La Gambie face au cauchemar de la chasse aux sorcières sous l'ancien régime

Masirending Bojang avait plus de 80 ans lorsqu'elle a été arrêtée dans son village de Jambur, au sud-ouest de Banjul, où plus de dix ans plus tard, la Commission Vérité, Réconciliation et Réparations a ouvert ses premières auditions dans les régions. Photo via justiceinfo.net reproduite sous CC BY 2.0.

Le lundi 11 novembre, la Commission Vérité, Réconciliation et Réparations (TRRC) de la Gambie a entamé une session d'un mois se focalisant sur la pratique de la chasse aux sorcières, stratégie utilisée sous le régime de Yahya Jammeh. En 2009, ce régime a conduit des raids dans les villages et les institutions, concernant notamment l'armée, les services de renseignement et les prisons.

Beaucoup pensent que la stratégie de la chasse aux sorcières a été mise en place pour effrayer l'opposition de Yahya Jammeh et créer un climat de peur et de terreur.

Alors que le régime de Yahya Jammeh avait recours à la police pour réprimer et tuer des citoyens, les agents des forces de l'ordre ont également subi les conséquences de ces chasses aux sorcières. Le blog kerr-fatou.com en fait état :

One of the institutions that suffered Jammeh’s witch hunting was the Gambia Police Force. Before the Truth Commission on Monday, two police officers, Ken Mendy and Abdou Colley, detailed how the so-called witch doctors raided the police headquarters and accused at least six officers of being witches.

L'une des institutions qui a été la proie de la chasse aux sorcières de Yahya Jammeh est la police gambienne. Devant la Commission vérité lundi, deux policiers, Ken Mendy et Abdou Colley, ont révélé comment les soi-disant guérisseurs avaient fait une descente au poste de police et accusé au moins six policiers d'être des sorciers.

Mustapha Ceesay, ancien membre du personnel de la police gambienne (GPF) et victime présumée de la chasse aux sorcières de l'ancien président gambien Yahya Jammeh en 2009, a témoigné depuis les États-Unis par Skype devant le TRRC, selon le blog kerr-fatou.com :

The hunting began. According to Ceesay, on January 13 and 14, 2009. In these two days, the witch doctors have conducted an exercise within the police headquarters, accusing people of being witches.

On January 14, 40 people were accused of being witches within the police. These people were asked to stay together in a group waiting to be trucked away to an unknown location to be ‘cured.’

La chasse aux sorcières a commencé. Selon Mustapha Ceesay, les 13 et 14 janvier 2009. Au cours de ces deux jours, les “guérisseurs” se sont livrés à un interrogatoire au quartier général de la police, accusant les gens de sorcellerie.

Le 14 janvier, 40 personnes ont été accusées d'être des sorciers et sorcières au sein de la police. On a demandé à ces personnes de se regrouper en attendant d'être acheminées par camion vers un endroit inconnu pour être “soignées”.

Le journaliste Adama Makasuba a écrit comment ces “guérisseurs” “ont forcé les officiers supérieurs de la police du quartier général de Banjul à prêter allégeance à l'ancien président Yahya Jammeh en se tenant sous un palmier au-dessus d'une fosse sacrificielle où un coq avait été tué,” ce dont témoigne Ken Mendy, policier qui avait déposé devant la Commission (TRCC) le lundi 12 novembre.

Dans un communiqué daté de mars 2009, Amnesty International a révélé que près de mille personnes avaient été “enlevées dans leur village par des “guérisseurs“, conduites dans des centres de détention gardés secrets et forcées de boire des décoctions hallucinogènes”.

Reports suggest that officials within Gambia including the police, army and the president’s personal protection guards are accompanying ‘witch doctors’ as they carry out their campaign…

At the secret detention centers, where some have been held for up to five days, they are forced to drink unknown substances that cause them to hallucinate and behave erratically. Many are then forced to confess to being a witch. In some cases, they are also severely beaten, almost to the point of death.

Selon certaines informations, des responsables gambiens, notamment parmi la police, l'armée et les membres de la guarde personnelle du président, ont escorté des marabouts tout au long de leur campagne [de chasse aux sorcières]…

Dans les centres de détention secrets, où certains sont enfermés jusqu'à cinq jours, ils sont contraints de boire des substances inconnues qui leur provoquent des hallucinations et un comportement erratique. Beaucoup sont alors forcés d'avouer qu'ils sont des sorciers. Dans certains cas, ils sont aussi violemment passés à tabac, frôlant même la mort.

Sept ans plus tard, en 2016, gainako.com relatait que les “chasseurs de sorcières” faisaient du porte-à-porte dans le village de Kamfenda, dans la région occidentale de Foni, ancien bastion de Yahya Jammeh, pour tenter d'arrêter des citoyens pour sorcellerie :

Citizens can recall a camp was opened in Jammeh’s home village of Kanilai [southern Gambia] in 2009, where thousands of abductees were kidnapped and forced to drink ‘kubehjara’ [a locally made, potentially poisonous herb drink] by witch doctors from Mali and Guinea [brought in by Jammeh]. They said witch doctors raped some women, stole their personal items like money and cell phones and even forced them into ritual dancing in open [outdoor] spaces. Many villages were victimized, the height of the madness in [the villages of] Jambur, Makumbayaa, Barra, Sintet, Bwiam, and many others. Lots of lives were lost, others to date are faced with serious stomach complications and many others fled the Gambia to neighboring Casamance [Senegal] to avoid these abductions. To be noted that a lot of those that resisted were arrested and tried in the case for Jambur, and even one-time presidential contestant, Halifa Sallah.

