En Jamaïque, un nouvel outil replace le pouvoir entre les mains du peuple

Capture d'écran de la page d'accueil du Portail jamaïcan d'évaluation des responsabilités. Le site a pour but d'encourager les citoyen.ne.s à s'engager activement dans les procédures de contôle du pouvoir.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais]

Dans une région où le gouvernement est rarement sanctionné pour son manque de transparence et ses actes de corruption, il semble que la Jamaïque ait finalement trouvé un moyen d’évaluer la performance du gouvernement et d’exiger davantage de ses élus.

Lancé durant le dernier trimestre de 2019, le portail jamaïcain d'évaluation des responsabilités (JAMP de son acronyme anglais) est un site web révolutionnaire créé pour suivre les actions du gouvernement (dont les abus de pouvoir et les infractions à la loi) en donnant aux citoyens un accès illimité à leurs représentants politiques et en les informant sur le fonctionnement de leur gouvernement.

Construit autour d’un “Account-A-Meter” qui permet aux particuliers, aux organisations de la société civile, aux médias, aux chercheurs (et au gouvernement lui-même via les commissions de contrôle parlementaire) de surveiller les manquements aux politiques publiques ou à la réglementation, le site offre aux visiteurs un accès direct à des agents spécialisés dans la supervision des responsabilités de l’État.

Le site dispose d’autres fonctionnalités utiles : un système de suivi de chaque député qui rapproche ainsi les électeurs de leurs représentants parlementaires et offre la possibilité d’évaluer leur performance ; un outil permettant aux citoyens de suivre en temps réel la progression des projets de loi dans les deux chambres du Parlement et de communiquer avec leurs élus.

Créée par Jeanette Calder, JAMP est une société non partisane, non gouvernementale et à but non lucratif qui se consacre à l'amélioration de la gouvernance en Jamaïque. J'ai rencontré Calder à son bureau de Kingston pour discuter – sous l'oreille attentive de son petit chien Baxter – de la manière dont elle espère que le JAMP comblera le fossé entre les responsables politiques et les citoyens. Ce qui est principalement ressorti de notre entretien, c'est que Calder est optimiste et qu’elle espère un changement positif.

Jeannette Calder, fondatrice et directrice du JAMP. Photo de JAMP, reproduite avec autorisation.

Emma Lewis (EL) : parlez-nous un peu de ce qui vous a inspirée pour créer JAMP. Comment votre vision s'est-elle développée ?

Jeanette Calder (JC): I was inspired when I came back to Jamaica in 2012 (I had been living in the Netherlands). A public opinion survey had revealed that 60 percent of Jamaicans thought it was a mistake to gain independence. I thought that was really sad. The worst part of it was I felt the same way! This was “post-Dudus” [a Jamaican drug lord whose extradition to the United States led to a standoff between his community and state authorities] so the country was really not feeling at its best. I had returned to Jamaica to serve the public sector, where I had worked for six years and loved it. I was looking forward to contributing to the government’s Public-Private Partnership Policy — that was my area of specialisation — but this survey led me to rethink, to redefine “public service.” So I opted to serve via social advocacy.

Jeanette Calder (JC) : J’ai été inspirée lors de mon retour en Jamaïque en 2012 (Je vivais auparavant aux Pays-Bas). Un sondage d’opinion a révélé que pour 60% des Jamaïcains, avoir obtenu l'indépendance était une erreur. J’ai trouvé cela vraiment triste. Le pire, c’est que je ressentais la même chose ! C’était “l’après-Dudus” [un baron de la drogue jamaïcain dont l'extradition vers les États-Unis a conduit à une impasse entre sa communauté et les pouvoirs publics], donc le pays n'était pas au meilleur de sa forme. J’étais retournée en Jamaïque pour me mettre au service du secteur public où j'avais travaillé pendant six ans et j'adorais ça. J’étais impatiente de pouvoir contribuer à la politique de partenariat public-privé du gouvernement (c'était mon domaine de spécialisation) mais ce sondage m'a amenée à repenser, à redéfinir le service public. J'ai donc choisi de servir la défense des droits sociaux.

EL : JAMP est-il un outil de lutte contre la corruption ?

JC: I don’t see JAMP as an anti-corruption tool, although it can reveal that. Accountability is different! It takes in issues like waste and inefficiency, which has nothing to do with corruption. Our goal is to improve public financial management so we have more resources to redirect towards social spending, developing and advancing the nation. We are tired of seeing news with people saying, “For ten years the water lock off.”

I don’t think you can “fight corruption.” Corruption happens in the dark. I can’t tell when it’s happening. Let's hold people accountable for not doing their job, not honouring the rules and policies that are in place! Once you start doing that, it takes care of a lot of the corruption. That is […] how I think it needs to be done.

JAMP is not going to be a crutch for people to lean on. It is a tool for people to use. If they see people taking it seriously, politicians will take it seriously.

Accountability is not just a key — it is the master key to change.

