L'amendement de la loi sur la citoyenneté en Inde ravive les craintes de discriminations contre les musulmans

Le Ministre de l'Intérieur Amit Shah défendant le projet d'amendement de la loi sur la citoyenneté à la Rajya Sabha (Chambre Haute du Parlement indien). Capture d'écran d'une vidéo YouTube de Rajya Sabha TV.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient à des pages en anglais, ndlt]

Le 11 décembre 2019, la Rajya Sabha, chambre haute du Parlement indien, a adopté à 125 voix contre 99 le projet de loi accordant le droit à la citoyenneté pour les réfugiés et immigrants des pays voisins (l'Afghanistan, le Pakistan et le Bangladesh). Cependant, ce vote n'est pas sans un bémol, qui attise la paranoïa des 200 millions de musulmans et autres minorités dans tout le pays : cette loi ne permettra qu'aux immigrants non-musulmans de demander la naturalisation.

Plus tôt dans la semaine, l'approbation du projet de loi par la chambre basse du Parlement indien avait déjà suscité de sévères comparaisons avec l'Allemagne nazie et Hitler de la part des parlementaires opposés au projet.

Ce projet de loi, défendu par le Premier ministre de droite Narendra Modi [fr], par le Ministre de l'Intérieur Amit Shah et par le Parti Nationaliste Indien (Bharatiya Janata Party – BJP), est pourtant contesté par les partis de l'opposition, dont le Congrès National Indien [fr] (Indian National Congress – INC), le Congrès Trinamool (Trinamool Congress – TMC) et l'ancien allié de Modi, le Shiv Sena.

L'ancien dirigeant de l'opposition Rahul Gandhi a tweeté que le projet de loi allait à l'encontre du principe de laïcité inscrit dans la Constitution indienne.

Le CAB (projet d'Amendement de loi sur la citoyenneté – Citizenship Amendment Bill) est une attaque contre la Constitution indienne. Quiconque le soutient attaque et tente de détruire les fondations de notre nation.

Human Rights Watch a mentionné cette discrimination dans le tweet suivant:

“The Indian government is creating legal grounds to strip millions of Muslims of the fundamental right of equal access to citizenship.”

Le gouvernement indien crée les bases légales pour évincer des millions de musulmans de leur droit fondamental d'accès à la citoyenneté en toute équité.

De vives réactions contre le projet sont apparues dans les média sociaux. Le Premier ministre du Pakistan, Imran Khan, a déclaré:

Nous condamnons fermement la législation sur la citoyenneté de la Lok Sabha (chambre basse du Parlement indien) qui viole toutes les règles internationales en matière de droits humains ainsi que les accords bilatéraux avec le Pakistan. Cela fait partie de l'idéal d'expansion de la “Nation Indienne” (“Hindu Rashtra”) du RSS (Rashtriya Swayamsevak Sangh – groupe nationaliste hindou) qui est propagé par le gouvernement fasciste de Modi.

La dirigeante du Parti du Congrès, Priyanka Gandhi, a déclaré:

La nuit dernière, à minuit, l'idylle de l'Inde avec le fanatisme et l'exclusion due à l'étroitesse d'esprit a été confirmée avec l'adoption de l'amendement de la loi sur la citoyenneté par le Lok Sabha. Nos ancêtres se sont battus corps et âme pour notre liberté.

Le droit à l'égalité et le droit à la liberté de religion sont ancrés dans cette liberté.

Mais Modi, responsable de la séparation du Jammu et du Cachemire et des coupures d'internet dans la vallée depuis le mois d'août, a tweeté en faveur du projet de loi :

Ravi de voir que le Lok Sabha a adopté le projet 2019 de (l'amendement de) la loi sur la citoyenneté après un débat riche et intense. Je remercie les nombreux députés et partis qui ont soutenu ce projet. Cette loi s'inscrit dans la lignée avec les principes centenaires de l'Inde concernant l'intégration et la confiance dans les valeurs humanitaires.

Le projet de loi sur l'amendement de la loi sur la citoyenneté (CAB) dans sa forme actuelle crée une voie à la naturalisation pour les hindous, parsis, jaïns, bouddhistes et sikhs qui font face à des persécutions dans leur pays d'origine, mais il exclue les musulmans. Cela a créé chez ces populations déjà marginalisées en Inde, la peur d'être finalement réduits à des citoyens de seconde zone.

“Ils ne peuvent aller nulle part ailleurs qu'en Inde. Les bénéficiaires du projet de loi pourront résider dans n'importe quel État du pays”, a déclaré le Ministre de l'Intérieur Rajnath Singh devant le Parlement, après un débat qui a duré toute la journée.

Des critiques se sont élevées contre l'amendement en raison de la discrimination contre les musulmans, le qualifiant d'anti-constitutionnel. Dans sa forme actuelle, la loi empêche les immigrants “illégaux” de demander la citoyenneté indienne, tandis que l'amendement a permis aux personnes de six religions différentes, à l'exclusion de l'islam, d'accéder à la naturalisation.

La Constitution indienne, qui s'inspire de celle des États-Unis, garantit l'égalité des droits indépendamment de la religion, un principe bafoué par ce projet de loi, selon les déclarations des dirigeants d'opposition faites devant le Parlement le 9 décembre dernier.

Les opposants au projet avancent qu'il viole l'Article 14 de la Constitution, qui assure l'égalité devant la loi en énonçant que “l’État ne doit refuser à personne l'égalité devant la loi ou la protection égale des lois sur le territoire indien.”

