La République tchèque entre en quarantaine sur la base de directives gouvernementales contradictoires

La place de la vieille ville de Prague samedi 14 mars, à une époque où habituellement de nombreux groupes de touristes se pressent sur ce site historique. Photo de Filip Noubel, utilisée avec autorisation.

Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en tchèque.

Après l'annonce par le gouvernement tchèque de mesures drastiques le 10 mars [en], qui ont conduit à la fermeture des écoles, suivie le 12 mars de la déclaration de l'état d'urgence [en], le peuple tchèque se trouve plongé dans la confusion en raison des déclarations contradictoires des autorités.

Le 17 mars, on dénombrait en République tchèque 434 cas de COVID-19, pour une population totale de 10 millions d'habitant·e·s.

Le 16 mars à minuit, le gouvernement a imposé une quarantaine nationale avec des exceptions notables : les citoyen·ne·s peuvent continuer à aller travailler, sortir pour acheter de la nourriture, se rendre à la pharmacie, à la banque ou chez le docteur. Toutefois, les plus grandes agglomérations sont, elles, soumises à des règles plus strictes et leurs habitant·e·s ont l'interdiction de se déplacer ailleurs dans le pays.

La décision de fermer les commerces a été annoncée quatre jours après que les autorités aient déclaré l'état d'urgence. Ce jour-là, 12 mars, le gouvernement a envoyé à tous les détenteurs de téléphone mobile du pays le message SMS suivant :

Announcement of the Czech government: starting March 14, 2020, at 6AM, to March 24, 2020, 6AM, the government has decided to close all shops EXCEPT for stores selling food, pharmacies, drugstores, stores selling electronics, pump stations, shops selling tobacco and newspapers, and certain other stores. Details available on vlada.cz. Follow the media

Annonce du gouvernement tchèque : à partir du 14 mars 2020, à 6 heures du matin, et jusqu'au 24 mars 2020, 6 heures du matin, le gouvernement a décidé de fermer tous les commerces SAUF les magasins vendant de la nourriture, les pharmacies, les drogueries, les magasins de vente de produits électroniques, les stations-service, les bureaux de tabac et certains autres magasins. Détails disponibles sur vlada.cz. Restez informés.

Les citoyen·ne·s ont été d’autant plus surpris·es que moins de 24 heures auparavant, le Premier ministre Andrej Babiš avait déclaré sur Twitter que les autorités ne prévoyaient pas de fermer les commerces. Le tweet a depuis été supprimé :

Někdo šíří po Facebooku nepravdivou zprávu, že budeme zavírat obchody. Není to pravda, nic takového jsme neřekli a neplánujeme. Mrzí mě, že se někteří lidi takhle chovají.

Certaines personnes répandent de fausses rumeurs sur Facebook, disant que nous allons fermer les magasins. Ce n'est pas vrai, nous n'avons jamais rien dit de tel et nous ne prévoyons pas une telle chose. Je suis triste que certaines personnes se comportent de la sorte.

Pour ajouter un peu plus à la confusion, le 15 mars, le gouvernement a laissé entendre qu'il imposerait une quarantaine nationale [en] le jour même à partir de 16 heures, mais a retardé sa mise en application jusqu'à minuit.

A gauche : Capture d'écran du tweet supprimé du 12 mars, dans lequel le Premier ministre tchèque Andrej Babiš, déclare que le gouvernement n'ordonnerait jamais la fermeture des magasins dans le pays. A droite : SMS envoyé à tous les utilisateurs de téléphones portables tchèques le 14 mars annonçant l'état d'urgence et la fermeture de la plupart des magasins. Photo de Filip Noubel, utilisée avec autorisation.

Les va-et-vient et déclarations contradictoires ont alimenté la ruée vers les magasins, ajoutant une pression énorme sur les commerçants comme en témoigne l'article suivant :

V obchodu podle něj vznikl velký nedostatek personálu, protože část prodavaček i zaměstnanců na jiných pozicích hlídá doma děti a část se vrátila domů do zahraničí, zejména na Ukrajinu. Chybí zhruba 20 tisíc lidí.

Selon Tomáš Prouza [chef de l'Union du commerce et du tourisme], il y a un mangue aigu de personnel car certain·e·s employé·e·s ont dû rester à la maison pour s'occuper de leurs enfants, tandis que d'autres sont rentré·e·s dans leurs pays, majoritairement en Ukraine. Il nous manque actuellement 20 000 personnes.

La République tchèque compte en effet une importante communauté de travailleurs migrants ukrainiens [en], employés principalement dans les secteurs de la restauration, du commerce et de l'industrie de la construction.

Le Premier ministre  Andrej Babiš [fr] est un politicien controversé qui fait actuellement l'objet d'une enquête [en] pour des détournements présumés d'aides Européennes. Il est réputé pour ses positions populistes.