JC : Je ne vois pas le JAMP comme un outil de lutte contre la corruption, même si cela peut sembler être le cas. L'évaluation des responsabilités, ce n'est pas la même chose ! Cela englobe des questions comme le gaspillage et l'inefficacité, qui n'ont rien à voir avec la corruption. Notre objectif est d'améliorer la gestion des finances publiques afin de disposer de plus de ressources à réorienter vers les dépenses sociales, le développement et le progrès de la nation. Nous en avons assez de voir aux informations des gens qui disent « L’eau a été coupée depuis dix ans. »

Je ne pense pas que l’on puisse « lutter contre la corruption. » La corruption se produit dans l’obscurité. Je ne peux pas dire quand cela se produit. Mettons les gens devant leurs responsabilités quand ils ne font pas leur travail ou qu'ils ne respectent pas les règles et les politiques qui sont en place ! Une fois que vous commencez à faire ça, cela va éliminer une grande partie de la corruption. C’est […] à mon avis, la meilleure façon de procéder.

JAMP ne servira pas de béquille sur laquelle s'appuyer. C’est un outil que les gens peuvent utiliser. S’ils voient que le peuple le prend au sérieux, les politiciens le prendront au sérieux.

La responsabilisation n'est pas seulement une clé, c'est la clé principale du changement.

EL:  Y a-t-il d'autres façons d'utiliser JAMP ?

JC: JAMP is an educational tool and we are going to build it out in that direction. Students can find out more about the ministers, who is who, what the functions of parliamentarians are, how a Bill becomes law and the process [it goes through], things like that.

JAMP is bridging the gaps in accountability. There is an information gap and there is an access gap.

JC : JAMP est un outil éducatif et nous allons le développer dans ce sens. Les étudiants pourront en savoir plus sur les ministres, qui est qui, quelles sont les fonctions d’un Parlement, comment un projet de loi devient une loi et le processus [par lequel il passe], des choses comme ça.

JAMP comble les lacunes en matière de responsabilité. Il y a un déficit d'information et un déficit d'accès.

EL: Que pensent nos parlementaires de JAMP ?

JC: That’s a really good question. I have written to all of the Members of Parliament at least twice; they are aware of it. I have received only five responses to my requests for their constituency development reports.

It has been a little quiet… [Laughs].

We are expanding to the senators. I am not clear how the public is to communicate with them. Many are on social media in their personal capacity. We will have to meet to find out how citizens can contact them via the website.

JC : C’est une très bonne question. J’ai écrit au moins deux fois à tous les députés ; ils sont au courant. Je n’ai reçu que cinq réponses à mes demandes de rapports sur le développement de leurs circonscriptions.

Ça a été un peu calme… [Rires].

Nous nous ouvrons aux sénateurs. Je ne sais pas comment le public pourra communiquer avec eux. Beaucoup sont sur les médias sociaux à titre personnel. Nous devrons organiser une réunion pour savoir comment les citoyens peuvent les contacter via le site web.

EL: Quelle est l'importance du rôle de la technologie ?

JC: Very important. Traditional methods are costly. We will still organise meetings [and] “on the corner” sessions, but we will be taking the tool to the people. Schools can use it; teachers can base their homework assignments on it. Digital penetration is well over 1.5 million now, and about the same number have smartphones.

JC : Très importante. Les méthodes traditionnelles coûtent cher. Nous continuerons à organiser des réunions [et] des sessions « au coin de la rue », mais nous apporterons l'outil aux gens. Les écoles peuvent l’utiliser, les enseignants peuvent s'en servir pour donner des devoirs à la maison. La pénétration du numérique est de plus 1,5 million aujourd'hui, et à peu près autant de personnes possèdent un smartphone.

EL: Existe-t-il des équivalents de JAMP au niveau mondial ?

JC: We are all connected. I am already thinking about networking internationally. Though there are other civil society organisations that track government performance, I have looked but have not yet found any that track breaches in this citizen-friendly digital design that we use. There are other civil society organisations that track government performance, but not in the way we are doing it.

We did find one website in Mexico, but the tracking of breaches is done by the government. I commend them for that, but there is a big difference. It’s not the prettiest website and though it is rich with data, is it not presented in a way that is easily understood by site visitors. It doesn’t make sense to inform citizens and then leave them to figure it out on their own — you want to connect the dots and show them what actions they can take.

JC: Nous sommes tous connectés. Je pense déjà à la création d'un réseau international. Bien qu'il y ait d'autres organisations de la société civile qui suivent les performances du gouvernement, j'ai cherché mais je n'ai pas encore trouvé d'organisations qui suivent les infractions grâce à un système numérique facile d'utilisation pour citoyens comme nous le faisons. Il existe d’autres organisations de la société civile qui suivent les performances du gouvernement, mais pas de la même manière.

Nous avons trouvé un site web au Mexique, mais le suivi des infractions est assuré par le gouvernement. Je les félicite pour cela, mais il y a une grande différence. Le site n'est pas le plus attrayant qui soit et bien qu’il soit riche en données, celles-ci ne sont pas présentées de manière à être facilement comprises par un visiteur du site. Ça n’a pas de sens d’informer les citoyens et de les laisser se débrouiller par eux-mêmes, il faut être plus explicite et leur indiquer les actions qu'ils peuvent entreprendre.

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