- Global Voices en Français - https://fr.globalvoices.org -

Une famille perpétue la mémoire d'un ouvrier assassiné sous la dictature brésilienne

Catégories: Amérique latine, Brésil, Droits humains, Histoire, Médias citoyens, Politique

Un dirigeant syndical est mort en 1979 pendant la dictature militaire. Image : Henrique Sales Barros/Agência Mural, utilisée avec permission.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en portugais, ndlt]

Cet article a été écrit par Henrique Sales Barros. Il est publié ici grâce à un partenariat de partage de contenu entre Global Voices et Agência Mural.

Le 31 octobre 1979, Santo Dias Filho – plus connu sous le nom de Santinho – et Luciana Dias avaient, respectivement, 13 et 11 ans.

Ce jour-là, au milieu d'une foule de 30 000 personnes, ils étaient en voiture avec l‘archevêque [fr] [1] de São Paulo de l'époque, Dom Paulo Evaristo Arns, en route pour la cathédrale de Sé. Là, ils ont assisté à la messe des funérailles de leur père, Santo Dias [2], décédé la veille, lors d'une manifestation ouvrière.

Santo Dias distribuait des tracts à la porte de l'ancienne usine de tubes cathodiques Sylvania, à Campo Grande dans le sud de São Paulo, lorsqu'il a été abattu d'une balle dans le dos lors d'une intervention des forces de police tentant de réprimer les travailleurs en grève.

En plus d'être un leader syndical, Santo Dias était également actif en tant que leader communautaire avec son épouse, Ana Dias, dans leur quartier de Vila Remo, dans le district de Jardim Ângela, également au sud de la capitale. Il était par ailleurs membre de la Pastorale ouvrière [3] du Brésil.

Aujourd'hui, quarante ans après ces événements tragiques, Santinho et Luciana Dias sont des adultes âgés respectivement de 53 et 51 ans. Ensemble, le frère et la sœur sont les principaux représentants du comité de Santo Dias qui encourage et soutient l'organisation d'événements destinés à perpétuer la mémoire du métallurgiste.

Aujourd'hui, Luciana Dias est la coordinatrice pédagogique d'une école à Jardim São Luís au sud de São Paulo. Photo : Henrique Sales Barros/Agência Mural, utilisée avec permission.

Le comité, constitué peu après la mort de Santo Dias, se charge officiellement de la commémoration de son souvenir tous les 30 octobre à 14 heures devant l'ancienne usine Sylvania, rue Quararibéia. Aujourd'hui, il y a un immeuble à cet endroit.

Sur le sol, les gens peignent en rouge les mots “Ici l'ouvrier chrétien Santo Dias da Silva a été assassiné le 30 octobre 1979 par la dictature militaire [4]“. Ensuite, ils parcourent les 500 mètres qui les séparent du cimetière de Campo Grande où Santo Dias est enterré. 

Au moment de la mort de Santo Dias, 15 ans s'étaient écoulés depuis le coup d'État militaire [fr] [5] de 1964 au Brésil qui renversa le président João Goulart [fr] [6]. Le pays était alors gouverné par le général João Baptista Figueiredo [fr] [7] à une époque où l’ouverture [8] politique et le retour à la démocratie commençaient à être évoqués. Cependant, ce n'est qu'en 1985, six ans plus tard, qu'un civil [fr] [9] allait à nouveau occuper la présidence.

Selon Luciana Dias, le rassemblement est essentiel pour que la mémoire de son père ne se perde pas. “Il a été une voix bâillonnée [10] par la dictature et une voix bâillonnée a toujours beaucoup à dire” a-t-elle déclaré.

Les réunions du comité se tiennent dans une salle du couvent de la Sainte Trinité dans le quartier de Santo Amaro au sud de la capitale. C'est là que Santo Dias s'était installé en 1962, après avoir migré depuis Terra Roxa, ville de l'État de São Paulo.

