Sexisme et misogynie dans les talk-shows télévisés au Pakistan

Screenshot from YouTube via Yamaan TV. Khalil ur Rehman Qamar and Marvi Sirmed FIght On Aurat Azadi March 2020.

Copie d'écran de YouTube via Yamaan TV. Le dramaturge Khalil ur Rehman Qamar (2e à partir de la gauche) et l'activiste des droits humains Marvi Sirmed (4e à partir de la gauche) dans un talk-show de la chaîne NEO TV à propos de la marche « Aurat Azadi » en mars 2020.

L’article d'origine a été publié le 10 mars 2020.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt]

Le sexisme, la misogynie et les propos injurieux à l'encontre des invitées des talk-shows ont de nouveau fait surface au Pakistan après une vilaine altercation lors d'un programme de la chaîne de télévision NEO entre l'auteur/réalisateur Khalil-ur-Rehman Qamar et la militante des droits humains Marvi Sirmed, le 4 mars 2020. Le débat houleux entre les deux invité·e·s concernait le slogan « Mera Jism Meri Marzi » (Mon corps, mon choix), qui a inspiré la Marche Aurat en 2019. Ce slogan, qui exprimait la revendication de l'émancipation des femmes, a également suscité une vive opposition de la part de certains tenants d'un conservatisme pur et dur.

Khalil-ur-Rehman Qamar, un célèbre réalisateur, a récemment été invité sur différentes chaînes d'information pour parler de sa série dramatique à succès Meray Paas Tum Ho. Pendant les émissions, il a revendiqué son statut de féministe le plus influent, mais sur l'un des plateaux, il a bénéficié d'un petit cours sur les droits des femmes et le féminisme dispensé par la militante Tahira Abdullah.

Ses interventions sur la Marche d'Aurat ont provoqué un débat controversé avec Marvi Sirmed, caractérisé par l'utilisation d'un langage grossier et injurieux. La vidéo du débat est devenue virale sur les médias sociaux et ses propos ont été vivement dénoncés sur de nombreuses plateformes. L'intervention de l’Autorité pakistanaise de régulation des médias électroniques (PEMRA) a été sollicitée afin de bannir Khalil-ur-Rehman Qamar des plateaux de télévision. Même la Commission des droits humains du Pakistan a exigé des excuses. La PEMRA a publié un avis d'avertissement à la chaîne et le directeur de NEO TV a tweeté un message d'excuses.

La présentatrice de l'émission, Ayesha Ehtisham, a exprimé ses regrets sur Twitter :

Ce qui s'est passé hier dans mon émission est extrêmement regrettable. Jamais je n'aurais imaginé la tournure vulgaire et violente qu'a pris le débat. J'étais complètement stupéfaite, ce qui a sans doute eu une incidence sur ma capacité à intervenir sur-le-champ pour dénoncer ces remarques injurieuses / sexistes. Cependant, rien de tout cela n'était intentionnel de ma part. Il y a eu beaucoup de cris et d'injures proférés par les deux invité·e·s (une partie de l'émission n'a pas pu être diffusée), ce qui ne m'a pas laissé une marge de manœuvre suffisante pour rétablir l'ordre sur le plateau et trouver les mots pour dénoncer ces propos. Je m'excuse auprès des spectateurs et spectatrices.

Le directeur de NEO TV, Nasrullah Malik, s'est également excusé auprès de Marvi Sirmed :

@marvisirmed Je vous présente mes sincères excuses pour les faits qui se sont déroulés aujourd'hui sur notre chaîne. En tant que responsable de NEO NEWS, j'en suis extrêmement navré et des mesures strictes seront prises. Nous condamnons le comportement de Khalil Qamar.
Nasrullah Malik
Directeur exécutif
NEO NEWS

La sénatrice Sherry Rehman, du Parti du peuple pakistanais, a condamné les incidents au Sénat et a rejeté toute participation à une émission de NEO TV jusqu'à ce que le directeur présente des excuses.

