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L’article d'origine a été publié le 31 janvier 2020.
En plein cœur de Port-d'Espagne, en face de la Red House fraîchement rénovée [fr], se trouve une oasis ombragée mieux connue sous le nom de « l’Université de Woodford Square » ou « Le Parlement du Peuple », en raison de son lien historique avec l'art oratoire politique et de protestation.
Le 20 janvier 2020, des activistes de la question du genre se sont retrouvé.e.s à Woodford Square pour prêter leur voix à un problème devenu endémique depuis quelque temps dans le pays : les violences basées sur le genre (VBG).
L’évènement, une commémoration en mémoire des victimes locales de féminicide, s’est tenu lors de la Journée Orangez le monde – une campagne des Nations Unies [fr], qui se déroule tout les 25 de chaque mois, afin de mettre en lumière la question des VBG.
Plusieurs organisations de la société civile et des défenseurs des droits des femmes y compris CAISO (lutte pour la justice du sexe et du genre), Womantra (organisation à but non lucratif axée sur la question des femmes), la coalition contre la violence domestique et l’association pour le planning familial du pays et l’Institut des études sur le genre et le développement du campus St Augustine de l’Université des Indes Occidentales se sont rassemblés pour honorer la mémoire des victimes et demander à l’État de protéger les vies des femmes et des filles.
Les parties prenantes, qui comptaient 20 organisations de la société civile, avaient aussi fait circuler une pétition en ligne, demandant entre autres : une responsabilité et une transparence accrues dans la prévention et la lutte contre les VBG ; un meilleur soutien pour les systèmes nationaux d'aide aux survivant.e.s et victimes ; une révision de la loi portant sur la violence domestique [pdf] et un investissement dans les programmes de réforme sociale pour faciliter le changement culturel.
Selon les chiffres communiqués lors de la manifestation, 20 femmes ont été tuées à Trinité-et-Tobago du fait des violences basées sur le genre au cours de l’année dernière. Cependant, en janvier 2020, trois féminicides sont survenus en l'espace de quelques jours, donnant une nouvelle impulsion à la campagne « Orangez le monde ». L’enseignante d’université et co-directrice de CAISO, le Dr Angelique Nixon a estimé que certaines de ces morts auraient pu être évitées, puisque les « gens savaient » que les femmes étaient menacées. « Si les procédures de signalement étaient efficaces, ces femmes seraient encore en vie », a-t-elle déclaré.
De son côté, Sabrina Mowlah-Baksh, directrice générale de la Coalition contre les violences domestiques, a pleuré des femmes « dont les vies ont été arrachées par des hommes dont la masculinité est indissociable de l'exercice du pouvoir et du contrôle sur les femmes ».
Le 21 janvier, deux jours avant la commémoration, le Service de Police de Trinité-et-Tobago (SPTT) a mis sur pied une nouvelle unité spécialisée dans les violences basées sur le genre, qui se concentrera sur les cas de violences domestiques et la violation des ordonnances restrictives. Conscient du fait que communiquer les informations précieuses à la police permet de sauver des vies, le commissaire de police, Gary Griffith encourage les témoins à déposer des mains courantes dans les cas de VBG.
Shireen Pollard, la directrice de la nouvelle unité de VBG du SPTT était présente à l’évènement « Orangez le monde ».
Stigmatisation des victimes
Malheureusement quelques jours après l'évènement, le pays perdait une autre de ses filles dans une affaire de violence conjugale. Le Newsday qui a titré : « Histoire de famille : le tueur poussé à bout », a été critiqué de toutes parts sur la façon dont il a décidé de présenter l'incident.
Sur sa page Facebook, Kathryn Stollmeyer-Wight a écrit :
Don't you dare blame the victim.
Fed up of people making excuses for violence.
Ne vous avisez pas de blâmer les victimes.
Y en a marre des personnes qui trouvent des excuses à la violence.
Darryn Dinesh Boodan, un autre utilisateur de Facebook a ajouté :
This is a deplorable headline and overall deplorable report. Singh's relatives believe that he is the real victim — not the person he murdered in cold blood.
C'est un titre déplorable, et un reportage déplorable dans son ensemble. La famille de Singh pense que c'est lui la vraie victime, et non la personne qu'il a tué de sang froid.
