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Une avocate nigériane spécialiste des droits humains obtient une nouvelle ordonnance restrictive contre le gouvernement

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Nigéria, Droit, Droits humains, Gouvernance, Liberté d'expression, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique, Advox
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Maître Gloria M. Ballason est avocate spécialiste des droits humains et animatrice de l'émission de radio “House of Justice,” dans l'État de Kaduna au Nigéria. Capture d'écran via Bridgewater State University/IREX/DC.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt]

Le 15 janvier 2020, la Haute Cour de l’État de Kaduna au Nigéria a accordé une ordonnance provisoire à Me Gloria M. Ballason interdisant au gouvernement nigérian de l’arrêter. Cette décision intervient en réponse à la plainte déposée par Me Ballason pour violation de ses « libertés fondamentales » notamment la liberté d’expression et la dignité humaine – en vertu du Titre IV, article 4 [2] [fr] de la Constitution nigériane.

Il s'agit de la deuxième ordonnance provisoire de ce type émise contre son arrestation.

Photo de Gloria M. Ballason, avocate spécialiste des droits humains, photo publiée avec son aimable autorisation.

Me Ballason est une des associées principales du cabinet Mive Legals dans l’État de Kaduna. Spécialiste des droits humains, elle est également chroniqueuse et productrice de l’émission de radio House of Justice. Me Ballason a publié des articles critiques à l’égard du gouvernement de l’État de Kaduna.

Me Ballason a fait l’objet d’intimidations et de harcèlement [3] constants de la part du gouverneur de l’État de Kaduna, Nasir El-Rufai, et de son administration. Ces agissements s'inscrivent dans un contexte de répression croissante de la liberté d’expression et de la dissidence au Nigéria.

Entre novembre et décembre 2019, des officiers de la police nigériane de l’État de Kaduna ont visité son bureau [4]à Barnawa à plusieurs reprises. Selon son témoignage  [5]détaillé sur Facebook [6], elle a été harcelée, menacée et intimidée depuis le 28 novembre 2019, date à laquelle les visites ont commencé :

Since 28 November, 2019, the police have laid siege on the office of House of Justice, in Barnawa, Kaduna, reportedly in search of me. House of Justice is a public interest advocacy and legal service centre in Kaduna, Nigeria. I lead its advocacy work. Over the past decade, I have established and practised Law from Kaduna. On that day, three hefty men, claiming to be from the State Criminal Investigation Department (SCID), Kaduna reportedly showed up on Thursday, 28 November, 2019 and requested for me. My colleagues in chambers informed them that I had gone out.

Depuis le 28 novembre 2019, la police qui vraisemblablement me recherche, assiège les locaux de House of Justice situés à Barnawa (Kaduna). House of Justice est un cabinet de défense de l’intérêt général et un centre de services juridiques à Kaduna au Nigéria. J’assure la direction du travail de plaidoirie. Depuis une dizaine d'années, je me suis établie [professionnellement] et je pratique le droit à Kaduna. Ce jour-là, trois hommes d'une corpulence imposante, se réclamant du Département d’investigations criminelles de l’État de Kaduna (SCID) se seraient présentés le jeudi 28 novembre 2019 et auraient demandé à me rencontrer. Mes collègues du cabinet leur ont indiqué que j'étais absente.

Me Ballason précise que selon le chef de la police de l’État de Kaduna, les visites à son cabinet sont intervenues suite à une plainte déposée par l’ingénieur.e EK Gaiya, un.e simple citoyen.ne. Me Ballason y est citée comme étant une « criminelle notoire ».

M./Mme Gaiya avait initialement envoyé sa plainte au bureau du gouverneur exécutif de l’État de Kaduna le 20 octobre 2019, y faisant état de 40 ans d’« attaques criminelles contre la vie et les biens » et réclamant des enquêtes sur 20 personnes et organisations figurant sur la liste, notamment sur une certaine « Barr. Gloria », dont le nom apparaît en 13e position.

Mme Ballason affirme ne pas connaître M./Mme Gaiya. Ses avocats ont obtenu une copie de la plainte qui a également été examinée par Global Voices pour vérification.

Le 20 janvier 2020, Me Ballason a déclaré à Global Voices via Whatsapp :

The petition was written to the governor’s office and copied to the [All Progressives Congress Party] APC ruling chairman and police. The petition was not addressed to the police. How do they act on an allegation they were merely copied into? The petition [cites complaints that I am] 40 years old and I am in my mid-30s. How spurious and laughable does it get. Yet I, my colleagues and family was subjected to incalculable psychological torture. I couldn’t work. I had to leave the state until I obtained the court interim order.

La plainte a été déposée au bureau du gouverneur et une copie a été envoyée au président du Parti du congrès de tous les progressistes (APC, parti politique de l’actuel président nigérian Muhammadu Buhari) et à la police. Elle n’a pas été directement adressée à la police. Comment les forces de l’ordre peuvent-elles agir à la suite d’une allégation pour laquelle elles ont simplement été mises en copie ? Il est affirmé dans la plainte que je suis âgée de 40 ans alors que j’ai la trentaine, la situation est grotesque. Pourtant, mes collègues, ma famille et moi avons été soumis à une torture psychologique inouïe. Je ne pouvais pas travailler. J’ai dû quitter le Kaduna jusqu’à ce que l’ordonnance provisoire du tribunal me soit accordée.