Toute personne désireuse de se joindre aux réunions est la bienvenue. “Il y a [dans les réunions du Comité] des prêtres, des évêques, des étudiants universitaires, des amis de Santo Dias”, précise Santinho Dias.

Ils remettent la conservation des documents entre les mains du Cedem (Centre de documentation et de mémoire), rattaché à l'Unesp (Université d'État de São Paulo) qui possède plus de 3 500 documents dont des textes, des photographies, des vidéos et autres, relatifs au travailleur. Les archives peuvent être consultées au siège du Cedem, situé sur la place publique Praça da Sé, dans le centre-ville de São Paulo.

Luciana Dias estime que confier ces dossiers au Cedem est le meilleur moyen de les sauvegarder. “Là, tout est bien conservé, stérilisé et acclimaté. Ici [avec la famille], tous ces documents étaient rangés dans des boîtes en carton”, se souvient-elle.

Santinho Dias est diplômé en architecture et a assuré lui-même la conception de sa maison. Photo : Henrique Sales Barros/Agência Mural, utilisée avec permission.

Cette année, la famille s'est souvent scindée pour participer aux nombreux événements qui ont eu lieu parfois le même jour et à la même heure.

“De nombreux évènements ont lieu que nous, la famille de Santo Dias, ne souhaitons pas. Il y a des personnes, venues d'ailleurs, qui nous abordent et nous disent : “Regardez, venez ici, nous allons rendre hommage à votre père”, raconte Santo Filho Dias.

Le samedi 26 octobre, par exemple, Santinho Dias s'est rendu dans la ville de São José dos Campos, à une heure de route de São Paulo, pour participer à une manifestation du Syndicat des chauffeurs en l'honneur de son père. Entre-temps, Luciana Dias s'est rendue au Mémorial de la Résistance [11], dans le centre de São Paulo, où il y avait un centre de détention créé par la dictature, pour participer au lancement de la deuxième édition du livre biographique “Santo Dias : Quand le Passé rejoint l'Histoire.”

Cet ouvrage a été écrit par Luciana Dias avec l'aide du journaliste Jô Azevedo et du photographe Nair Benedicto. La première édition est sortie en 2004 et le livre renferme plus de 60 témoignages de religieux, de familles, d'amis et de travailleurs retraités proches de Santo Dias.

Luciana Dias raconte qu'elle a grandi avec l'idée d'écrire un livre sur son père : “On dispose déjà d'un tas de récits sur des patrons, des barons ou encore des colonels mais le récit d'un ouvrier n'a jamais été jugé digne d'intérêt”, explique-t-elle.

Mémoires pour l'avenir

Quand on la questionne sur la façon dont les jeunes des quartiers périphériques ont contribué à perpétuer la mémoire de son père, Luciana Dias s'est remémoré la pièce de théâtre inspirée de sa biographie qu'elle est allée voir en février, et qui était jouée par un groupe de jeunes de l’usine culturelle Capão Redondo [12].

Luciana Dias a assisté à la pièce “Os Santos Dias do Capão [13]“, réalisée par Ícaro Rodrigues, 34 ans, au théâtre de Mungunzá, dans le centre de São Paulo. Lorsqu'elle a été présentée aux jeunes interprètes à la fin de la pièce, elle a noté qu'ils étaient surpris de la voir et ils l'ont remerciée de sa venue entre larmes et sourires. “C'était très émouvant”, a-t-elle confié.

Elle a également mentionné les coordinateurs, les enseignants et les étudiants d'Ubuntu, un réseau de cours pré-universitaires dans le sud de São Paulo, dont l'une des filières porte le nom de son père. Ils ont collaboré avec le comité et ont réalisé une affiche avec un code QR qui renvoie à une page [14] d'information sur Santo Dias.

Santinho Dias s'est déclaré serein sur le fait que la mémoire de son père sera entretenue même si lui, sa sœur ou les personnes qui ont été en contact étroit avec lui ne sont plus de ce monde. “Le souvenir de Santo Dias n'est plus le nôtre, ni celui de notre famille : il appartient désormais au monde entier”, a-t-il ajouté.