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« Code PIN parental » : la bataille de l'extrême droite espagnole pour le contrôle de l'éducation publique

Catégories: Europe de l'ouest, Espagne, Censure, Cyber-activisme, Dernière Heure, Droit, Droits humains, Education, Femmes et genre, LGBTQI+, Liberté d'expression, Média et journalisme, Médias citoyens, Migrations & immigrés, Politique, Religion
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Captures d'écran de fausses images partagées par le parti d'extrême droite Vox en soutient à leur proposition de veto parental dans les écoles. Photo montage créé par l'auteur avec des images de maldita.es CC BY-SA 3.0

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en espagnol, ndlt]

Depuis le début de l'année 2020, le parti d'extrême droite espagnol Vox a intensifié [2] ses efforts de campagne, plusieurs mois après que sa proposition de mise en place d'un dispositif de « code PIN parental [3] » dans les écoles ait été acceptée [4] et mise en place dans la Communauté autonome de Murcie, dans le sud-est de l'Espagne. En Murcie, le gouvernement régional — une coalition entre les partis conservateurs du Partido Popular et Ciudadanos — a besoin du soutien de Vox pour valider son budget.

Ce « code PIN parental », dont le nom fait référence au système de sécurité des téléphones portables, a été mis en place dans les écoles [5] de la région de Murcie en septembre 2019, et Vox souhaite étendre cette mesure aux régions de Madrid et d'Andalousie [6]. L'Espagne est actuellement en proie à un débat houleux autour de l'éducation publique.

Vox défend l'idée que les parents auraient le droit d'éduquer leurs enfants comme ils l'entendent, et souhaite que, par conséquent, les parents puissent « expressément donner leur autorisation [7] concernant tout sujet, atelier de travail, toute discussion ou activité touchant à des questions morales socialement controversées ou sur la sexualité » qui serait animé dans les écoles par des personnes extérieures au corps enseignant.

Grâce à ce veto parental, les parents en Murcie peuvent empêcher leurs enfants de participer à des ateliers et des interventions [8] extra-scolaires.

Ces ateliers portent sur divers sujets, tels que l'éducation sexuelle [9], les violences misogynes [10], l'égalité des genres [11], les identités LGBTQI [12] ou encore l'immigration, autant de sujets décrits par Vox comme de « l'endoctrinement » de la part de « lobbies » [13], relayant ainsi l'opinion des branches les plus traditionnelles de l'Église catholique [14].

Des groupes, comme la Fédération nationale des personnes Lesbiennes, Gays, Transgenres et Bisexuelles [Federación Estatal de Lesbianas, Gais, Transexuales y Bisexuales], affirment [15] que les ateliers proposés sont conformes à la loi espagnole sur l'éducation [16], mettant l'accent notamment sur « les valeurs de liberté individuelle, de responsabilité, de citoyenneté démocratique, de solidarité, de tolérance, d'égalité, de respect et de justice, ainsi qu'un accompagnement afin de surmonter tout type de discrimination ».

La ministre de l'Éducation nationale, Isabel Celaá, a déclaré qu'à l'inverse, le « code PIN parental » allait à l'encontre de cette loi [17]. La ministre a déposé un recours contentieux administratif [18] contre cette mesure dont elle souhaite la suspension [19] immédiate.

L'organisation étudiante [20] féministe Libres y Combatives [21] (Libres et Combatives), a entre-temps appelé à une grève générale le 6 mars prochain pour protester contre « un retour à la brutalité franquiste [22] ». Selon plusieurs analystes [23], Vox puise certaines de ses idées dans la dictature de Francisco Franco [24] [fr], qui a gouverné l'Espagne pendant près de quatre décennies.

La polémique envahit les réseaux sociaux

La débat fait rage sur les réseaux sociaux, où les utilisateurs se servent de ces plateformes pour exprimer leur opinion sur cette mesure. La ministre de l'Égalité, Irene Montero, y a clairement exprimé la position du gouvernement sur le sujet :

PP et Vox persistent à remettre en cause les enseignants de ce pays et à attaquer l'éducation publique ainsi que les institutions qui nous permettent de vivre ensemble. L'apprentissage de l'égalité et de la vie affective et sexuelle est un droit.

De nombreux utilisateurs ont critiqué la mesure avec humour :

« Bonsoir, êtes-vous le professeur d'histoire de l'art de mon fils ?
— Oui.
— Je voulais simplement vous faire savoir qu'il ne sera pas en classe demain, en vertu du code PIN parental.
— Et pour quelle raison ?
— Parce que vous leur enseignez le baroque et que nous sommes une famille néoclassique. Je ne vous permettrai pas d'endoctriner mon fils avec ces délires churrigueresques. »

Quand tu appliques le code PIN parental sur ton enfant pour qu'il ne sorte pas fumer entre son atelier de Masturbation Collective et ses cours de Culte Satanique.

