore, elle parle des deux ambitions de l'organisation et de la nécessité d'être attentif aux troubles mentaux :

While counselling and doing community work, I observed that most of my clients who came for counselling had a history of abuse, in one form or the other. It also came to my notice that both the perpetrators of abuse and the survivors more often than not suffered from some form of mental distress.

En pratiquant la psychothérapie et en travaillant pour la communauté, j'ai réalisé que la plupart des clients qui venaient suivre une thérapie avaient été victimes d'abus dans le passé, d'une manière ou d'une autre. J'ai aussi remarqué que la plupart du temps, les agresseurs et les survivants de violences souffraient tous d'une forme de détresse psychologique.

Sur la base de ces observations de terrain, Mme Ashwini s'est associée à d'autres travailleurs sociaux, professionnels de la santé mentale et organisations pour construire une plateforme où la prévention des violences est vue comme une étape essentielle vers le bien-être mental et psychologique.

Bhaya Muktha [17] (se libérer de la peur) est l'une des ambitieuses initiatives de la fondation dans la lutte contre les violences sexuelles envers les enfants. La fondation travaille à prévenir les violences sexuelles envers les enfants et à combattre les troubles psychologiques qui touchent les survivants à la suite de ces expériences traumatiques :

We ran the first phase of programme for three months beginning from January 1 to March 31 this year. Bhaya Muktha covered all 26 states and three union territories of India. We conducted eight programmes each in the capitals of the states and in union territories with different stakeholders including doctors, police, parents, teachers, children and healthcare professionals. We equipped participants to identify symptoms of sexual abuse in children and trained healthcare professionals to use different approaches to counsel the survivors.

Nous avons tenu la première phase du programme sur trois mois du 1er janvier au 31 mars de cette année. Bhaya Muktha était présente dans les 26 États et 3 territoires de l'Union indiens. Nous avons organisé huit programmes différents dans chaque capitale d’État et chaque territoire de l'Union en collaboration avec une variété d'intervenants dont des médecins, des policiers, des parents, des enseignants, des enfants et des professionnels de la santé. Nous avons donné aux participants les moyens de reconnaître les signes d'abus sexuels chez les enfants et formé les professionnels de la santé à utiliser différentes approches pour accompagner les survivants.

L'Inde est un pays disposant d'une grande diversité linguistique. Grâce à son initiative nationale, la fondation a identifié des acteurs qualifiés et prêts à travailler auprès de leurs propres communautés. Ces groupes formés travaillent dans différentes régions en suivant deux approches : d'abord, ils s'attaquent à la stigmatisation et aux mythes qui entourent les violences sexuelles envers les enfants. Dans un second temps, ils cherchent à assurer le bien-être psychologique des enfants et adolescents victimes de violences sexuelles.

Photo Courtesy: Muktha Foundation [18]

Des enfants participent à un programme de développement des compétences psychosociales proposé par la fondation Muktha pour promouvoir la santé mentale dans une école à Bangalore. Photo de la fondation Muktha.

Dans la deuxième phase du programme, les intervenants de Muktha comptent se rendre dans les villes secondaires [19] d'Inde et progressivement s'insérer dans l'arrière-pays pour y développer les capacités de prise en charge.

En plus des violences sexuelles envers les enfants, la fondation Muktha agit aussi contre les violences interpersonnelles, les violences dans les relations intimes, les violences domestiques, le harcèlement et la cybercriminalité. Au cours des deux dernières années, ses membres et partenaires ont menés plusieurs ateliers auprès d'écoles, d'organisations non gouvernementales et d'entreprises. Mme Ashwini, en tant qu'universitaire, ressent aussi le besoin d'introduire la question des violences dans les milieux académiques traditionnels. Elle explique :

We are rolling out a 45-hour certificate course on the psychology of interpersonal violence with one of the universities in Bengaluru [Bangalore]. These initiatives are important to make people talk about issues surrounding abuse and mental well-being.

Nous sommes en train de lancer une formation diplomante de 45 heures sur la psychologie des violences interpersonnelles avec l'une des universités de Bangalore. Ces initiatives sont cruciales pour que les gens commencent à aborder les problématiques liées aux violences et au bien-être mental.

Alors que les inquiétudes autour de la santé mentale se multiplient jour après jour, les solutions thérapeutiques conventionnelles doivent être complétées par des approches plus innovantes. Mme Ashwini et ses collègues contribuent à un programme de recherche intitulé Muktha Abhivyaktha (expressions de libération) :

Psychotherapy needs to go beyond the conventional approach of talk. Sometimes it is difficult for people to express trauma verbally. Art, theatre, dance, storytelling, music, writing and other forms of expression have great potential in this area.

La psychothérapie doit aller plus loin que les approches conventionnelles basées sur la parole. Parfois, il est difficile pour les patients de s'exprimer à l'oral sur leurs traumatismes. L'art, le théâtre, la danse, la fiction, la musique, l'écriture et d'autres formes d'expression ont beaucoup de potentiel pour remédier à ces difficultés.

Malgré les initiatives entreprises par des organisations telles que Muktha, la santé mentale reste un défi de taille pour les médecins, législateurs et citoyens indiens.

Plusieurs experts dans le domaine estiment que le bien-être mental devrait être un droit. Dans cette optique, la loi sur les soins de santé mentale de 2017 [20] représente une avancée majeure. La loi prévoit des mesures pour protéger les droits aux soins, à la sécurité et à la dignité des personnes souffrant de troubles mentaux. Néanmoins, un écart existe toujours entre les besoins et l'accès réel aux soins.

Plusieurs acteurs cherchent à développer une approche des soins de santé mentale basée sur les droits des patients. “Bridge the Care Gap [21]” [combattre le manque de soins] est l'une des campagnes qui tentent d'impliquer l'opinion publique :

L’État doit prendre des dispositions bien plus radicales pour mettre en pratique la loi sur les soins de santé mentale et les politiques associées. C'est justement ce que prône #BridgeTheCareGap. Donnez-nous votre voix. Signez la pétition : https://t.co/0hEpTEWF50 [23]

Pourquoi combattre le manque de soins de santé mentale ?
Si des services psychologiques efficaces et humains étaient mis à disposition, accessibles et peu chers, 150 millions d'Indiens vivant avec des troubles mentaux pourraient recevoir des traitements pour les aider à éviter des [difficultés] chroniques… https://t.co/ZjFtJMchTR [25]

Alors que les citoyens indiens sont de plus en plus sensibilisés aux questions de santé mentale et que la nécessité de remédier aux lacunes actuelles devient urgente, bien plus d'initiatives au niveau communautaire devront être développées pour résoudre la crise en Inde.