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Des millions de personnes pourraient perdre leur citoyenneté dans l'état d'Assam au nord-est de l'Inde

Catégories: Asie du Sud, Bangladesh, Inde, Droit, Droits humains, Economie et entreprises, Ethnicité et racisme, Femmes et genre, Gouvernance, Manifestations, Média et journalisme, Médias citoyens, Migrations & immigrés, Politique, Réfugiés, Relations internationales
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Queue immense devant un centre de vote lors du second tour des élections de l'Assemblée d'Assam à Rupahi, Nowgaon, Assam, le 10 avril 2006. Image via Flickr de Public.Resource.Org CC-BY-2.0.

L’article original [2] a été publié sur Global Voices le 5 septembre 2019.

[Tous les liens associés renvoient à des pages en anglais, sauf mention contraire.]

Près d'1,9 million de personnes font face à la possibilité de devenir apatrides [3] dans l'état d'Assam au nord-est de l'Inde suite à la mise à jour du Registre National des Citoyens (NRC).

D'après le gouvernement assamais, l'audit des quelque 22 millions de dossiers doit permettre de détecter et d'expulser les immigrants [4] sans papiers venus du Bangladesh voisin. Alors que les tensions et les émotions se font vives, les conséquences de cette procédure se sont déjà révélées fatales pour une femme de 60 ans qui a sauté dans un puits [5] après avoir entendu une rumeur selon laquelle elle avait été exclue de la liste des citoyens.

En juin dernier, une version provisoire du registre avait été publiée [6], excluant 4,1 millions de candidats [à la citoyenneté]. La dernière mise à jour a suscité des critiques au sein même du parti au pouvoir et a laissé un grand flou sur le sort des résidents assamais exclus.

Qu'est ce que le NRC?

Le Registre National des Citoyens (NRC) [7] contient les noms et les informations pertinentes pour l'identification de tous les citoyens indiens. Il a été initié après le recensement de 1951, mais n'avait pas été mis à jour jusqu'à récemment. L'état d’Assam [8] [fr] au nord-est de l'Inde a été le premier état indien à se lancer dans ce processus.

Pour déposer une demande auprès du NRC, la population d'Assam doit présenter des documents justifiant qu'eux-mêmes ou leurs ascendants sont nés dans l'état d'Assam avant le 25 mars 1971, date officielle de la séparation. Les politiciens soutiennent que la solution contre les affrontements ethniques et religieux viendra du Registre des Citoyens, les deux tiers de la population d'Assam étant des Bengalis [9], qui sont par ailleurs majoritairement musulmans.

Overcrowded train transferring refugees during the partition of India, 1947. This was considered to be the largest migration in human history. Image via Wikipedia. Public Domain [10]

Train bondé assurant la migration des réfugiés lors de la partition de l'Inde en 1947. Celle-ci a été considérée comme étant la plus grande migration de l'histoire humaine. Image via Wikipedia. Domaine Public.

Les sentiments anti-bengalis sont profondément ancrés dans l'état d'Assam. Après la partition de l'Inde [11] en 1947, une migration de masse a eu lieu, durant laquelle les Bengalis [9] hindous ont migré de l'actuel Bangladesh vers les États indiens voisins, tels que le Bengale Occidental et l'Assam entre autres, alors que les musulmans de ces états ont dû rejoindre le Bangladesh. Cependant, cette migration de masse a créé des tensions entre les habitants locaux et les populations assamaises autochtones, conduisant à la création de mouvements anti-bengalis comme celui des Bongal Kheda [12] (Dehors les Bengalis).

Le mouvement anti-immigration s'est renforcé dans l'état d'Assam [13] dans les années 1970 après la guerre d'indépendance du Bangladesh [14], qui a été accompagnée d'une autre arrivée massive de réfugiés [15] du Bangladesh. En 1980, l'Union des Étudiants d'Assam (All Assam Students Union – AASU) a soumis un premier mémorandum réclamant la mise à jour du NRC dans le but d'expulser les “étrangers”. En 1983, plus de 2 000 Bengalis ont été assassinés lors d'un pogrom dans l'état d'Assam [16], en répercussion de la décision de la Première ministre de l'époque, Indira Gandhi, d'accorder le droit de vote aux immigrants du Bangladesh. Personne n'a été condamné. En Inde, le qualificatif de “Bangladais” est souvent utilisé comme une insulte [17], et les migrants bangladais souvent considérés spontanément comme des personnes musulmanes et sans situation légale.

