Au Bangladesh, blocage du site web de l'université d'ingénierie rapportant les abus subis par les étudiants

Etudiants de l'Université d'Ingénierie et de Technologie manifestant en avril 2018 pour réformer le système de quota dans la fonction publique. Image via Wikipedia de Rahat Chowdhury. CC BY-SA 3.0

[Article d'origine publié le 10 octobre 2019] [Tous les liens associés renvoient à des pages en anglais, sauf mention contraire]

Le Bangladesh est secoué par des manifestations étudiantes dans tout le pays après qu'un élève de premier cycle à la prestigieuse Université d'Ingénierie et de Technologie du Bangladesh (BUET) a été battu à mort au petit matin du 7 octobre par des étudiants appartenant à la branche étudiante du parti au pouvoir, la Ligue Awami [fr]. Le meurtre d’Abrar Fahad, âgé de 21 ans, dans le dortoir du BUET a mis en lumière les violences subies dans tout le pays par les étudiants dans les universités publiques et les tentatives pour cacher les plaintes.

Après ce meurtre, les étudiants du BUET et d'autres institutions ont commencé à raconter les violences qu'ils ont eux-mêmes subies soit dans le cadre du bizutage ou d'intimidations motivées politiquement. Le bizutage est communément décrit comme une “initiation rituelle” traditionnelle pratiquée dans les institutions d'éducation supérieure dans les pays d'Asie du Sud, impliquant des violences sur les nouveaux étudiants par les anciens.

Le mercredi 9 octobre, la Commission de Régulation des Télécommunications du Bangladesh (BTRC) a ordonné le blocage d'une page en ligne du BUET, où plus de 175 plaintes avaient été déposées anonymement par des étudiants actuels ou anciens de cette université, l'une des meilleures du pays et où seulement les étudiants les plus méritants peuvent entrer après un examen d'entrée très compétitif.

Le bâtiment du Génie Civil au BUET. Image via Wikipedia de Raiyan Kamal. CC BY-SA 2.5

Révélant un courriel qui a fuité, le journal Dhaka Tribune informe que le BTRC aurait demandé à tous les opérateurs d'International Internet Gateway (IIG) et à tous les fournisseurs de services internet (ISP) du pays de bloquer la page web sur leurs réseaux immédiatement. Aucune justification n'aurait été fournie dans l'injonction.

Au moins 72 plaintes ont été envoyées sur les deux derniers jours, après le meurtre d'Abrar dans le dortoir !

Cela montre à tous que vous n'avez aucun droit de vous plaindre.

La page bloquée contenait un système de signalement anonyme en ligne sous le site web du département de l'informatique et de l'ingénierie (CSE) du BUET, faisant partie d'un projet de recherche de classe. Après les violences subies par Fahad et son meurtre, les étudiants cherchaient un espace pour partager leurs propres expériences de violences et le nombre de plaintes soumises anonymement par les étudiants actuels et anciens de l'université – la plupart concernant des violences et des abus dans le campus commis par des étudiants plus âgés affiliés à la Ligue Etudiante du Bangladesh (BCL), la branche étudiante du parti au pouvoir. Les internautes ont confirmé qu'ils ne pouvaient plus accéder à la page. Cependant, des copies de sauvegarde des plaintes ont été partagées sur les médias sociaux.

Nous sommes Abrar

Tué pour un commentaire Facebook

Un article du Daily Star mentionne que l'étudiant a probablement été tué pour ses posts sur Facebook. La semaine dernière sur son statut Facebook, qui a été partagé 69.000 fois, Fahad avait critiqué la signature récente d'accords bilatéraux entre le Bangladesh et l'Inde pendant la visite officielle de la Première Ministre Sheikh Hasina en Inde. Il a été rapporté qu'il aurait été appelé par des dirigeants BCL de l'université pour qu'il explique pourquoi il avait posé une déclaration aussi critique contre le gouvernement. Des rapports révèlent que les étudiants aux opinions divergentes sont souvent victimes d'abus physiques.