Lorsque l’avocat de Mme Ballason a fait des recherches plus approfondies sur la plainte et les visites, la police a envoyé à Me Ballason le 18 décembre, une convocation pour une audition en invoquant « l’abus de confiance criminel et la fraude ».

Lors de son interview accordée via Whatsapp, Me Ballason a déclaré à Global Voices que cette convocation ne dévoilait pas l’identité de la personne qui avait porté plainte ni n’établissait de faits. Les avocats de Mme Ballason ont obtenu une photo du document qui a également été examiné par Global Voices.

Ce calvaire l'ayant alertée sur les risques qu'elle encourait, Me Ballason a déposé une motion ex parte le 7 janvier 2020, contre l’inspecteur général de la police, le commissaire de police et le gouvernement de l’État de Kaduna.

Le 15 janvier 2020, la Haute Cour de l’État de Kaduna lui a accordé une ordonnance provisoire interdisant au gouverneur El-Rufai de procéder à son arrestation.

Intimidations et harcèlement constants

Me Ballason a fait l'objet de persécutions de la part du gouverneur El-Rufai et été menacée d'arrestation pour la première fois en 2016, suite à la publication le 28 novembre d'un article [8] intitulé Kaduna: lorsque le gouvernement tue. Mme Ballason avait rédigé cet article pour sa chronique juridique hebdomadaire [9] dans le quotidien nigérian Blueprint Newspaper. L'article a été retiré depuis.

« Les villages vivent dans la misère. Les communautés sont devenues des foyers de désespoir car elles sont soumises à la perfidie et à la violence brutale », écrivait-elle à propos de la détérioration de la qualité de la sécurité à Kaduna comme cela a été republié sur Signal (un journal nigérian en ligne).

Me Ballason a poursuivi le gouverneur pour violation de son droit fondamental d'exprimer son opinion et a obtenu gain de cause. La Haute Cour de l’État de Kaduna a condamné le gouverneur El-Rufai à une amende de 50 000 nairas nigérians (environ 125 euros) pour violation du « droit à la vie » de l'avocate, selon un rapport du Daily Post de mai 2017. La décision de la Cour interdit également au gouverneur d'arrêter, de poursuivre et d'emprisonner la jeune avocate pour avoir publiquement exprimé son opinion.

Dès lors, Me Ballason a représenté plusieurs clients importants dont les droits ont également été violés par le gouverneur – notamment l'entrepreneur des médias Audu Maikori. La Haute Cour fédérale d'Abuja lui a accordé 40 millions de nairas nigérians (environ 100 000 euros) de dommages et intérêts en compensation de son arrestation et sa détention illégales entre février et mars 2017, selon un communiqué [10] de Punch datant d'octobre 2017.

Les internautes déplorent le manque de liberté d'expression

De nombreux Nigérians supposent que le récent conflit entre Mme Ballason et les forces de l’ordre a été déclenché en raison de sa nomination en qualité d’avocate principale [11]de Chidi Odinkalu, un éminent militant des droits humains, dans les poursuites en cours contre le gouvernement de l’État de Kaduna.

M. Odinkalu accuse le gouvernement de l’État de Kaduna de « nombreuses violations de ses droits fondamentaux en vertu de la constitution de 1999, notamment la liberté d’expression, le droit à un procès équitable et la dignité humaine », d’après le journal nigérian The Guardian [12].

Le journaliste et auteur Ohimai Godwin Amaize établit un lien entre le harcèlement dont est victime Me Ballason et sa qualité d’avocate principale de M. Chidi Odinkalu :

Les atteintes aux droits humains se poursuivent au #Nigéria, alors que l’avocate de @ChidiOdinkalu, Gloria Ballason, accuse la police nigériane de harcèlement. Gloria est l’avocate principale d’Odinkalu dans un procès contre @elrufai et 4 autres personnes pour de multiples violations présumées des droits d’Odinkalu.

Edetaen Ojo, un militant pour les droits numériques et la liberté d’expression en ligne a déclaré que « les principes fondamentaux de la démocratie et de l’État de droit [étaient] maintenant la cible d'attaques au Nigéria » :

Les principes fondamentaux de la démocratie et de l’État de droit sont désormais attaqués sans relâche au Nigéria et nous nous éveillons à une brutale réalité : chassez le naturel, il revient au galop. “L’avocate de Chidi Odinkalu, Gloria Ballason accuse la police de harcèlement”.

Jeff Nnaka, souligne les similitudes entre l’affaire Ballason et la situation d’autres avocats :

Ces affreux scénarios sont devenus NORMAUX avec ce gouvernement APC (parti au pouvoir au Nigéria) ! Maître Ifeanyi Ejiofor @MaziNnamdiKanu l'avocat du mouvement pro-Biafra #IPOB a été attaqué par la Direction de la police d'Anambra & maintenant Maître Gloria Ballason est poursuivie par la police de Kaduna censée la protéger.

QUEL PAYS SANS LOI.

Amnesty International au Nigéria fait part de ses préoccupations face aux intimidations et au harcèlement croissant à l’égard Me Ballason par les autorités nigérianes, et exhorte le chef de la police de l’État de Kaduna à respecter, protéger et défendre les droits humains sans aucune discrimination :

Amnesty International craint que les forces de l’ordre nigérianes n'intensifient le harcèlement et les intimidations à l’encontre de Gloria Ballason @GMabeiam — une avocate établie à #Kaduna. Nous invitons le chef de la police de l’État de Kaduna à respecter, protéger et défendre les droits humains sans aucune discrimination.