La procédure de mise à jour du NRC dans l’État d‘Assam a commencé en 2013 après que la Cour suprême indienne en ait donné l'ordre [18] suite à une pétition menée par l'ONG Assam Public Works. Alors que le gouvernement de droite du Parti Nationaliste Indien (Bharatiya Janata Party [19] – BJP) poursuit son travail sur le Registre, de nombreux Bengalis musulmans d'Assam ont l'impression d'être les cibles principales du processus d'exclusion en cours.

Plus qu'une procédure défectueuse : une idée erronée…

Il existe de nombreuses allégations contre cette liste établissant le décompte final des citoyens. Certaines critiques concernent des irrégularités dans les noms sélectionnés — certains membres d'une même famille ont été ajoutés à la liste [20] alors que d'autres ont été laissés de côté. Même le parti au pouvoir (BJP) a contesté la liste finale du NRC [21].

L'ancien ministre et député Jyotiraditya M. Scindia a tweeté :

Parents inclus [sur la liste du NRC], mais leurs filles laissées de côté. Des sœurs incluses, mais leurs frères laissés de côté. Des familles d'anciens fonctionnaires (et même l'ancien président de la République!) exclues.

Les irrégularités qui sont apparues lors de la mise à jour du NRC sont affligeantes.

Mamata Banerjee, Ministre en Chef de l’État du Bengale a tweeté:

Je n'étais pas au courant auparavant du fiasco total du NRC. Alors que de plus en plus d'informations transparaissent, nous sommes choqués de voir que les noms de plus de 100 000 personnes appartenant peuple Gurkha ont été exclus de la liste. (1/3)

Un éditorial de l’Indian Express [25] déclare:

Instead of blaming the process, political parties need to recognise, perhaps, the flaw that lies in the imagination that produced the NRC. Modern societies are shaped by migration and it may be futile to engage in costly exercises to identify “outsiders”.

Au lieu de blâmer la procédure, les partis politiques devraient plutôt souligner la déficience de la pensée qui a produit le NRC. Les sociétés modernes sont modelées par les migrations et il semblerait futile de s'engager dans des activités coûteuses pour identifier les “étrangers”.

Qu'adviendra-t-il des personnes exclues?

Ceux qui ont été exclus du NRC auront 120 jours pour faire appel et prouver leur citoyenneté devant des instances régionales quasi-judiciaires nommées les “tribunaux des étrangers” [26], certaines étant déjà en activité. Ces tribunaux rendront une décision dans les six mois suivant la date d'appel. D'après des rapports, jusqu'à 400 tribunaux [27] seront mis en place pour gérer la liste.

Imaginez 1,3 milliard d'Indiens faisant la queue pour identifier quelques centaines de milliers de Bangladais musulmans présumés. Le NRC ne sert pas à identifier des Pakistanais illégaux etc. en Inde mais à victimiser notamment les Bengalis hindous du Pakistan de l'Est qui sont en fuite perpétuelle depuis la division du Bengale en 1905.

Des observateurs ont noté [31] que parmi les 1,9 million de personnes exclues de la liste, 1,3 million sont des hindous, dont 1,1 million de Bangladais. Le gouvernement BJP avait promis [32] le refuge aux Hindous persécutés du monde entier. Il reste donc à voir comment ils géreront les questions soulevées par cette liste après les procédures judiciaires.

D'après les communiqués [6], une fois que toutes les solutions disponibles prévues par la loi seront épuisées, ceux qui seront identifiés comme des migrants “illégaux” seront enfermés dans des camps de détention jusqu'à leur expulsion.

Le Ministre des Finances de l’État d'Assam, Himanta Biswa Sarma, se dit optimiste [33] pour que “l'ami de l'Inde”, le Bangladesh, accepte le retour de ces personnes.

Cependant, le Ministre des Affaires Etrangères du Bangladesh, AK Abdul Momen, a réagi à cette annonce en déclarant que le NRC était une affaire interne à l'Inde et qu’il ne pensait pas [34] que les personnes qui en étaient exclues soient originaires du Bangladesh.

There is no reason why Bangladeshis should move to India. Bangladesh is doing much better and therefore it does not look like there is any interest in any Bangladeshi to go to India.

Il n'y a aucune raison pour que des Bangladais migrent en Inde. La situation du Bangladesh s'est beaucoup améliorée. C'est pourquoi il semble improbable qu'il y ait un intérêt quelconque pour un Bangladais d'aller en Inde.

L'organisation en faveur des droits humains, Citizens for Justice and Peace (CJP) [35], assiste les personnes dans le besoin en mettant en place des numéros verts [36] disponibles dans quatre langues différentes pour fournir les informations correctes au sujet de la procédure.

Malgré tout, pour les millions de personnes exclues de la liste, l'avenir paraît bien sombre.

Vishal [37] a contribué à la rédaction de cet article.