Le meurtre d'Abrar Fahad est un crime horrible qui doit faire l'objet d'une enquête immédiate. Abrar utilisait seulement son droit pacifique de liberté d'expression sur ses posts Facebook critiquant le gouvernement. #Justice pour Abrar Photo : collectée de Facebook.

L'autopsie a révélé que Fahad a été battu à mort avec des objets contondants sur ses bras, sur ses jambes et sur son dos, et qu'il est décédé en raison d’ “hémorragies internes”.

D'après la BBC, les abus et les harcèlements en raison d'opinions politiques différentes ou de défi à l'ordre des dirigeants est commun dans les universités publiques du Bangladesh.

L'année dernière, Human Rights Watch a mentionné dans un rapport que ceux qui publiaient dans les réseaux sociaux des posts critiquant le gouvernement étaient systématiquement ciblés au Bangladesh, avec souvent l'utilisation de la controversée section 57 de la Loi ICT (ICT Act).

Section 57 of ICT Act authorizes the prosecution of any person who publishes, in electronic form, material that is fake and obscene; defamatory; “tends to deprave and corrupt” its audience; causes, or may cause, “deterioration in law and order;” prejudices the image of the state or a person; or “causes or may cause hurt to religious belief.”

La section 57 de la Loi ICT autorise la poursuite de toute personne qui publie, sous forme électronique, du matériel fallacieux et obscène, diffamatoire, “qui incite à dépraver et corrompre” son audience; qui cause, ou pourrait causer, “la détérioration de l'ordre public”, porter préjudice à l'image de l’État ou d'une personne, ou “qui heurte ou pourrait heurter les convictions religieuses”.

En août 2018, le photographe et activiste Dr. Shahidul Alam a été détenu plus de 100 jours pour ses posts Facebook concernant les manifestations étudiantes dans la capitale Dacca.

Des manifestations étudiantes qui réclament justice

Les étudiants du BUET et d'ailleurs dans le pays sont descendus dans les rues pour protester contre le meurtre.

Les étudiants du BUET manifestent pour la Justice dans le meurtre d'Abrar. Abrar, un étudiant de EEE, assassiné dans sa chambre de résidence universitaire par des cadres du BSL, branche étudiante du parti au pouvoir. #Justice pour Abrar #Bangladesh

Les étudiants et les professeurs de l'université Jahangirnagar ont organisé des manifestation dans leur campus et demandé une sanction exemplaire contre les assassins de l'étudiant du BUET Abrar Fahad. .#JusticePourAbrar#Bangladesh

Après avoir examiné les images de vidéosurveillance du campus universitaire, la police a jusqu'à présent arrêté 13 étudiants, nombreux parmi eux étant affiliés à la Ligue étudiante Chhatra League, en raison du meurtre de Fahad. Le père de Fahad, Barkat Ullah, a déposé une plainte pour meurtre contre 19 personnes.

Images de vidéosurveillance des quelques dirigeants étudiants qui ont tué l'étudiant du BUET nommé #AbrarFahad. Puis jetant son corps dans les escaliers du dortoir. Plainte déposée par le père du défunt.

La Première Ministre Sheikh Hasina a demandé que l'assassin reçoive la plus lourde peine et que personne ne soit épargné, quelles que soient les affiliations politiques. Elle a aussi défendu différentes décisions bilatérales prises par le gouvernement du Bangladesh durant sa dernière visite en Inde, notamment concernant le partage de l'eau et l'exportation de gaz GPL, les sujets qui avaient été critiqués par Fahad.

Les internautes ont aussi mis en question la décision du BUET de garder un tel système sensible de plainte ouvert au public, mettant en péril la sécurité des plaignants. Un administrateur système du BUET pourrait facilement cacher la page sans nécessiter autant de réactions irréfléchies de la part de l'autorité régulatrice. Au moment de l'écriture du post, tout le site web du BUET était inaccessible.

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