Surveillance des élections présidentielles de 2020 : une interview avec le Taiwan Fact-Check Center

Capture d'écran du Taiwan Fact Check Center.

Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en chinois.

Si les débats des élections présidentielles donnent généralement l'occasion aux candidats d'exposer leur plateforme politique et de parfaire la présentation de leurs compétences, peu de téléspectatrices et téléspectateurs vérifient la véracité de leurs dires. Mais l'élection présidentielle taïwanaise de cette année était différente. Pour la première fois, le Taiwan Fact-Check Center a vérifié les affirmations prononcées lors des débats télévisés des présidentielles de 2020 diffusés en direct le 29 décembre 2019.

Face au phénomène de désinformation, les initiatives de vérification des faits (fact-checking) vont grandissant à travers le monde, et Taïwan n'échappe pas à la tendance. Le Taiwan Fact-Check Center s'est constitué en juillet 2018 et a, depuis sa création, réalisé des opérations de vérification des faits sur des sujets controversés, ce qui lui a permis d'asseoir sa crédibilité auprès des Taïwanais. En aval du débat en direct qui s'est tenu entre les trois candidats à la présidence (l'actuelle présidente  fraîchement réélue, Tsai Ing-wen [en], le maire de Kaohsiung Han Kuo-yu [en] et le président du Parti pour le peuple (PFP) James Soong [en]), l'organisation a dû relever le défi de produire un rapport de fact-checking disponible dans la nuit-même.

Pour en savoir plus sur la nuit du débat, Huang Hung Yu, éditeur de Global Voices en langue chinoise, a interviewé Summer Chen, rédactrice en chef du Fact-Check Center.

Global Voices (GV) : Pourquoi le centre a-t-il décidé de réaliser une vérification des faits en simultané du débat présidentiel ?

Summer Chen (SC): Public affairs are one of the major concerns for the Taiwan Fact Check Center. During the presidential election debate, candidates explain their stances and policy platforms on a number of social and political issues. All of these issues are within the arena of public affairs.

Summer Chen (SC) : Les affaires publiques sont l'une des principales sources de préoccupation du Taiwan Fact-Check Center. Pendant le débat de l'élection présidentielle, les candidats expliquent leurs points de vue et plateformes politiques sur un certain nombre de questions sociales et politiques. Toutes relèvent du domaine des affaires publiques.

GV : Avez-vous consulté d'autres organisations de fact-checking à l'étranger en préparation du projet ?

SC: Last October, we contacted other fact check organizations in the 2019 forum on professional fact-checking in Asia. We found out that many overseas fact-checking organizations (in Indonesia, for example) collaborate with local political beat journalists to conduct presidential debate fact-checking as they are more familiar with political news and have ties with political analysts.

Originally, we also planned to work with other journalists, but ended up doing the fact-checking on our own, as we needed to set a standard, a workflow and topics for the team. It would indeed take too much time to communicate with other organizations on the common framework which is used to analyse other election topics in addition to the presidential debate.

SC : En octobre dernier, nous avons pris contact avec des organisations de fact-checking lors du forum 2019 des professionnels de la vérification des faits en Asie. Nous avons appris que de nombreuses organisations de fact-checking étrangères (en Indonésie, par exemple) collaborent avec des journalistes politiques locaux pour la vérification de faits pendant les débats présidentiels car ils sont plus au fait des actualités politiques et ont des liens avec les analystes politiques.

Au début, nous avions aussi prévu de travailler avec d'autres journalistes, mais nous avons fini par réaliser les vérifications nous-mêmes car nous avions besoin d'établir une charte et de définir une charge de travail et des thématiques pour l'équipe. Ça aurait pris trop de temps d'échanger avec les autres organisations sur la charte commune déjà utilisée pour l'analyse des thèmes électoraux autres que le débat présidentiel.

GV : Comment le centre s'est-il préparé à la vérification des faits pendant le débat présidentiel ?

SC: We made a list of potential debate topics based on their previous policy speeches: the 2020 presidential election policy presentations, the 2018 Kaohsiung Mayoral election debate and previous presidential election debates. The topics were economics, public security, transportation, culture, military affairs, cross-strait relations etc. Then we divided the topics into content that could, or could not be verified.

