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Taïwan : un pays non reconnu ?

Catégories: Asie de l'Est, Chine, Taïwan (ROC), Droit, Guerre/Conflit, Histoire, Médias citoyens, Politique, Relations internationales

Tank gonflable exposé sur la Place de la Liberté à Taipei dans le cadre de la commémoration du 30e anniversaire [1] du Massacre de Tiananmen en mai 2019. Photo de Filip Noubel, utilisée avec autorisation.

Le statut juridique de Taïwan est l’un des sujets les plus contestés dans le domaine des relations internationales. À Taïwan même, la plupart des 23 millions d’habitants considèrent leur île comme un État souverain dénommé République de Chine (RDC), tandis qu’une petite partie de la population réclame l’indépendance totale. Le gouvernement chinois maintient que Taïwan est une province de la République Populaire de Chine (RPC), bien que celui-ci ne contrôle pas l’île politiquement et administrativement. Pékin s’oppose fermement à toute description faisant de Taïwan un État souverain ou indépendant. Les citoyens de la Chine continentale ont des opinions diverses sur le statut de Taïwan, mais ils ont tendance à suivre le point de vue de leur gouvernement en public. Par ailleurs, le sujet a occupé une place majeure dans le cadre de la campagne des élections présidentielles de janvier 2020 à Taïwan.

De quand la division date-t-elle ?

La RDC et la RPC sont deux entités distinctes qui tirent leurs origines de deux partis politiques autrefois alliés, puis ennemis lors d’une guerre civile qui les a amenés à gouverner des territoires différents.

Le premier parti se nomme le Kuomintang [2] (KMT, en chinois 中國國民黨, ou littéralement le Parti nationaliste chinois). Fondé en 1911, parallèlement à l’effondrement de la dernière dynastie chinoise Qing et à l’avènement de la république [3], son idéologie repose sur les Trois principes du peuple [4] que sont le nationalisme, la démocratie et la justice sociale. Il est important de préciser que le Parti communiste chinois (PCC) adhérait aussi à ces principes dans ses premières années et que les deux mouvements étaient originellement soutenus par l’Union soviétique [5].

La seconde formation est le Parti communiste chinois [6] (PCC, en chinois 中国共产党), fondé en 1921. Son idéologie repose sur le communisme. Il a d’abord adopté le modèle soviétique avant de développer le sien. Jusqu’en 1927, le PCC a généralement servi de soutien et d'allié au KMT [7].

Après cette date, les deux formations se sont séparées pendant quelques années, principalement à cause de divergences idéologiques. Cependant, elles se sont réunies en 1931 dans un effort commun visant à lutter contre l’invasion japonaise de la Mandchourie [8]. Cette période connue sous le nom de Deuxième front uni chinois [9] a duré jusqu’au début des années 1940. Les deux camps se sont une nouvelle fois séparés durablement à cause d’ambitions rivales.

En 1946, les deux partis se sont engagés dans une véritable guerre civile [10] qui s’est achevée en 1949, avec la prise de contrôle de la Chine continentale par le PCC et l’exil du KMT vers l’île de Taïwan, entraînant avec lui plus de 2 millions de soldats et de réfugiés. À compter de 1949, chaque camp se considérait comme l’unique représentant légal de la Chine.

La République de Chine à Taïwan

Voiture d’un partisan de la République de Chine ornée du drapeau de la RDC à Taipei. Photo de Filip Noubel, utilisée avec autorisation.

Tandis que le monde basculait dans la Guerre froide [11], qui divisait les continents et les pays entre ceux soutenus par Moscou et ceux soutenus par Washington et l’Occident, l'importance de Taïwan devenait de plus en plus significative. La Guerre de Corée [12], puis la Guerre du Viêt Nam [13], faisaient de l’île une base politique, stratégique et militaire au service des intérêts américains en Asie. Ainsi, Washington aidait économiquement la République de Chine à Taïwan et lui apportait un soutien politique et militaire, tout en refusant de reconnaître la République populaire de Chine sur le plan diplomatique. Ces années cruciales ont permis au KMT d'asseoir sa domination sur la société taïwanaise et de moderniser progressivement l’économie de l’île.