Les citoyens se souviennent qu'un camp avait été ouvert dans le village de Kanilai (au sud de la Gambie) en 2009, où des milliers de personnes ont été enlevées et forcées de boire du “kubehjara” (une boisson à base d'herbes potentiellement toxique produite localement) par des marabouts du Mali et de Guinée (importée par Yahya Jammeh). Ils ont déclaré que les marabouts avaient violé des femmes, leur avaient dérobé des objets personnels comme de l'argent et des téléphones cellulaires et les avaient même forcées à danser selon un rituel dans des espaces publics. De nombreux villages ont été victimes de la folie, le summum de la folie a eu lieu dans (les villages de) Jambur, Makumbayaa, Barra, Sintet, Bwiam, et bien d'autres. Beaucoup de personnes ont perdu la vie, d'autres sont aujourd'hui victimes de graves complications gastriques et beaucoup d'autres ont fui la Gambie vers la Casamance voisine (Sénégal) pour éviter ces rafles. A noter que beaucoup de ceux qui ont résisté ont été arrêtés et jugés dans l'affaire Jambur, y compris un ancien candidat à la présidence, Halifa Sallah.

Jason Florio, photographe et écrivain londonien primé, a écrit sur ces rafles pour son projet #Portraits4PositiveChange en janvier 2019 :

Dodou Sanyang in the room of his recently deceased mother. She was one of over a thousand elderly people abducted on the order of the former president, Yahya Jammeh in 2009. Groups of Jammeh’s paramilitary troops along with his youth brigade, The Green Boys, and ‘magicians’ from Guinea went from village to village as part of a nationwide hunt for witches.

The alleged witches were held for up to five days in secret locations and made to drink ‘Kubehjaro’, a hallucinogenic substance, and then forced to confess to witchcraft. Some were also severely beaten and robbed by their captors. Some died at the detention sites, and others, like Sanyang’s mother, suffered years of illness before dying. Many in Sanyang’s village believe the elderly there were not targeted for witchcraft, but because the village had been an opposition stronghold –  Essau, Northbank Division, The Gambia.

Dodou Sanyang dans la chambre de sa mère récemment décédée. Elle faisait partie du millier de personnes âgées enlevées sur ordre de l'ancien président Yahya Jammeh en 2009. Des troupes paramilitaires de Yahya Jammeh ainsi que sa brigade de jeunes, les Green Boys [fr], et des “magiciens” de Guinée sont allés de village en village dans le cadre d'une chasse aux sorcières [en] à travers le pays.

Les sorciers et sorcières présumé.e.s ont été détenu.e.s jusqu'à cinq jours dans des lieux secrets et ont été forcé.e.s de boire du “Kubehjjaro”, une substance hallucinogène, puis d'avouer leurs sortilèges. Certains ont également été sévèrement battus et dépouillés par leurs ravisseurs. Certains sont morts dans les lieux de détention et d'autres, comme la mère de Dodou Sanyang, ont contracté une longue maladie avant de mourir. Beaucoup dans le village de Dodou Sanyang estiment que les personnes âgées n'étaient pas visées pour des faits de sorcellerie, mais plutôt parce que le village avait été un bastion de l'opposition – Essau, Northbank Division, The Gambia.

La police gambienne faisait partie des institutions et individus visés par les chasses aux sorcières comanditées sous le régime de Yahya Jammeh en 2009. Commissariat de police de Serekunda, Gambie, 2015. Photo par WildRedHen via Flickr, CC BY 2.0.

Une nouvelle chasse aux sorcières

La chasse aux sorcières sous Yahya Jammeh a brusquement cessé en 2009 lorsque le gouvernement y a soudainement mis fin sans explication et a libéré les personnes détenues, selon un communiqué d'Amnesty International datant d'avril 2009.

Mais des années plus tard, les communautés lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres et queer ont également été la cible du régime de Yahya Jammeh. Graeme Reid, le directeur du programme pour les droits des personnes LGBTQ à Human Rights Watch, a révélé en décembre 2014 :

Jammeh’s latest target is the LGBT community. In October, he signed a new criminal code that carries punishment of up to life in prison for ‘aggravated homosexuality’, which is defined in such a way as to include ‘serial offenders’ and people living with HIV who are deemed to be gay or lesbian. The new law has sparked a witch hunt against LGBT people in Gambia, with at least 14 documented arrests. Some of those rounded up have been tortured. Detainees said they were told that if they did not ‘confess,’ and also provide the names of other so-called offenders, a device would be forced into their anus or vagina to ‘test’ their sexual orientation. Those who [could] flee have sought refuge in neighboring Senegal.

La toute nouvelle cible de Jammeh est la communauté LGBT. En octobre, il a signé un nouveau code pénal qui prévoit une peine pouvant aller jusqu'à la prison à perpétuité pour “homosexualité aggravée”, qui est ainsi définie de manière à inclure les “délinquants en série” et les personnes infectées par le VIH qui sont supposées être gaies ou lesbiennes. La nouvelle loi a déclenché une chasse aux sorcières contre les personnes LGBT en Gambie avec au moins 14 arrestations recensées. Certaines des personnes appréhendées ont été torturées. Les détenu.e.s ont déclaré qu'on leur avait dit que s'ils et elles n'avouaient pas et ne fournissaient pas le nom d'autres soi-disant délinquants, un objet serait introduit dans leur anus ou leur vagin pour “évaluer” leur orientation sexuelle. Ceux et celles qui ont pu fuir ont trouvé refuge au Sénégal voisin.

Les sessions spéciales du TRCC se dérouleront en périphérie de Banjul dans les villages où la chasse aux sorcières a eu lieu, en commençant par le village de Jambur dans le sud-ouest de la capitale. Il est à souhaiter que la TRRC abordera toutes les formes de harcèlement ciblé et de terreur sous le régime de Yahya Jammeh.

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