SC : Nous avions dressé une liste des sujets de débat potentiels en nous basant sur leurs précédents discours : les présentations du programme des élections présidentielles de 2020, le débat pour l'élection en 2018 du maire de Kaohsiung et le dernier débat présidentiel. Il s'agissait de sujets relatifs à l'économie, à la sécurité publique, aux transports, à la culture, aux affaires militaires, aux relations entre les deux rives du détroit, etc. Nous avons ensuite réparti les sujets en contenus pouvant être vérifiés ou non.

GV : Comment décidez-vous de ce qui peut être vérifié ?

SC: If the content is backed by official and authentic documents or has been reported by multiple media outlets, it can be verified. If it comes from an opinion report, we have to look for other media sources. For example, when we fact-checked a claim that “Taiwan legislators sing in Cross-Strait exchange trip in China”, we gathered news reports from the Chinese government-affiliated “China Review News” as well as reports from Taiwan United Daily News, Liberal Daily or Apple Daily as cross-references. And we only checked the factual aspects of the reports, not the opinion parts.

If the content is not backed by facts or historical events we cannot verify it. For example, the claim that “Han Kuo-yu is the biggest beneficiary of the internet army” cannot be verified, as there is no academic study or research about the exact definition of “internet army” (trolls). We cannot make up the definition.

In addition, we also analyzed the presentation style of the presidential candidates. Since Tsai Ing-wen is more careful in her presentation, much of her content can be checked. As for Han, his presentation is tainted with strong opinions and we can only focus on specific topics to verify. Hence, we cannot compare the credibility of the two candidates based on the number of their mistakes. Mistakes cannot be measured like this.

SC : Si le contenu est adossé à des documents officiels et authentiques ou s'il a été rapporté par plusieurs organes de presse, il peut être vérifié. S'il provient d'un article d'opinion, nous devons chercher d'autres sources. Par exemple, pour vérifier une déclaration selon laquelle « Les législateurs taïwanais chantent au cours d'un voyage d'échange sur le détroit en Chine », nous avons réuni les articles du China Review News, affilié au gouvernement chinois, ainsi que des articles du Taiwan United Daily News, du Liberal Daily ou de l’Apple Daily pour croiser les sources. De plus, nous n'avons vérifié que les parties relatives aux faits, pas celles exprimant une opinion.

Si le contenu ne s'attache à aucun fait ou événement historique, nous ne pouvons pas le vérifier. Par exemple, l'affirmation « Han Kuo-yu est le principal bénéficiaire de l'armée de trolls », ne peut pas être vérifiée car il n'existe aucune étude ou recherche universitaire sur la définition exacte de ce qu'est une « armée de trolls ». On ne peut pas inventer la définition.

Nous avons par ailleurs analysé le style des présentations des candidats à la présidentielle. Comme Tsai Ing-wen prend plus de soin à se présenter, une bonne partie de ses propos peut être vérifiée. Pour ce qui est de Han, sa présentation étant entachée d'avis tranchés, nous ne pouvons nous concentrer que sur des thèmes spécifiques pour les vérifier. Par conséquent, nous ne pouvons pas comparer la crédibilité des deux candidats d'après leur nombre d'erreurs. Les erreurs ne peuvent pas être évaluées de cette manière.

GV : Comment avez-vous mené le fact-checking en simultané du débat télévisé ?

SC: We had two fact-checkers taking turns listening to and transcribing the debate. Another verifier picked out the topics in the transcript, and the chief editor then decided if the content should go through the verification process. Once I made the decision to proceed, another reporter began the fact-checking process, first by looking into the reports and documents that we had prepared for the topics. If we did not have related information in our documentation, the reporter had to find another way to verify the content.

As our verification report was written by the team in a shared document, the chief editor did the first proofread. Then Hu Yuan-hui, our center's advisor and professor at the Journalism and Communication Department of the National Chung Cheng University, went through a second round of proofreading. In the process, if professor Hu decided that the report needed more backup information, he would work with the team to fill in the gaps. Finally, the report was published online.

SC : Deux fact-checkers se relayaient pour écouter et retranscrire le débat. Un autre vérificateur sélectionnait des sujets dans la transcription, puis la rédactrice en chef décidait si le contenu devait être soumis au processus de vérification. Dès que je prenais la décision de poursuivre, un autre journaliste lançait la procédure de vérification des faits en commençant par regarder dans les rapports et documents que nous avions rassemblés par thématique. Si aucune information correspondante ne se trouvait dans notre documentation, le journaliste devait trouver un autre moyen de vérifier les contenus.

