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Une série d'enlèvements et d'arrestations signale une dégradation inquiétante des droits humains en Tanzanie

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Tanzanie, Cyber-activisme, Droit, Droits humains, Gouvernance, Guerre/Conflit, Jeunesse, Liberté d'expression, Manifestations, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique

Tito Magoti est un activiste pour les droits humains en Tanzanie. Photo fournie par le Legal Human Rights Center (LHRC).

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt]

Une série d'enlèvements et d'arrestations d'activistes pour les droits humains en Tanzanie le mois dernier a suscité un tollé dans la presse internationale, qui a souligné la “dégradation spectaculaire [1]” des mesures de protection des droits humains dans la nation est-africaine.

Le 24 décembre 2019, l'activiste pour les droits humains Tito Magoti a été inculpé pour crimes et délits économiques en vertu de la Loi sur le crime organisé et la délinquance économique. Il s'agit de la 137e affaire de ce type en 2019, selon le Legal and Human Rights Center (LHRC), où Magoti travaille en tant qu'agent de programme. Selon l'agence de presse Reuters, il a été accusé [2] d'être “chef de file d'un réseau criminel” et de “posséder un programme informatique destiné à commettre un délit et à blanchir de l'argent sale”.

Ces chefs d'accusation ne permettent pas la mise en liberté provisoire et l'affaire risque de mettre des années avant d'être jugée. Ces dernières années, l'augmentation des enlèvements, arrestations, détentions et inculpations pour crimes économiques fabriqués de toutes pièces touchant les activistes et journalistes pointent vers une tendance inquiétante au muselage de l'opposition en Tanzanie.

“Mener un réseau criminel”, selon l'interprétation de la Loi sur le crime organisé et la délinquance économique [Cap 200 R.E. 2002], signifie être à la tête d'un groupe ou d'un gang mettant en péril l'économie. [Le journaliste] Erick Kabendera en a été accusé, de même que Tito Magoti et Theodory Faustine. Ils seront incapables de prouver [l'existence] de “gangs” et la nature de leurs activités criminelles!

Le LHRC a déclaré la disparition de Magoti le vendredi 20 décembre, l'activiste ayant été enlevé par cinq hommes inconnus dans la ville côtière de Dar es Salaam. La police a ensuite confirmé que Magoti avait été arrêté [2] pour “diverses allégations” mais a refusé de révéler son lieu de détention pendant presque cinq jours.

Tito Magoti a été inculpé pour crimes économiques après avoir été victime d'un enlèvement, avant d'être arrêté officiellement. Photo fournie par le Legal Humain Rights Center.

Un collègue de Magoti, l'expert en technologie Theodory Giyan Faustine, 36 ans, a également été arrêté le 19 décembre, selon une dépêche [6] de la LHCR. Il a ensuite été inculpé pour les trois crimes économiques évoqués dans l'affaire Magoti le 24 décembre.

Giyan “a été contraint de tendre un piège à Tito [Magoti], l'incitant à se rendre à l'endroit où il a été enlevé. Les deux activistes ont été menottés et ont été conduits les yeux bandés”, selon un témoignage de Magoti transmis par ses avocats, dans un communiqué publié par le LHRC.

Magoti a été transféré dans différents postes de police avant que sa famille et ses amis ne puissent le localiser, tandis que Giyan est resté en détention au même poste de police avant d'être mené au tribunal avec Magoti.

Selon le LHRC, Magoti a confié à ses avocats que la police l'avait interrogé à propos de son activisme en ligne et des relations qu'il entretenait avec plusieurs activistes et dissidents de premier plan. Les deux collègues sont maintenus en détention jusqu'à leur audience, qui est prévue le 7 janvier.

Le LHRC a lancé une procédure judiciaire [7] auprès de la Haute Cour tanzanienne contre le préfet de police de Dar es Salaam, Lazaro Mambosasa et le garde des sceaux, Adelardus Kilagi, pour irrégularités dans le mode d'arrestation et de détention de Magoti. La directrice exécutive du LHRC, Anna Henga, a rappelé que la détention d'un citoyen pendant plus de 24 heures sans inculpation en bonne et due forme ni possibilité de libération sous caution constituait un crime :

De nombreux internautes on comparé la situation de Magoti à celle du journaliste Erick Kabendera, qui a été enlevé à Dar es Salaam en juillet 2019. La police a ensuite reconnu avoir arrêté Kabendera et a dans un premier temps essayé d'ouvrir une affaire mettant en cause sa citoyenneté, avant de changer de tactique. Il a finalement été inculpé pour crimes économiques, entre autres pour blanchiment d'argent. Kabendera continue de croupir derrière les barreaux, son audience ayant été ajournée dix fois [12].

Abandonné par ses ravisseurs

Le 23 décembre, quelques jours avant l'enlèvement et l'arrestation de Magoti et Giyani, les internautes craignaient un nouvel enlèvement, celui du journaliste d'investigation et activiste Bollen Ngetti. Ngetti publie régulièrement des chroniques politiques sur les médias sociaux.

Le lendemain, Ngetti a été retrouvé vivant, au soulagement de tous. Dans une interview pour Watetezi TV, Ngetti a relaté son calvaire, expliquant qu'il avait été enlevé par un groupe d'hommes qui se décrivaient comme des “agents de sécurité”. Ils lui ont fait subir un interrogatoire sur sa relation avec l'ancien Ministre des Affaires étrangères, Bernard Membe. Ngetti dit avoir nié tout lien avec Membe, mais les ravisseurs ont confisqué son téléphone mobile et continué à l'interroger avant de finalement le relâcher 24 heures plus tard.

Tandis que Ngetti s'est sorti indemne de cette épreuve, Magoti, Giyani et Kabendera viennent allonger la liste des journalistes et activistes en détention et pris pour cible par un gouvernement de plus en plus répressif [22] sous la présidence Magufuli.

Depuis l'arrivée au pouvoir de John P. Magufuli en 2015, une série de lois, de propositions de loi et de politiques liberticides ont fortement restreint la liberté d'expression en Tanzanie. Récemment, la Loi sur les statistiques [23] a criminalisé la publication de données chiffrées sans l'aval du gouvernement, tandis que la Loi contre la cybercriminalité [24] [fr] de 2015 accorde des pouvoirs démesurés à la police pour surveiller les contenus publiés en ligne considérés comme de l'infox (fake news) ou de l'incitation à la haine. Ces lois, parmi d'autres, ont facilité la répression contre quiconque est suspecté d'être en opposition au gouvernement.