Pénurie de masques

Brochure distribuée dans les boîtes aux lettres par le ministère tchèque de la Santé, contenant des informations et des consignes sur le COVID-19. Photo de Filip Noubel, reproduite avec autorisation.

Le ministre tchèque de la Santé Adam Vojtěch a admis que le secteur médical était confronté à une pénurie de masques de l'ordre de quelques centaines de milliers, voire un million, selon le quotidien iDnes. Dagmar Žitníková, cheffe de l'alliance des syndicats médicaux, s'est exprimée dans la presse :

„Znovu jsme upozornili premiéra, že mohou dělat jakákoliv karanténní opatření, ale pokud nezabezpečí zdravotníky v terénu, je to zbytečné.“

Nous avons informé le Premier ministre qu'ils peuvent prendre toutes les mesures de quarantaine qu'ils veulent : si le personnel médical sur le terrain n'a pas de masques, ce sera inutile.

Le gouvernement a déclaré que la distribution de masques était imminente, mais les journalistes s’interrogent sur la véracité de ces propos, comme en témoigne cet article :

Smlouva na 5 milionů roušek, které měly do České republiky dorazit v pondělí, byla podle Babiše porušena. Česká firma je podle něj v Číně objednala a zaplatila, někdo ji ale podle premiéra podvedl.

Le contrat qui prévoyait l'acheminement de 5 millions de masques en République tchèque ce lundi [16 mars] n'a pas été respecté, selon Babiš. L'entreprise tchèque qui a passé commande en Chine et qui a déjà payé la facture s'est fait duper, selon le Premier ministre.

Le gouvernement tchèque a donc acheté d'office l'entière production de masques médicaux à des producteurs locaux, bien que d'autres clients les aient déjà commandés. À présent, ce sont ces anciens clients qui dénoncent la lenteur du gouvernement à distribuer les masques. Cet article du quotidien en ligne Seznam Zprávy rapporte :

Stát v tuto chvíli úplně odřízl soukromé nemocnice, ordinace nebo třeba neziskové organizace. I když si u nás zboží objednaly a zaplatily už třeba koncem ledna, teď jim ho nesmíme dodat,“ řekl Jiří Kůs, šéf Asociace nanotechnologického průmyslu ČR.

L’État a court-circuité les hôpitaux privés, les cabinets médicaux et les organisations non-gouvernementales. Bien que ceux-ci aient commandé et payé nos produits fin janvier, nous ne sommes pas autorisés à les leur livrer, a déclaré Jiří Kůs, président de l'Association de l'industrie nanotechnologique de République tchèque.

L'une des personnes qui critique le plus ouvertement l'incapacité du gouvernement à garantir l'accès aux masques reste le maire de Prague, Zdeněk Hřib [en], du Parti pirate tchèque [en], qui fait partie de l'opposition. Hřib, qui est également médecin, a tweeté le 14 mars :

Je suis déçu de voir le gouvernement prétendre dans les médias que Prague [l'administration] a reçu le matériel médical hier. En fait, la réalité est toute autre. En dehors des 50 masques fournis par les services d'urgence de Prague, nous n'avons rien reçu.

Pour ajouter encore à la confusion, sur un des prospectus distribués par le ministère de la Santé durant la semaine du 9 au 15 mars, une section intitulée « des faits contre les idées reçues » présentait des recommandations perçues comme vagues :

Masks don't protect healthy people, they are suitable for sick people to prevent further contagion..

Les masques ne protègent pas les personnes en bonne santé, ils sont adaptés aux personnes malades pour prévenir toute contagion ultérieure.

L'OMS (Organisation mondiale de la Santé) préconise aux personnes en bonne santé de porter des masques [en] si elles prennent soin d'une personne malade.

Au même moment, un nouveau mouvement encourageant les gens à produire et porter leurs propres masques s'est répandu grâce à plusieurs hashtags, tels que #chranimnejslabsi (nous protégeons les plus vulnérables), #rouskanenitrapna (porter un masque n'est pas une honte) et #chranimtebechranimsebe (Je te protège donc je me protège).

Selon le site d'actualités Aktualne.cz, les influenceurs sur les réseaux sociaux promeuvent eux aussi l'utilisation de masques :

Autor Petr Ludwig na svém Instagramu, kde ho sleduje asi 16 tisíc lidí, uvedl, že se chce stát “rouškovým influencerem” a šířit osvětu. Vymyslel už i hashtag – #rouškyvšem a první mladí lidé se k jeho iniciativě přidávají.

L'auteur Peter Ludwig a annoncé sur son compte Instagram, où il est suivi par 16 000 personnes, qu'il voulait devenir un « influenceur pour le port de masques » et sensibiliser les gens. Il a déjà créé le hashtag #rouškyvšem [#masque pour tous] et des jeunes se joignent déjà à son initiative.

Consultez le dossier spécial de Global Voices sur l'impact mondial du COVID-19 (en anglais).

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