La Turquie compte tellement de prisonniers politiques (il y a actuellement jusqu'à 70 000 étudiant·es [en] en prison) que l'on pourrait facilement se lasser du thème des droits humains lorsqu'on fait un reportage sur ce pays. Néanmoins, une nouvelle campagne a récemment gagné du terrain pour attirer l'attention sur l'un des plus anciens prisonniers politiques du pays, le poète kurde İlhan Sami Çomak.
Détenu depuis 26 ans
Sami Çomak est détenu en prison en Turquie depuis 26 ans (quatre ans de plus que la peine purgée par Nâzım Hikmet l'un des poètes turcs les plus connus). Né en 1973, il a été arrêté en 1994 alors qu'il était étudiant en géographie à l'université d'Istanbul. Selon une lettre récente [en] publiée dans le journal The Guardian :
He was charged with starting a forest fire and of being associated with the banned Kurdistan Workers’ party, charges he denied and to which he confessed only under torture.
Il a été accusé d'avoir déclenché un feu de forêt et d'être associé à un parti interdit, le Parti des travailleurs du Kurdistan, accusations qu'il a niées et qu'il n'a avouées que sous la torture.
Nurcan Baysal, un journaliste établi dans la ville de Diyarbakır (connue sous le nom d'Amed en kurde), a déclaré à Global Voices que Sami Çomak avait été condamné par une Cour de sûreté d'État (appelée « Devlet Güvenlik Mahkemeleri » en turc), présidée par un juge militaire, lors de son procès en 1994. Durant le conflit qui a opposé l'État turc au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dans les années 1990, ces tribunaux militaires ont jugé des affaires de personnes considérées comme une menace pour la sécurité nationale, et ont généralement prononcé de lourdes peines de prison.
Sa condamnation à perpétuité a été réitérée en 2013, puis en 2016, ce qui signifie qu'il devrait être libéré en 2024. Interrogé sur sa défense par le tribunal, il a répondu [tr] : « je ne dirai rien parce que vous êtes injustes. »
L'affaire Çomak est actuellement défendue par le chapitre norvégien du PEN Club International, qui a organisé un événement [tr] de sensibilisation à l'affaire au Poetry Cafe de Londres en février 2020. Suite à cet événement, une lettre a été envoyée au journal britannique The Guardian, tandis que l'écrivain britanno-hongrois George Szirtes [en] y a publié un article [en] à propos de l'affaire Çomak.
Caroline Stocford, du chapitre norvégien du PEN Club International, a confié à Global Voices qu'elle était en train de traduire la poésie de Çomak, et qu'elle espérait trouver un éditeur en anglais. Le PEN Club International prévoit également de mener une campagne en Norvège avec un évènement public prévu pour l'été.
Caroline Stocford espère également rencontrer l'ambassadeur de Turquie en Norvège afin de discuter de l'affaire et d'obtenir une expertise juridique sur l'affaire à soumettre à la Cour constitutionnelle en Turquie. Elle a commenté l'affaire Çomak en ces termes dans un communiqué :
“Ilhan is innocent. He is the forgotten case, a mild man who collects bird feathers and writes the poetry of nature, the outside world, of folk traditions and of the suffering of those other unjustly imprisoned men he has come into contact with over 27 years. We ask the Foreign Ministers not only of the UK but of Europe as a whole to intercede on his behalf, to raise his unjust case and demand the freedom of İlhan Çomak.”
Ilhan est innocent. Il est le cas oublié, un homme doux qui collectionne les plumes d'oiseaux et écrit des poèmes sur la nature, le monde extérieur, les traditions populaires et la souffrance de ces autres personnes injustement emprisonnées avec lesquelles il est entré en contact depuis 27 ans. Nous demandons aux ministres des Affaires étrangères non seulement du Royaume-uni mais aussi de l'Europe entière d'intercéder en sa faveur, de s'intéresser à son cas injuste et d'exiger la liberté de İlhan Çomak.
