Myanmar : après 20 années difficiles, un journal en langue môn lutte toujours pour sa survie

Photo tirée du site d'information indépendant The Irrawaddy.

La version originale de cet article [en] rédigé par Lawi Weng a été publiée sur The Irrawaddy, un site d'information indépendant au Myanmar. Elle est reprise sur Global Voices en vertu d'un accord de partage de contenu. 

Le journal Guiding Star, un hebdomadaire en langue môn publié au Myanmar, vient de fêter ses 20 ans. Nous nous sommes entretenus avec Nai Kasauh Mon, rédacteur en chef et fondateur du journal, au sujet des difficultés que pose la gestion de ce type de média dans un environnement souvent hostile.

Le groupe ethnique Môn compte environ 2 millions de personnes dans le pays, dont environ 10 % lisent le Guiding Star, un journal basé à Mawlamyine, la capitale de l’État Môn.

Selon Nai Kasauh Mon, de plus en plus de personnes lisent aujourd’hui la presse sur leur téléphone et rares sont ceux qui achètent encore les journaux.

The print media has faced major problems as people move towards digital.

La presse écrite fait face à d’énormes difficultés à mesure que les gens se tournent vers le numérique.

Le tirage est passé de près de 5 000 exemplaires en 2014 à environ 1 200 actuellement.

We are no longer covering costs. In the past we were able to pay our journalists from our marketing journals and sometimes able to save some money.

Nous ne sommes plus en mesure de couvrir les frais. Par le passé, nous pouvions payer nos journalistes grâce aux revenus de nos magazines publicitaires et parfois même garder un peu d’argent de côté.

Il a indiqué que le journal, du fait de son opposition au régime militaire, a également souffert de la répression exercée par l’État et de l'arrestation de ses journalistes.

Nai Kasauh Mon a indiqué que bon nombre de Môns ne savent pas lire la langue et que le lectorat est à présent constitué principalement de moines bouddhistes. Puisque la langue môn n’a pas encore acquis un statut officiel, les jeunes ont commencé à trouver son apprentissage inutile, a-t-il ajouté. Pour lui, l'absence d'un véritable système fédéral ainsi que prédominance de la langue birmane expliquent ce manque d’intérêt. Il estime que le Guiding Star joue un rôle clé dans la préservation de la langue môn.

Our readers love the language and it increases their ability to read more Mon literature.

Nos lecteurs adorent cette langue, ce qui leur permet d'accéder à davantage de littérature môn.

Le Guiding Star sollicite des dons dans le but de payer les salaires et Nai Kasauh Mon soutient qu'il arrêtera la publication du journal si les ventes tombent en dessous des 500 exemplaires.

If we could find 50 million kyats (US$33,200), we would use it to keep printing. If we could get 20 million kyats per year, we could deliver our journal for free to ethnic Mon.

Si nous pouvions amasser 50 millions de kyats (33 200 dollars américains), nous nous en servirions pour continuer l’impression. Si nous avions 20 millions de kyats par an, nous pourrions livrer nos journaux gratuitement au peuple Môn.

Bien que le Guiding Star publie essentiellement des articles en rapport avec le peuple môn, le journal comprend aussi des traductions de sujets d’actualité internationale. Dans chaque numéro, on peut trouver des éditoriaux, des interviews, des articles sur les affaires, ainsi qu'une rubrique divertissement.

Le journal compte 15 employés et 25 distributeurs. Il dispose aussi de personnel dans la ville frontalière de Sangkhlaburi, en Thaïlande, qui abrite une importante communauté môn.

Avis des lecteurs

Certains lecteurs ont proposé des solutions qui garantiraient la survie à long terme du Guiding Star.

Nai Banyar Hongsar, un ancien employé du journal ayant formé des journalistes môn et actuellement basé en Australie, a déclaré que le journalisme devrait porter sur la vie des populations et non sur leur appartenance ethnique. Selon lui, toute publication qui ne parvient pas à capter l’attention des lecteurs est vouée à l’échec : partout dans le monde, des groupes de presse se voient contraints de cesser leurs activités parce que leur contenu ne correspond pas aux préoccupations des gens, a-t-il ajouté.