Je décline toute participation à une émission sur @NeoTv_Network jusqu'à ce que cette présentatrice s'excuse et que cet homme injurieux soit boycotté. Si d'autres (hommes et femmes) agissent de même lorsqu'on les invite dans des émissions, un tel manque de respect envers les femmes ne restera peut-être pas impuni. Les droits des femmes sont des droits humains. Il faut en finir avec ces absurdités

Le 5 mars, Geo TV a également rompu son contrat avec Khalil-ur-Rehman Qamar, une initiative chaleureusement accueillie par les usagers des médias sociaux :

Communiqué ? Geo Entertainment et 7th Sky Entertainment ont suspendu le contrat de Khalil-ur-Rehman Qamar pour la diffusion de quatre séries et d'un film jusqu'à ce qu'il présente des excuses pour les propos insultants tenus lors d'une émission de télévision. Ce contrat de diffusion n'était pas exclusif, et Khalil-ur-Rehman Qamar a passé d'autres accords avec plusieurs chaînes.

Geo Networks est attaché au débat d'idées et à la promotion d'une culture du laissez-faire et du Geo Aur Jeena Do. Nous pensons que chacun a le droit d'exprimer ses opinions et qu'une saine culture du débat devrait être encouragée. Cependant, ces débats doivent être menés dans un contexte de respect mutuel. Khalil-ur-Rehman Qamar a non seulement tenu des propos insultants envers une femme mais également refusé de reconnaître son erreur et de s'excuser.

De ce fait, la direction de Geo Entertainement a pris la décision de suspendre son contrat. Geo a toujours travaillé dans l'optique de créer un environnement propice à la réflexion et au débat même si cela […]

Il est intéressant de noter que ce n'est pas la première fois que de telles prises de bec entre hommes et femmes surviennent dans des émissions de télévision et certains estiment même que c'est la norme. Toute femme invitée sur les plateaux de télévision pour s'exprimer sur les droits des femmes, les droits des minorités ou sur des questions sociales doit être capable de faire face aux propos désobligeants et aux écarts de conduite, avec en prime, des présentateurs et présentatrices la plupart du temps incapables de faire face à la situation.

Attitude déplorable des hommes sur les plateaux de télévision

En dépit de la représentation historique des femmes dans la sphère politique, certains milieux conservateurs au Pakistan persistent à encourager les valeurs patriarcales, valeurs qui se répercutent souvent dans les programmes télévisés.

Dans les années 1990, la regrettée Première ministre Benazir Bhutto [fr] a elle-même été la cible de discours haineux et de calomnies lors de sa participation aux élections, lorsque son rival, l'ancien Premier ministre Nawaz Sharif, [fr] a mené une campagne de dénigrement contre elle :

La militante des droits humains Farzana Bari  a elle aussi été malmenée alors qu'elle s'exprimait sur l'importance d'un projet de loi sur la protection des femmes. D'autres intervenants ont soulevé des questions sur sa foi :

Dans une autre émission de télévision en 2016, Maulana Hafiz Hamdullah Saboor du mouvement Jamiat Ulema-e-Islam (F) [fr] a quitté l'émission sous le coup de la colère alors qu'il tentait d’intimider la présentatrice Fareeha Idrees. Celle-ci ne s'est pas laissé faire et a réussi à riposter efficacement à l'attaque.

Farzana Bari etFauzia Viqar, une autre militante des droits des femmes, ont pris part à une conversation sur les mariages précoces en 2016, lorsque les intervenants masculins les ont accusées d'enfreindre les enseignements de l'Islam.

Même si les cas d'hommes agressant d'autres hommes sont également monnaie courante, les femmes constituent une cible facile au Pakistan. Dès qu'une femme s'exprime, elle se heurte à des résistances, que ce soit en ligne ou hors ligne. Même si des incidents similaires se sont déjà produits dans les programmes télévisés, le débat tristement célèbre impliquant Khalil-ur-Rehman Qamar a laissé un goût amer dans la bouche des militant·e·s et et a permis de justifier des actions de solidarité telle que la Marche Aurat.

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