L'Inde a été et doit rester un abri pour toute communauté persécutée, indépendamment de leur religion. Ce territoire a toujours été un refuge pour ceux qui recherchent la Justice, la Liberté, l’Égalité et la Fraternité (littéralement, la base même de notre Constitution!) #NonAuCAB

Le Ministre de l'Intérieur a maintes fois annoncé la mise en place d'un Registre National des Citoyens et a défendu le projet de loi devant le Parlement, faisant l'objet de critiques de la part du Comité des Affaires Étrangères des États-Unis et de la Commission des États-Unis sur la Liberté de Religion, appelant à prendre des sanctions contre Shah et qualifiant le projet de loi de “virage dangereux dans la mauvaise direction qui mine les principes fondamentaux de la démocratie.”

En réponse, le gouvernement indien a déclaré qu'une telle initiative devait au contraire être la bienvenue et non critiquée par ceux qui sont sincèrement engagés dans l'action pour la liberté de religion.

Dans le même temps, les habitants de l'état d'Assam dans le nord-est de l'Inde ont protesté contre le projet de loi, soutenant qu'il menacerait l'identité et la culture locales en légalisant les immigrants hindous du Bangladesh.

Depuis sa ré-élection en mai dernier avec une écrasante majorité, Modi s'est attelé à la mise en œuvre de ses promesses de campagne, dont l’abrogation de l'article 370 qui garantissait l'autonomie du Cachemire. Des écoles aux hôpitaux et jusque dans les transports, l'Internet est coupé dans le Cachemire indien (la seule région indienne à majorité musulmane, qui était anciennement un État indien et constitue aujourd'hui un territoire de l'Union). Des milliers de soldats patrouillent dans les rues et les manifestations sont violemment réduites au silence.

Lire notre dossier spécial : Inside Kashmir's crisis

Un autre levier pour Modi a été le verdict rendu par la Cour suprême dans l'affaire tristement célèbre de destruction de la Mosquée de Babri en 1993, qui a été critiqué pour son favoritistme envers les hindous, au détriment des musulmans.

Le projet de loi, familièrement appelé le CAB, a aussi exclu d'autres minorités fuyant les persécutions religieuses et politiques, dont les Tibétains, les Tamouls et les Rohingyas.

Anghshuman Choudhury a écrit dans le Mumbai Mirror:

“The CAB is another example of BJP's deeply cynical and divisive politics. It makes a mockery of India's constitution.”

“Le CAB est un autre exemple de la politique profondément cynique et clivante conduite par le BJP. Il s'agit d'une parodie de la Constitution indienne.”

Plus tôt dans l'année, après un audit du registre des citoyens, le gouvernement indien a rendu 1,9 millions de personnes apatrides, en majorité des musulmans, les obligeant à se rendre dans des camps de détention. Modi, dont le mandat a été marqué par une récession de 4,5% à 7% par an, s'est concentré sur la question de “l'afflux d'immigrés” après que ses décisions infructueuses aient entravé la croissance de la troisième économie d'Asie.

Modi et Shah ont annoncé l'application du registre citoyen dans tout le pays dans l'objectif de déplacer tous les “infiltrés” d'ici 2024, au moment des préparatifs pour les prochaines élections législatives.

La théorie des deux nations [fr]

Shah a aussi déclaré que la l'amendement de la loi sur la citoyenneté n'aurait pas été nécessaire si le Congrès n'avait pas consenti à la partition de l'Inde sur une base religieuse. Mais cet argument, qui est utilisé par de nombreux parlementaires de la chambre haute, n'est pas valide car tous les fondateurs de l'Inde démocratique souhaitaient une Inde laïque avec une protection égale pour tous les citoyens.

L'activiste des droits humains Harsh Mander a appelé à une manifestation nationale de protestation contre le projet de loi:

Si le CAB passe, voici ma désobéissance civile : je m'enregistrerai officiellement comme musulman. Puis je refuserai de soumettre tout document au NRC (Registre National des Citoyens – National Register of Citizens). Je demanderai finalement la même sanction que tout musulman sans papier – centre de détention & retrait de citoyenneté. Venez rejoindre ce mouvement de désobéissance.

L’Economic Times indien a noté:

The CAB ringfences Muslim identity by declaring India a welcome refuge to all other religious communities. It seeks to legally establish Muslims as second-class citizens of India by providing preferential treatment to other groups. This violates the Constitution’s Article 14, the fundamental right to equality to all persons. This basic structure of the Constitution cannot be reshaped by any Parliament. And yet, the government maintains that it does not discriminate or violate the right to equality to all persons. This basic structure of the Constitution cannot be reshaped by any Parliament. And yet, the government maintains that it does not discriminate or violate the right to equality.

Le CAB cloisonne l'identité musulmane en déclarant l'Inde comme un refuge accueillant toutes les autres communautés religieuses. Il cherche à définir légalement les musulmans comme des citoyens de seconde zone en Inde, en accordant des traitements de faveur aux autres communautés. Cela viole l'Article 14 de la Constitution, le droit fondamental de chacun à l'égalité. Ce principe fondamental de la Constitution ne peut pas être redéfini par quelque Parlement que ce soit. Et pourtant, le gouvernement continue de soutenir qu'il ne discrimine pas ou qu'il ne viole pas le droit de chacun à l'égalité.

Alors que l'Inde continue à adopter de nouvelles lois excluant les musulmans et autres minorités, l'animosité politique s'intensifie, menaçant ses principes de laïcité.

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