L'utilisateur Twitter Anzarda a exprimé ses doutes quant à l'influence des enseignants sur leurs élèves :

La foi qu'a cette la loi dans l'influence des enseignants est adorable. Ils n'arrivent pas à nous apprendre à écrire correctement, mais ils réussiraient à nous transformer en homosexuels…

Certaines personnalités défendent le veto parental, comme Pablo Casado [30] [fr] du Partido Popular et actuel représentant de l'opposition au Parlement :

Mes enfants m'appartiennent à moi, pas à l'État, et je me battrai pour que ce gouvernement radical et sectaire n'ordonne pas aux parents comment élever leurs enfants. Ce sont nos familles, bas les pattes !

Une stratégie de désinformation

Au milieu de cette polémique, Vox est accusé d'avoir lancé une campagne de désinformation [33], afin de montrer en quoi, selon eux, le veto parental est nécessaire. Leurs membres et partisans de la mesure ont fait circuler une série d'images et de vidéos sur Twitter contenant des messages ayant un lien plus ou moins ténu avec des activités pédagogiques.

Plusieurs sites internet ont exposé ces infox [« fake news » en français] issues de l'extrême-droite, notamment des sites spécialisés dans la vérification d'informations comme Newtral [34] ou Maldita.es [35].

Iván Espinosa de los Monteros, le représentant de Vox au Congrès, a dû se justifier lors d'une interview sur la chaîne espagnole RTVE [36], sur la publication en ligne [37] d'une vidéo par un membre de la classe politique. Bien que la vidéo soit tirée d'une performance artistique filmée au Brésil, Iván Espinosa de los Monteros en a fait un parallèle avec l'enseignement de l'éducation sexuelle en Espagne.

¿Por qué es necesario el pin parental que Vox propone? Para que los padres puedan negarse a que sus hijos les enseñen este tipo de burradas. (…) Aunque lo que hayamos visto ahí sea una ‘performance’ es una burrada. (…) Así adoctrinan a menores de seis años en sexología en las escuelas de La Rioja.

Pourquoi le dispositif de code PIN parental défendu par Vox est-il nécessaire ? Pour que les parents puissent refuser de soumettre leur enfant à un enseignement ridicule comme celui-ci. (…) On voit bien ici qu'il s'agit d'une performance, mais ça reste ridicule. (…) C'est comme ça que des enfants de moins de six ans sont endoctrinés sur la sexologie dans les écoles de La Rioja.

Cela fait un moment que Vox véhicule de fausses informations concernant les activités extra-scolaires. Le site de vérification d'informations Maldita Hemeroteca [38] a compilé plusieurs de ces infox :

La zoophilie, le fétichisme des pieds, les relations homosexuelles entre les enfants : voici les choses qui seraient enseignées dans les écoles, affirme (à tort) Vox, afin de défendre leur mesure de « code PIN parental ».

Accessible sur @Juliaenlaonda

Une solution à un problème inexistant ?

La polémique ne semble pas répondre à une réelle demande de la part des parents. La journaliste Rosa Roda [42], originaire de Murcie, écrit [43] notamment :

265.000 alumnos de Infantil, Primaria y Secundaria y ni una sola queja o denuncia registrada en la Consejería de Educación por actividades o charlas complementarias inadecuadas en colegios e institutos de la región de Murcia.

[il y a] 265 000 enfants en maternelle, écoles primaires et secondaires, et pas une seule plainte ou accusation n'a été déposée auprès du Rectorat concernant des activités extra-scolaires ou des discussions inappropriées dans les établissements scolaires de la région de Murcie.

Il en est de même pour Madrid, où Vox souhaite également mettre en place le dispositif de code PIN parental :

Le ministre de l'Éducation de Madrid (issu du Partido Popular) a partagé l'information suivante concernant les plaintes sur les interventions dans les écoles : « Sur un total d'environ 1 240 000 élèves, 53 000 enseignants et 1200 écoles, nous avons constaté UNE seule plainte écrite et DEUX sur Twitter. Nous avons mené une enquête suite à ces plaintes, et il en ressort, en réalité, que rien ne s'était passé. »

La polémique s'est intensifiée et a atteint son paroxysme lorsque Twitter a suspendu [45] le compte de Vox pour « incitation à la haine », suite à la réponse du parti à la députée socialiste Adriana Lastra disant qu'ils ne toléreraient pas « le financement de la pédophilie avec de l'argent public [46] ». À ce jour, leur compte reste suspendu.

L'ironie de la situation n'a pas échappé aux utilisateurs Twitter :

Twitter faisant usage du code PIN parental à l'encontre du compte Twitter de Vox : cela entre officiellement dans la compétition des moments les plus poétiques de l'année.