Le pouvoir de la poésie
Global Voices s'est également entretenu avec İpek Özel, qui rend régulièrement visite à Çomak en prison. Elle a déclaré que le poète voulait que le monde extérieur sache qu'il est innocent du crime pour lequel il a été condamné. Elle aussi a dit qu'il n'avait pas eu la chance d'avoir un procès équitable, même après que la Cour européenne des droits humains a déclaré sa condamnation illégale. Elle ajoute :
“There was no military judge at the court this second time but the mentality of the military court and judge was there. They didn't listen to him, to his lawyers and to the witnesses at all. It was such a lousy court, that even the prosecutor was watching a webpage selling watches on his computer during the trials openly. We, in the observer seats saw that.”
Il n'y avait pas de juge militaire au tribunal cette deuxième fois, mais l'esprit du tribunal militaire ainsi que de ses juges y étaient. Ils ne l'ont pas du tout écouté, ni ses avocats ni les témoins. C'était un tribunal tellement minable que même le procureur consultait ouvertement un site de vente en ligne de montres sur son ordinateur pendant le procès. Nous, qui étions assis sur les sièges d'observateurs, l'avons vu.
İpek Özel a ajouté que Sami Çomak aimerait également que les gens lisent ses poèmes, afin de partager son travail avec d'autres, et, ce faisant, l'aider à élever sa voix pendant son séjour en prison.
“His poetry [en] only talks about love and innocence and life with all its beauty, so he thinks that if he is read, liked and understood as a poet, then his voice will be pass through all the boundaries and prison walls, and he will be unstoppable. This will free him, even though his body is still kept in a prison. His verse, thoughts, feelings, ideology will be independent. If you would like to write to Ilhan in prison, his address is as follows: İlhan Çomak, Silivri L Tipi Cezaevi, F9 Alt Silivri Istanbul, Turkey”
Ses poèmes ne parlent que de l'amour et de l'innocence, de la vie dans toute sa beauté. Ainsi, il pense que s'il est lu, aimé et compris en tant que poète, alors sa voix se fera entendre au-dehors des frontières et des murs de la prison, et il sera imparable. Cela le libérera, même si son corps est toujours enfermé en prison. Ses vers, ses pensées, ses sentiments, son idéologie seront indépendants. Si vous vous voulez écrire à İlhan, son adresse est la suivante: İlhan Çomak, Silivri L Tipi Cezaevi, F9 Alt Silivri Istanbul, Turquie.
Dans son poème intitulé La vie, c'est voir le vol d'un papillon, Sami Çomak déclare au lecteur : « Aucune cage ne peut contenir les couleurs de mon cœur ». À travers ses poèmes, il démontre avec force que le pouvoir de son imagination dépasse celui de l'État turc, qui entend le garder en prison. Voici ce qu'il dit, avec ses propres mots, à propos de sa vie et de ses espoirs :
“The contentment of my childhood years and my imagination was enough to ensure that I lived my whole life in happiness. When that peace was lost, the happiness too was taken with it. The only thing I have left now is the power of my imagination… I have many reasons, of course, for writing poetry. However, I should like to emphasise most strongly that I am in search of the life that was stolen from me; I am seeking my lost happiness and contentment. I was a lovely child. I really miss and love the little child that I was. That is why I write poetry. For him.”
Le contentement de mes années d'enfance et mon imagination ont suffi pour que je vive ma vie entière dans le bonheur. Lorsque cette paix a été perdue, elle a emporté le bonheur avec elle. La seule chose qui me reste à présent est le pouvoir de mon imagination… J'ai certes de nombreuses raisons d'écrire des poèmes. Toutefois, j'aimerais surtout souligner que je suis à la recherche de la vie qui m'a été volée. Je recherche mon bonheur et ma satisfaction perdus. J'ai été un enfant adorable. Le petit enfant que j'ai été me manque vraiment et je l'aime. C'est la raison pour laquelle j'écris des poèmes. Pour lui.