Journalists just wrote about easy subjects and ignored the big issues, which were important for the people. They did not write about news which has a big impact and the people lose interest in the newspaper.

Les journalistes se limitaient à la rédaction de thèmes faciles et ignoraient les problèmes majeurs auxquels population attachait une grande importance. Ils ne rédigeaient pas des reportages chocs, ce qui a fait perdre à la population tout intérêt pour le journal.

Il a affirmé que les problèmes de drogue, la baisse du prix du caoutchouc, le chômage parmi les travailleurs migrants et la destruction des rizières par les inondations, étaient des thèmes intéressants.

We did not write about their difficulties, but we did write about the seasonal festival. They knew already about the festival so we did not have to report it. Young reporters sometimes do not know what they should write about.

Nous n'avons pas publié des articles portant sur les difficultés auxquelles la population est confrontée, mais avons au contraire couvert le festival saisonnier. Comme les gens connaissaient déjà l'existence de cet événement, le sujet ne valait pas la peine d’être traité. Souvent, les jeunes reporters ne savent pas quels sujets couvrir.

La une du Guiding Star montre à quel point la qualité du journal a baissé, a-t-il ajouté.

Un vénérable moine bouddhiste môn, Mon Ashin Popphahongsa, a déclaré :

We read and support Guiding Star so we can find out about Mon issues. We believe it is more reliable than other media groups on Mon issues.

Nous lisons et soutenons le Guiding Star afin de nous tenir au courant des sujets touchant le peuple môn. Pour nous, ce journal est plus fiable que les autres groupes de presse sur ces questions.

Le moine a affirmé apprécier les informations, les tribunes et les reportages politiques. Il a suggéré au Guiding Star d'investir dans la distribution et d'étendre son réseau plutôt que de privilégier le profit s'il veut garantir sa pérennité.

Min Jotamoi Anin, habitant du canton de Ye, a déclaré que la stratégie de commercialisation du journal devait être améliorée.

Social media is to blame. There are ethnic Mon who want to read Guiding Star, but they cannot buy it because of the poor distribution. I donated money this year to buy Guiding Star for our Mon national school.

Les réseaux sociaux ont leur part de responsabilité. Certains Môns désirent lire le Guiding Star, mais n'y ont pas accès en raison de sa mauvaise distribution. Cette année, j'ai fait un don afin que notre école ethnique môn puisse se procurer le journal.

D'autres éprouvent le même sentiment, mais ignorent qu'ils peuvent acheter le Guiding Star pour les établissements scolaires où l'enseignement est assuré en môn, a expliqué Min Jotamoi Anin.

L'histoire du Guiding Star

Au départ, Nai Kasauh Mon travaillait pour des groupes de défense des droits humains basés à Sangkhlaburi, de l'autre côté de la frontière. Il a compris que les citoyens devaient non seulement être informés des droits humains, mais aussi de la politique, de l'économie, de l'éducation et des questions concernant les travailleurs migrants en Thaïlande.

En septembre 1999, alors âgé de 31 ans, il fonde le Guiding Star avec trois de ses collègues .

Cependant, Microsoft Word ne permettait pas encore d'utiliser l'alphabet môn, qui a plus tard été mis au point par Nai Ork Paing, un ami de Nai Kasauh Mon.

Nai Kasauh Mon a alors contacté des moines môns de Yangon qui avaient une certaine expérience de la sphère médiatique.

Some Mon monks worked for a Mon magazine in Yangon. They knew how to write articles and were well-educated in the Mon language. I invited a monk [Nai Bee Htaw] to secretly work for us on the border. We told him how we wanted to run our publication and he served as editor.

Certains moines travaillaient pour un magazine môn à Yangon. Ils savaient rédiger des articles et maîtrisaient bien la langue. J'ai sollicité les services d'un moine [Nai Bee Htaw] en lui demandant de travailler en cachette pour nous à la frontière. Nous l'avons informé des orientations que nous souhaitions pour le journal, et il est devenu le rédacteur en chef.

