Cameroun : les parents craignent d'envoyer leurs enfants à l'école à cause du conflit armé

Une salle de classe vide au Cameroun, en juin 2007. Photographie via Pixabay CC BY 2.0.

Au cours de l'été 2019, des responsables camerounais ont lancé une campagne d'information de masse pour rouvrir les écoles dans les régions du nord-ouest et du sud-ouest du pays, touchées par la crise, alors que les tensions se maintenaient entre les forces du gouvernement francophone et les séparatistes anglophones.

La plupart des écoles, en particulier dans les zones rurales, sont fermées depuis 2016, lorsque les séparatistes anglophones ont lancé un mouvement visant à créer l’Ambazonie [fr], un État indépendant du reste du pays, largement dominé par les francophones. Selon The Guardian, ils ont appelé à un boycott des écoles dans le cadre de leurs efforts pour protester contre les injustices dans le système éducatif dirigé par les francophones.

Les Camerounais anglophones affirment que le gouvernement dirigé par les francophones discrimine systématiquement leurs régions, leur langue et leur culture.

Les rebelles anglophones ont insisté sur le fait qu'il y aurait des “villes fantômes” à partir du 2 septembre, date de la rentrée scolaire, si les écoles tentaient de rouvrir, ce qui impliquerait que leur boycott contre le Cameroun francophone se poursuivra. Cela fait suite à une condamnation à des peines de prisons à vie du leader séparatiste Sisiku Julius Ayuk Tabe et de neuf autres de ses camarades à la prison de Kondengui à Yaoundé, la capitale du Cameroun.

Mais le gouverneur de la région du sud-ouest, Bernard Okalia Bilia, a assuré à la population une reprise scolaire sûre et efficace.

“Des mesures de sécurité ont été mises en place. Nous pouvons prendre l'exemple de l'année dernière : nous avions réussi à organiser des examens dans cette région et de nombreux candidats ont été admis.Vous savez, la sécurité peut être assurée par tous les habitants de cette région. Si vous ne collaborez pas avec les forces de l'ordre, la sécurité ne sera pas garantie”, a déclaré M. Bilia à Global Voices lors d'une interview en août, à l'occasion de la campagne pour la réouverture des écoles à Buea.

Adolf Lele L'Afrique, son homologue du nord-ouest, a également minimisé le conflit armé [fr] de la même manière. “Des mesures de sécurité ont été prises et les enfants devraient aller à l'école lundi”, a déclaré M. L'Afrique à la chaîne public Cameroun Radio TV (CRTV).

Malgré l'engagement du gouvernement, près de 80% des écoles ont été fermées dans les régions en conflit à la suite de menaces et d'attaques séparatistes. L'UNICEF, l'agence des Nations Unies pour l'enfance, a annoncé que plus de 4 400 écoles ont été fermées, privant d'éducation plus de 600 000 enfants.

Des combattants sécessionnistes auraient kidnappé et tué des enseignants dans les régions anglophones pour faire un effet de levier et maintenir les écoles fermées.

Hannah Etonde Mbua, déléguée du sud-ouest de l’enseignement secondaire, a déclaré à CRTV, la télévision chinoise, le 28 août :

Many of our teachers were kidnapped and taken to the bushes; they were only released after ransoms were paid. A good number of them were shot in their offices, some died and others were amputated. Students and staff were so frightened because of these. But we succeeded to have some children in classes, thanks to the education ministry.

Beaucoup de nos professeurs ont été kidnappés et emmenés dans la brousse ; ils n'ont été libérés qu'une fois des rançons payées. Un bon nombre d'entre eux ont été abattus dans leurs bureaux, certains sont morts et d'autres ont été amputés. Les étudiants et le personnel étaient tellement effrayés à cause de cela. Mais nous avons réussi à avoir des enfants en classe, grâce au ministère de l'éducation.

Les représentants de la société civile et du gouvernement continuent de faire campagne à la télévision, à la radio et sur les médias sociaux pour la reprise des classes. Le Premier ministre Joseph Dion Ngute, anglophone, a donné le ton en mai lorsqu'il s'est rendu dans les régions touchées par la crise et qu'il a prononcé à Buea un discours diffusé à la radio :

I am a prime minister today because my father sent me to school. Is that not so? If my father did not send me to school, I wouldn’t have become prime minister.

Je suis Premier ministre aujourd'hui parce que mon père m'a envoyé à l'école. N'est-ce pas le cas ? Si mon père ne m'avait pas envoyé à l'école, je ne serais pas devenu Premier ministre.

Le gouverneur Bilia a déclaré que les habitants de sa région étaient sur le point de s’éduquer :

The entire population in the southwest region are determined to resume school [this September]. … Three years of sacrificing our children’s generation should stop.

Toute la population de la région du sud-ouest est déterminée à reprendre les études [en septembre]… Trois ans à sacrifier la génération de nos enfants devraient cesser.

Cependant, les séparatistes anglophones, qui considèrent que le boycott de l'école est un moyen de faire pression sur le gouvernement, ont averti les parents, souvent par le biais des médias sociaux, de ne pas envoyer leurs enfants à l'école.

Dans un message, Tapang Ivo Tanku, qui vit à l'étranger, écrit [lien interrompu] sur Facebook:

More bullets have been ordered to protect our civilians [of Ambazonia] as they boycott schools next week. If you dare their rights to boycott, you will face forces.

D'autres balles ont été commandées pour protéger nos civils [d'Ambazonia] alors qu'ils boycottent les écoles la semaine prochaine. Si vous violez leurs droits au boycott, vous ferez face à la force.

Les internautes préoccupés ont également soulevé des questions sur l’opportunité de réouverture des écoles dans ce que Rebecca Enonchong, sur Twitter, décrit comme une “zone de guerre” :

Nous voulons tous que nos enfants aillent à l'école. Le comble de l’hypocrisie est que ce gouvernement lance une campagne de “retour à l’école” dans une zone de guerre alors que les assassinats se poursuivent, et où la cause première de la crise n’est pas traitée et en fait exacerbée.

En réponse, M. Derick Deci a tweeté :

En faisant une campagne de retour à l'école la semaine dernière, j'ai rencontré cette mère qui m'a dit (en pidgin) “Je préfère avoir un enfant illettré qu'un enfant mort”. Cette déclaration m'a fait repenser ce que je faisais. Nous avons besoin de paix, de compréhension mutuelle et de dialogue inclusif de retourner à l'ecole).

Matanga Hans Hilary Hamza, un père de deux enfants et tuteur, se trouve au cœur de l'incertitude et souhaite que le dialogue résolve l'impasse pour que ses enfants puissent aller à l’école en toute sécurité.

M. Hamza a parlé à Global Voices le mois dernier, pendant l'Aïd al-Adha, lorsque plus de cent musulmans anglophones se sont réunis à Buea pour réclamer la paix :

I am begging both parties to understand the importance of education. Our children are not animals, so they have to go to school.

Je prie les deux parties de comprendre l’importance de l’éducation. Nos enfants ne sont pas des animaux, ils doivent donc aller à l'école.

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