Le basculement vers Pékin

Néanmoins, l’Occident ne pouvait indéfiniment ignorer l’émergence politique et économique de la Chine. Ainsi, dès les années 1960 [14], un certain nombre de pays occidentaux décident de rompre leurs relations diplomatiques avec Taipei en faveur de Pékin, alors que la Chine maintient le principe de la « Chine unique [15] » comme prérequis à l’établissement de tout rapport diplomatique. Les États-Unis ont établi des relations diplomatiques avec la RPC le 1er janvier 1979 [16].

Toutefois, dans les faits, environ 50 pays [17] maintiennent des bureaux de représentation à Taïwan. Ceux-ci effectuent la majorité des missions généralement prises en charge par les ambassades et les consulats. Fin 2019, seuls 15 pays entretenaient encore de véritables relations diplomatiques avec Taïwan.

La communauté internationale utilise parfois le terme « Taipei chinois [18] » pour mentionner Taïwan. Ce nom est surtout utilisé lors des Jeux olympiques, mais des institutions comme l’Organisation internationale du travail l'emploient également.

La République de Taïwan ?

Tandis que la communauté internationale se satisfait du statu quo, qui permet d'effectuer des échanges distincts avec Taïwan et la Chine, certains mouvements politiques plaident pour un changement des deux côtés du détroit de Formose.

À Taïwan, il existe un mouvement [19] réclamant l’abandon du terme République de Chine et des références à cette dénomination, au profit du nom Taïwan, ou République de Taïwan. Deux partis politiques sont particulièrement actifs sur ce sujet : l’Alliance Formose [20] et l’Union pour la solidarité de Taïwan [21]. Ce mouvement tire ses origines de l’occupation japonaise [22] de 1895 à 1945. Depuis les années 1990, il a débouché sur la création de partis politiques et de mouvements citoyens qui revendiquent des droits culturels et linguistiques.

À l’extrême opposé se trouve le KMT, qui défend l’identité de la République de Chine et espère une réunification de Taïwan et de la Chine à long terme.

La position du Parti démocrate Progressiste (PDP) est beaucoup plus ambiguë [23] : dans le cadre de la coalition pan-verte, il soutient la reconnaissance de Taïwan en tant qu’État souverain et n’envisage pas de réunification avec la RPC. Néanmoins, sa définition des frontières d’un tel État varie selon le calendrier électoral et les opinions de ses leaders et hauts responsables. Elle pourrait inclure l’unique territoire de Taïwan ou évoluer lors de la proclamation de la République de Taïwan.

« Un pays, deux systèmes » : la solution de Pékin

Pour Pékin, l’idée d’un État taïwanais indépendant est inacceptable [24]. Le gouvernement chinois ne cesse de rappeler que la réunification sous le contrôle du PCC caractérise sa politique officielle et sa stratégie [25] pour l’avenir. Par ailleurs, il n’exclut pas l’usage de la force militaire. De même, il est convaincu que le modèle dit « Un pays, deux systèmes [26] », actuellement appliqué à Hong Kong et Macao, constitue le socle de la réunification.

Parallèlement, Pékin renforce sa politique d'isolement de Taïwan sur le plan diplomatique et dans d’autres domaines. Le gouvernement de la RPC est déjà parvenu à convaincre un certain nombre de pays ayant reconnu Taïwan de rompre leurs liens avec la République de Chine en faveur de la République populaire de Chine. En outre, le gouvernement chinois impose ses opinions dans de nombreuses activités économiques, forçant les compagnies aériennes étrangères, les commerçants en ligne et les acteurs éducatifs et culturels à utiliser le terme « Taïwan, Chine » dans le cadre de la promotion de leurs services [27] ou de l’annonce de leurs événements. L'utilisation de cette dénomination permettrait d’éviter d’éventuelles représailles, sanctions, ou interdictions d’accès au marché chinois.