Plusieurs hommes ont également donné leur avis sur les réseaux sociaux. Ian Michado Royer a posté une liste des « choses à faire quand on est poussé à bout », ajoutant le commentaire suivant :
We need to stop enabling toxic masculinity and justifying psychopathic behaviour by victim shaming! If you taught your […] son some real time coping mechanisms and how to be a decent human being he wouldn’t have murdered someone because he was stressed out. #MissMeWithThatBullshit
Nous devons arrêter d'encourager la masculinité toxique et de défendre des comportements psychopathiques tels que l'humiliation des victimes. Si vous aviez appris à […] votre fils certaines stratégies d'adaptation et à être une personne raisonnable, il n'aurait pas tué quelqu'un sous prétexte qu'il était stressé. #MissMeWithThatBullshit [Ne venez pas me voir avec ces âneries]
Anthony Morgan Beach est allé dans le même sens en listant ce qui suit :
1. Men and boys need to learn to treat women better (and a lot of that falls to men to teach them);
2. We need to teach our men and boys how to cope in various aspects of their lives:
3. We men need to do more in being our brothers’ keepers.
1. Les hommes et les garçons doivent apprendre à mieux traiter les femmes (et en grande partie, cela relève de la responsabilité des hommes);
2. Nous devons apprendre à nos hommes et nos garçons à s'adapter aux différents aspects de la vie;
3. Nous les hommes, devrions tout faire pour surveiller la conduite de nos frères.
L'une des meilleures amies de la victime, Christa Prevatt, a aussi critiqué l'article du Newsday et a s'est lancée dans une fervente campagne de défense des victimes de féminicide.
Dans les coIonnes du quotidien Newsday, le Dr Gabrielle Hosein, enseignante à l'Institut des études sur le genre et le développement à l'Université des Indes Occidentales a écrit à juste titre ce qui suit :
In contrast to the argument of provocation being spuriously promoted, none of these women was having an argument, being violent or abusing the men who killed them. They were only attempting to get up in the morning, go to work and move on. […]
Men’s killing of women is not a response to relationship rejection. These women endured and escaped chronic treat and abuse, in forms which are criminal offences. They didn’t ‘jilt’ a lover. They rejected terror and harm. They left a crime scene. Call it for what it is.
Contrairement à l'argument de provocation faussement avancé, aucune de ces femmes n'était en train de disputer, d'être violente ou injurieuse à l’égard des hommes qui les ont tuées. Elles essayaient juste de se lever chaque matin, d'aller au travail et de vivre leur vie. […]
Le meurtre des femmes par les hommes n'est pas une réponse au rejet. Ces femmes ont enduré des menaces et des abus permanents, qui sont des actes criminels, et y ont échappé. Elles n'ont pas « mis un vent » à un amoureux. Elles ont refusé la terreur et la peine. Elles ont fui une scène de crime. Appelons un chat, un chat.
Un appel régional à « fermer boutique »
Le mouvement a pris une toute autre tournur quand l'activiste Nazma Muller a déclaré : « Nous n'allons pas accepter ce féminicide sans réagir ». Elle a lancé un appel à la grève du sexe pour protester contre les violences basées sur le genre. Une activiste jamaïcaine a suivi le mot d'ordre de grève, et des activistes des autres îles telles que St. Kitts et Newis ont fait de même.
Dans son appel à la grève du sexe posté sur facebook, Muller a révélé que ce concept s'inspirait d'une grève du sexe victorieuse menée au Libéria et ayant permis de mettre fin à la guerre civile. Selon la militante, la prostestation régionale a pour objectif d’ « affamer les hommes jusqu'à ce qu'ils se soumettent de mettre en avant la question des droits des femmes. »
Le concept est simple, a-t-elle ajouté :
We are doing this to show solidarity with our sisters who are suffering and to raise awareness of our demands for better security and better treatment.
Nous observons cette grève pour démontrer notre solidarité envers nos sœurs qui souffrent et pour sensibiliser les populations sur nos revendications en faveur d'une meilleure sécurité et d'un meilleur traitement.
Muller a proposé d'imposer la grève du sexe jusqu'au 8 mars, la Journée internationale des droits des femmes.Tandis que certain.e.s utilisateurs et utilisatrices des réseaux sociaux s'opposent à cette grève, n'en voyant pas l'utilité, d'autres ont décrié l'idée de réduire le pouvoir des femmes à leurs attraits sexuels, tandis que pour d'autres encore cette action pourrait avoir un impact non négligeable si les femmes s'unissaient de cette manière.
Dans tous les cas, le message est clair : les femmes n'en peuvent plus.
Si vous ou une de vos connaissances à Trinité-et-Tobago êtes victimes de VBG, vous êtes invité.e.s à vous mettre en relation avec la police au 555, 999, ou 800-TIPS, ou à déposer une plainte au commissariat de police le plus proche.