En Colombie, une bande dessinée aborde le sujet de la surveillance et du genre, au rythme de la salsa

Una de las escneas del cómic Tour Delirio: Salsa y Vigilancia. Imagen utilizada bajo una licencia Creative Commons Atribución-NoComercial-CompartirIgual 4.0 Internacional (CC BY-NC-SA 4.0).

« Des caméras… il y en a partout. » Une scène de Tour Delirio: Salsa y Vigilancia (Tour Delirio : salsa et surveillance). Image tirée de Archive.org et utilisée sous licence Creative Commons (CC BY-NC-SA 4.0)

Les villes sont des espaces technologiques. Cette réalité ne se limite pas nécessairement au concept des villes intelligentes (smart cities), concept encore ambigu et en constante révision. La prolifération des caméras de sécurité, des infrastructures de transport et d'énergie et l'adoption croissante des technologies de communication au sein de la population offrent de nombreux éléments de preuve.

Toutefois, ces caractéristiques s'accompagnent de l'une des préoccupations majeures des défenseurs des droits humains : la surveillance de la part des gouvernements et des entreprises. Insérée dans un contexte latino-américain et abordée sous l'angle de l'égalité entre les genres, cette question devient particulièrement urgente pour notre époque.

C'est ce qui a conduit María Juliana Soto à créer un projet transmédia intitulé Tour Delirio: Salsa y Vigilancia (Tour Delirio : salsa et surveillance), une bande dessinée en ligne qui encourage le dialogue à propos de la surveillance sur Internet, le tout au rythme de la salsa.

Laura Vidal s'est entretenue à ce propos avec María Juliana Soto, l'invitant notamment à s'exprimer du point de vue des droits humains sur les implications de la surveillance par les gouvernements, les entreprises et les communautés :

Promover el tema de la seguridad digital y la privacidad en internet ha sido un reto para mí. […] Las corporaciones nos han ganado, lo tenemos todo muy naturalizado. […] Pues tienen a su favor la facilidad de los servicios que ofrecen, por ejemplo, WhatsApp, la narrativa de lo gratis, de lo necesario, de lo indispensable. Mis amigas me miran raro cuando les digo que hablemos por Signal, por ejemplo. Tenemos que hacerle más preguntas a esas narrativas que naturalizan que entreguemos nuestros datos e información a terceros.

Promouvoir la sécurité numérique et la protection de la vie privée sur Internet a été un défi pour moi. […] Les entreprises ont réussi à nous faire trouver cela normal. […] Car les services qu'elles offrent jouent en leur faveur, comme WhatsApp qui tient un discours sur la gratuité, le nécessaire, l'indispensable. Mes amies me regardent bizarrement lorsque je leur dis de communiquer sur Signal, par exemple. Nous devons davantage remettre en question ces entreprises qui normalisent le partage de nos données et de nos informations à des tiers.

Tour Delirio vise à démocratiser le sujet dans la population. Comme l'indique sa créatrice, il est nécessaire de sensibiliser davantage à l'importance de remettre en question des services comme Facebook et Google, contestés pour avoir collecté d'énormes quantités de données sur leurs utilisateurs pour les utiliser ensuite de manière peu transparente :

Con Tour Delirio lo que quiero es despertar esas preguntas, esa curiosidad de saber adónde van nuestros datos, o si alguien lee nuestras conversaciones. Despertar la curiosidad, y un poco la malicia frente al uso de tecnologías. […] Como ciudadanos nos falta más curiosidad y más perspicacia. […] A la tecnología le hemos creído todo.

Ce que je souhaite avec Tour Delirio c'est que l'on se pose la question d'où vont nos données ou si quelqu'un lit nos conversations. Éveiller la curiosité et un peu de méfiance face à l'utilisation des technologies. […] En tant que citoyens, nous manquons de curiosité et de perspicacité. […] Nous croyons aveuglément en la technologie.

De quoi ne parle-t-on pas encore assez ?

La question de la surveillance fait partie intégrante de plusieurs problèmes qui ne sont pas nouveaux en Amérique latine, d'où l'importance de remettre en question les discours sur la vigilance et la protection de la vie privée :

No se habla mucho de finalmente a quién se vigila. Hay comunidades que se vigilan para que no les pase nada, y hay otras a las que se les vigila para tenerlos controlados. Es un secreto a voces que a unos se les cuida y a otros se les controla.

La vigilancia ha sido equiparada con seguridad. En estos días cualquier candidato político habla de cámaras de vigilancia y de aumentar el uso de dispositivos tecnológicos para mejorar la seguridad en las ciudades. A pesar de que existen estudios y posturas críticas que demuestran la ineficacia de estas estrategias y el riesgo en el que ponen el derecho a la privacidad. Sin embargo, no hay una exploración crítica ni se cuestionan estas propuestas.

On ne parle pas beaucoup de qui sont finalement les personnes surveillées. Il y a des populations qui sont surveillées pour que rien ne leur arrive et d'autres pour pouvoir les garder sous contrôle. On veille sur certains et on contrôle les autres, c'est un véritable secret de Polichinelle.

La surveillance a été assimilée à la sécurité. De nos jours, n'importe quel candidat politique parle de caméras de surveillance et d'augmenter l'utilisation des dispositifs technologiques pour améliorer la sécurité dans les villes, malgré des études et des positionnements critiques démontrant l'inefficacité de ces stratégies et le risque que cela comporte pour le droit à la vie privée. Pour autant, ces propositions ne font l'objet d'aucune étude critique ou de remise en question.

La conversation a ensuite porté sur la signification de la protection de la vie privée en Amérique latine :

¿Qué es la privacidad en un barrio popular de una ciudad como Cali, en Colombia? Donde las casas son de puertas abiertas, donde familias numerosas comparten una misma casa, donde la gente está afuera, en el barrio, contándose todo. Hay una idea de privacidad que se rompe todo el tiempo. Otras culturas son mucho más distanciadas.

