Risquer sa vie en tant que journaliste dans un narco-État

Des soldats et des policiers alignés devant les manifestants contre le coup d'État de 2009 au Honduras. 11 août 2009. Crédit photo: Francesco Michele/Flickr

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt]

Selon l’Observatoire de l'UNESCO des journalistes assassinés, 38 journalistes ont été tués au Honduras depuis 2010. Plus de 70% des enquêtes ne sont toujours pas résolues.

Ces statistiques placent le Honduras en tête du classement des pays les plus dangereux du continent américain pour les personnes exerçant la profession de journaliste.

L'ONG Reporters sans frontières a noté en particulier que les journalistes [fr] qui s'expriment librement ou qui critiquent ouvertement le gouvernement “sont régulièrement agressés, menacés de mort ou contraints à l’exil. Des procédures judiciaires abusives sont régulièrement engagées contre les journalistes ; les peines de prison pour diffamation sont fréquentes et sont parfois assorties d’interdictions d’exercer la profession”.

Dans un récit à la première personne rédigé pour le journal salvadorien El Faro, Jennifer Ávila, directrice du site d'information hondurien Contra Corriente [es], explique les difficultés du métier de journaliste dans son pays :

In Honduras, doing independent journalism means constantly running into a wall. This wall is built by mafia-run institutions that have silenced and terrorized whole communities. To simplify a complex reality, the media has labelled the country a narco-state.

Au Honduras, être journaliste indépendant signifie constamment se heurter à un mur. Ce mur est érigé par des institutions pilotées par la mafia, ayant réduit au silence et terrorisé des communautés entières. Afin de simplifier une réalité complexe, les médias ont qualifié le pays de narco-État.

Pourtant, d'après Ávila, ce sont “la peur et la méfiance” de la population qui menacent le plus le journalisme hondurien : les journalistes sont perçus soit comme étant à la botte du gouvernement, soit comme des activistes politiques. Admettant que certains médias suivent effectivement cette tendance, Ávila constate que cela laisse peu de place aux journalistes indépendants pour gagner la confiance de la population et faire la lumière sur la vérité :

Journalists covering street protests are often labelled as “sell outs” or as “reporters of the people.” On one hand, they are seen as victims of the demonstrations, while on the other hand they are seen as aggressors. The popular belief that journalism is done to attack others and not to reveal truth explains a lot about power structures in Honduras. Journalism can either show the consequences of an event or turn that same event into a problem. It turns Honduras into even more of a hostile environment for journalism.

Les journalistes couvrant les manifestations sont souvent perçus comme des “vendus” ou bien comme des “reporters du peuple”. D'un côté ils sont vus comme victimes des manifestations, et de l'autre il sont vus comme des agresseurs. La croyance populaire selon laquelle le journalisme sert à attaquer les autres et non à révéler au grand jour la vérité en dit long sur les structures du pouvoir au Honduras.  Le journalisme peut soit montrer les conséquences d'un événement, ou dépeindre ce même événement comme un problème. Cette logique fait du Honduras un environnement d'autant plus hostile pour les journalistes.

Ávila soutient également que les reportages tragiques sur les migrants renvoyés au Honduras, comme par exemple dans sa ville natale d’El Progreso [fr] au nord du pays, devraient aller au-delà de l'aspect humanitaire. Ces récits devraient approfondir le rôle joué par les structures de pouvoir, ce qui entraînerait peut-être davantage de vigilance vis-à-vis des autorités. Elle écrit :

I told the story of Pilar, a member of COFAMIPRO, a committee made up of the mothers who organize every year to travel to Mexico in search of their sons or daughters who have disappeared while migrating north. Pilar has spent years searching for her daughter. (…) To be a mother in Honduras is to know that you may find your child’s body hacked into pieces. To be a journalist in Honduras is to know that these stories are not an exception. The country is in pain. Telling these stories means it’s also necessary to tell what causes them, but that’s just where more problems begin.

J'ai raconté l'histoire de Pilar, membre du COFAMIPRO [es], un comité composé de mères, qui organise chaque année un voyage au Mexique afin de partir à la recherche de leurs filles et de leurs fils disparus lors de leur migration vers le nord. Pilar a passé des années à la recherche de sa fille. (…) Être mère au Honduras implique de savoir qu'on risque un jour retrouver son enfant coupé en morceaux. Être journaliste au Honduras implique de savoir que ces histoires ne sont pas des exceptions. Le pays souffre. En racontant ces récits, il est également nécessaire d'en détailler les causes, mais c'est aussi la source de bien d'autres problèmes.

Pour lire le récit en entier, rendez vous sur le site d’El Faro.

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