Comme le rapport de vérification était rédigé par l'équipe dans un document partagé, la rédactrice en chef en effectuait la première relecture. Puis Hu Yuan-hui, notre conseiller pour le centre et professeur au département Journalisme et Communication de l'université nationale Chung Cheng, effectuait une seconde relecture. Si, au cours du processus, le professeur Hu jugeait que le rapport nécessitait plus d'informations pour étayer les faits, il travaillait alors avec l'équipe pour combler les trous. Le rapport était ensuite publié en ligne.

GV : Le centre a utilisé un autre ensemble de catégories pour marquer ou étiqueter les résultats de la vérification lors du débat des élections présidentielles. Pourquoi avoir fait ces ajustements ?

SC: Usually we use “wrong”, “correct”, “partially wrong” to flag verified content. During our preparation, we felt that the “right” and “wrong” labels may generate an anchoring bias for the audience. Hence, we changed the flagging system with nine other labels including “consistent”, “inconsistent”, “partially inconsistent”, “inconsistent and non-backed claim”, “impartial”, “non-backed claim”, “position shifted”, “correct but claim non-backed”. Our hope is that the audience can think deeper about the content and make their own judgement.

SC : D'habitude, on utilise les labels « Faux », « Correct » et « Partiellement faux » pour marquer les contenus vérifiés. Mais pendant notre préparation, il nous a semblé que les labels « Vrai » et « Faux » pouvaient induire un biais d'ancrage chez le public. Nous avons alors modifié le système d'identification en ajoutant neuf labels supplémentaires dont « Cohérent », « Incohérent », « Partiellement incohérent », « Déclaration incohérente et non prouvée », « Impartial », « Déclaration non prouvée », « Opinion modifiée », « [Donnée] correcte mais déclaration non prouvée ». Nous espérons permettre au public de réfléchir plus avant sur le contenu et de se faire sa propre opinion.

GV : Quelles difficultés avez-vous rencontrées pendant le processus de vérification ?

SC: During the elections, government bodies released a lot of data to backup certain claims. For example, the Kaohsiung city government released its achievement report to backup Han Kuo-yu’s speech. The Executive Yuan, the Ministry of Internal Affairs and other administration bodies had also released data during the election. But in the past, they did not release regular data reports and hence we could not compare with past records.

For example when we checked on Han Kuo-yu’s claim that 40,000 factories and companies had been shut down in 2019, the Ministry of Economic Affairs had given us data as clarification. However, it had not provided us with previous data nor explained to us the reason behind the shut down, hence we flagged the content as “no previous data to back the comparison”.

SC : Pendant les élections, les instances gouvernementales ont publié un grand nombre de données pour appuyer certaines déclarations. Par exemple, la municipalité de Kaohsiung a publié son rapport d'activités pour soutenir le discours de Han Kuo-yu. Le Yuan exécutif, le ministère de l'Intérieur et d'autres organes administratifs ont aussi publié des données pendant l'élection. Mais comme ils n'avaient pas régulièrement publié de bulletins auparavant, il nous a été impossible de comparer avec les archives.

Par exemple, quand nous avons vérifié la déclaration de Han Kuo-yu selon laquelle 40 000 usines et sociétés auraient fermé en 2019, le ministère de l'Économie nous a fourni des données pour précision. Toutefois, il ne nous a pas fourni de données anciennes ni expliqué le pourquoi de ces fermetures, raison pour laquelle nous avons signalé ce propos avec la mention « aucune donnée antérieure pour appuyer la comparaison ».

GV : Comment les internautes ont-ils réagi aux rapports de vérification ?

SC: After we published our report that night, netizens gave us a lot of feedback. In particular, audience members with professional backgrounds, including legal experts, left comments and pointed out some of our errors. We had to go through another verification process in response to some of the comments. Some netizens asked why we did not work on certain topics as well. After an internal discussion, we chose some of the suggested topics and published another round of verification reports on December 31.

SC : Nous avons eu beaucoup de retours des internautes après la publication de notre rapport cette nuit-là. Notamment, nous avons parmi notre notre public des professionnels, dont des juristes, qui ont laissé des commentaires et pointé certaines de nos erreurs. Nous avons dû relancer un processus de vérifcation pour répondre à ces commentaires. Quelques internautes nous ont demandé pourquoi nous n'avions pas traité certains sujets. Après une discussion en interne, nous avons sélectionné quelques-uns des sujets suggérés et publié une nouvelle série de vérifications le 31 décembre.

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