Así se arman las comunidades en estos territorios. Muy de puertas pa’ fuera. Lo que queda adentro es mucho menos en comparación a otras sociedades. En este contexto, hablar de la importancia de la privacidad supone un esfuerzo distinto, una estrategia distinta.

Qu'est-ce que le droit à la vie privée dans un quartier populaire d'une ville comme Cali, en Colombie ? Où les maisons sont ouvertes à tous, où des familles nombreuses partagent une même maison, où les gens vivent dehors, dans le quartier, et se racontent tout. L'idée de vie privée est inexistante. D'autres cultures sont beaucoup plus distantes.

C'est ainsi que se construisent les communautés dans ces territoires. La porte vers l'extérieur. Contrairement à d'autres sociétés, beaucoup moins de choses restent à l'intérieur. Dans ce contexte, parler de l'importance de la protection de la vie privée exige un effort différent, une stratégie différente.

L'intersection entre genre et surveillance

Dans Tour Delirio, il n'y a que des femmes. L'intersection entre la surveillance et les femmes (ou les problèmes liés au genre) ainsi que les différences de classe et la discrimination ethnique sont des questions centrales dans le débat plus large sur la surveillance et la vie privée :

El tema de género apareció con la música. Yo empecé jugando a hacer una playlist con una amiga, con canciones que podrían habernos dedicado Google o las oficinas de vigilancia de Estados Unidos. Era un juego. Pero escuchando las letras caímos en cuenta de que había algo más. Estas canciones hablaban de mujeres. Más allá del chiste de que “every breath you take” parece escrita por la NSA [National Security Agency, por sus siglas en inglés], nos dimos cuenta de que esto es sobre un hombre que vigila a una mujer. Y de ahí pasamos a la salsa, que es la música que nos conecta más fuertemente con nuestra ciudad, con Cali. En la salsa encontramos una representación del amor como una relación de propiedad. Por generaciones hemos cantado y bailado canciones que dicen que somos propiedad de alguien y en esa medida, somos susceptibles a ser vigiladas.

Estas relaciones culturales entre violencia y género han sido un tema abordado por las feministas desde hace rato. En cuanto a la música, las críticas y los análisis se han enfocado, especialmente, a revisar el reggeatón. ¿Pero y la salsa? Ahí le pusimos más cuidado a las mezclas y a la playlist. Hemos usado un montón de metáforas para hablar de privacidad y vigilancia: el gran hermano, por ejemplo o el panóptico… Pero estos son imaginarios heredados, de activismos que han surgido en Europa o en Estados Unidos y en consecuencia, no tenemos la misma conexión con ellos. Tour Delirio propone utilizar metáforas que salen de acá, de nuestro contexto cultural. Un contexto en el que además de ser sujetos de vigilancia, si se es mujer esto puede ser muchísimo más peligroso y constante. Las historias de vigilancia que cuenta Tour Delirio son historias cotidianas que nos invitan a reflexionar sobre la relación que tenemos con nuestros teléfonos, con las cámaras de seguridad en las ciudades o con las redes sociales que usamos a diario. Además, nos invitan a cuestionar las prácticas de vigilancia social que existen en nuestro contexto latinoamericano y que se reflejan en expresiones culturales como la salsa.

Le thème du genre est apparu avec la musique. J'ai lancé une playlist avec une amie, qui comprenait des chansons qui auraient pu nous être dédiées par Google ou par les agences de surveillance des États-Unis. C'était un jeu. Mais en écoutant les paroles, on s'est rendu compte qu'il y avait autre chose. Ces chansons parlaient des femmes. Au-delà du fait risible qu'« Every breath you take » semble avoir été écrite par la NSA (Agence nationale de sécurité américaine), on s'est rendu compte que cette chanson parlait d'un homme qui surveille une femme. Et puis, nous sommes passées à la salsa, la musique qui nous relie le plus à notre ville, à Cali. Dans la salsa, l'amour est représenté comme une relation de propriété. Pendant des générations, nous avons chanté et dansé sur des chansons qui disent que nous sommes la propriété de quelqu'un et que, partant de ce principe, nous pouvions être surveillées.

Ces relations culturelles entre la violence et le genre sont abordées par les féministes depuis longtemps. Quant à la musique, les critiques et les analyses ont particulièrement porté sur le reggaeton. Et la salsa dans tout ça ? Nous avons davantage fait attention au mixage et à la playlist. Nous avons utilisé beaucoup de métaphores pour parler de la protection de la vie privée et de la surveillance : Big Brother, par exemple, le panoptique… Il s'agit d'imaginaires hérités d'activismes apparus en Europe ou aux États-Unis et, par conséquent, nous n'avons pas ce même lien avec eux. Tour Delirio utilise des métaphores d'ici, de notre contexte culturel. Un contexte dans lequel, en plus de faire l'objet de surveillance, si on est une femme, cela peut être beaucoup plus dangereux et régulier. Les histoires de surveillance racontées dans Tour Delirio sont des histoires du quotidien qui nous invitent à réfléchir à la relation que nous entretenons avec notre téléphone portable, avec les caméras de sécurité dans les villes et avec les réseaux sociaux que nous utilisons tous les jours. Elles nous invitent également à nous interroger sur les pratiques de surveillance sociale qui existent en Amérique latine et qui se reflètent dans les expressions culturelles telles que la salsa.

Si cette histoire vous a plu, vous pouvez la suivre sur Instagram @TourDelirio ou avec le hashtag #TourDelirio sur Twitter pour vous tenir informé.e.s de ce nouveau projet transmédia.

Ángel Carrión a collaboré à la création de cet article.

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