À l'époque, si les militaires découvraient que quelqu'un travaillait pour les médias du côté thaïlandais, les peines encourues étaient lourdes.

Le Guiding Star n'avait pas les moyens de produire suffisamment d'exemplaires : c'est un Môn basé en Thaïlande qui s'est chargé de saisir et d'imprimer le journal à Bangkok.

He worked for us for free at first. After printing, he sent it back to the border and even distributed it to Mon migrants.

Au début, il effectuait ce travail gratuitement. Après avoir imprimé le journal, il le retournait à la frontière. Il lui arrivait même de le distribuer aux migrants môns.

A ses débuts, le Guiding Star imprimait 500 exemplaires de chaque numéro, lesquels étaient essentiellement distribués à la frontière. Pendant ce temps, Nai Kasauh Mon travaillait au Comité de secours et de développement du peuple Môn et au Programme d'éducation à distance.

I saved some money from my work and helped fund the newspaper. We almost gave up at that time as there were many difficulties.

Grâce à mon travail, j'ai économisé un peu d'argent et contribué au financement du journal. Nous avons failli jeter l'éponge en ces temps-là, car les difficultés étaient nombreuses.

Puisque Nai Kasauh Mon ne disposait pas des documents nécessaires pour entrer en Thaïlande, on lui remettait les exemplaires à la frontière.

Au début, le Guiding Star était un journal de huit pages en noir et blanc. En 2001, grâce au financement de l'ONG Burma Relief Center, il a pu passer à douze.

En 2008, grâce à l'aide de moines, le journal est publié pour la première fois en cachette dans l'État Môn, ce qui a entraîné une prise de conscience chez les habitants.

“Les moines qui nous ont aidés couraient d'énormes risques”, a reconnu Nai Kasauh Mon.

En 2010, des moines ont tenté de boycotter les élections législatives, qui, selon eux, n'étaient ni libres ni équitables, et appelé le peuple môn à se joindre au mouvement.

L'un des moines dissidents qui menait le boycott était impliqué dans la distribution du journal. Suite à son arrestation, les autorités ont perquisitionné son monastère et y ont trouvé des ordinateurs et des imprimantes. Ce moine a été condamné à plus de 10 ans de prison pour plusieurs chefs d'accusation.

Un autre distributeur, membre du Nouveau Parti de l'État Môn (NMSP en anglais), a été arrêté en 2003 et détenu pendant un mois avant d'être libéré lorsque le NMSP a trouvé un accord avec le régime.

L'arrivée au pouvoir en 2013 du gouvernement de l'ancien président U Thein Sein a permis à la presse de bénéficier d'une plus grande liberté, notamment en ce qui concerne les publications ethniques.

Les réformes ont favorisé le retour d'exil du personnel du Guiding Star, qui a alors pu rencontrer, à plusieurs reprises, les dirigeants de la communauté môn pour discuter de la manière dont le journal pourrait s'établir dans l'État Môn.

“La route vers l'État Môn était mauvaise à l'époque. Nous avons pris un bateau pour faire le voyage”, se souvient Nai Kasauh Mon.

Le Guiding Star s'est mis à réunir son ancien réseau composé d'une centaine de bénévoles qui avaient distribué le journal sous le régime militaire.

L'entreprise vendait alors 5 000 exemplaires de chaque numéro à raison de 500 kyats (0,33 $) l'unité. Après avoir passé 14 ans du côté thaïlandais de la frontière, le Guiding Star s'est établi depuis six ans  dans l'État Môn au Myanmar.

They welcomed us back. We feel strong support from the Mon. Among ethnic-minority news publications, we were the first to publish inside the country.

Ils nous ont accueillis à nouveau en leur sein. Nous percevons un fort soutien du peuple môn. Parmi les publications issues des minorités ethniques, nous avons été les premiers à distribuer à l'intérieur du pays.

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