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La pandémie du coronavirus fait chuter un premier gouvernement : celui du Kosovo

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, Kosovo, Liberté d'expression, Manifestations, Médias citoyens, Politique, Santé
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Concert de casseroles au Kosovo avec ce message : “C'est vous qui avez apporté la panique dans nos maisons” et le mot-clic #RestezChezVous en albanais. Photo : Adelina Tërshani, utilisée avec autorisation.

Consultez le dossier spécial de Global Voices sur l'impact mondial du COVID-19 [2].

A l'issue d'une séance parlementaire de 12 heures, le gouvernement du Kosovo a perdu un vote de confiance le 26 mars, malgré l'opposition véhémente de citoyens qui auraient préféré des autorités unies contre la pandémie du COVID-19.

Par 82 voix contre 32 et une abstention, les députés ont démis le Premier ministre Albin Kurti, chef du parti Vetëvendosje [3] (“Autodétermination”) à la diligence de son ex-partenaire de coalition la Ligue démocratique du Kosovo [4] (LDK).

Les récentes mesures d'urgence contre l'épidémie de coronavirus ont mis au jour les tensions dans la fragile coalition [5] entre Vetëvendosje et la LDK, qui avaient constitué un gouvernement depuis seulement 52 jours.

Le 18 mars, Le Premier ministre Kurti avait renvoyé le ministre de l'Intérieur Agim Veliu (LDK), à cause de divergences sur la déclaration d'un état d'urgence qui donnerait au Président Hashim Thaçi, lui aussi de la LDK, des pouvoirs beaucoup plus étendus.

La coalition s'est encore détériorée lorsque le Premier ministre a annoncé un couvre-feu considéré par M. Thaçi comme contraire à la [6] constitution.

Le gouvernement décide un couvre-feu.
Le Président appelle la police kosovare à ne pas l'appliquer, considérant une telle mesure anticonstitutionnelle.
Au ?? nous traitons le Covid-19 de façon très particulière : discipline chez les citoyens et chaos chez les politiciens.
S'il vous plaît ne faites pas pareil chez vous.

La lutte politique au Kosovo a atteint un nouveau palier avec Thaci qui demande maintenant aux citoyens d'ignorer les nouvelles restrictions par le gouvernement des déplacements de 10h à 16h, et le couvre-feu, le disant anticonstitutionnel. Il veut un état d'urgence qui aurait l'avantage de lui donner beaucoup plus de pouvoirs.

Confinés à la maison les Kosovars ont organisé des manifestations en forme de “casserolades” — en tapant sur casseroles et ustensiles de cuisine depuis leurs fenêtres et balcons — en signe de désapprobation du vote de défiance dont beaucoup craignent qu'il fasse chuter le pays dans un chaos constitutionnel en pleines pandémie et récession économique mondiale imminente.

A ce jour, le Kosovo compte 86 cas confirmés de COVID-19 et un mort de la maladie, selon les chiffres officiels [10] du ministère de la Santé.

Non-sens politique aujourd'hui : en pleine course de vitesse mondiale pour arrêter la propagation du COVID-19, le parlement du Kosovo siège pour renverser le gouvernement du Premier ministre provocateur @albinkurti. Alors que les autres gouvernements européens étendent leurs mandats, ce parlement-ci va laisser le pays dépourvu [de gouvernement].

Face à l'ébranlement de la scène politique et à l'imminence de l'épidémie de COVID-19, le groupe militant local Replikë a appelé sur Facebook [15] à une manifestation non-violente depuis les balcons et fenêtres :

Voici les meilleures images des habitants de Pristina sortis sur leurs balcons pour manifester avec leurs casseroles contre les plans de la LDK de renverser le gouvernement en plein milieu de la crise du COVID-19.

Les manifestations se sont tenues chaque soir à 20h, sauf le 25 mars, à 11h, au moment de la motion de défiance.

La situation politique au Kosovo ne s'arrange pas. Les demandes de milliers de citoyens sont ignorées par la classe politique après cinq jours d'affilée de manifestations. Par ailleurs, les cas d'infection augmentent au Kosovo. Nous ferons du bruit jusqu'à ce que les politiciens nous entendent.

Comme le rapporte [21] le média indépendant Kosovo 2.0 :

The marathon session of the Parliament was held despite the government ban on gatherings, deputies wore masks over their mouths and noses throughout, while journalists and other guests were banned in order to allow the deputies more space to retain a 1.5-meter distance between them.

La session marathon du Parlement s'est tenue en dépit de l'interdiction gouvernementale des rassemblements, les députés ont porté des masques sur leurs nez et bouches tout du long, tandis que les journalistes et autres publics étaient bannis pour donner plus d'espace aux députés de façon à maintenir une distance d'1m50 entre eux.

Des dizaines d'habitants de Pristina sont venus manifester devant le bâtiment de l'Assemblée, la plupart portant des masques et prenant garde de maintenir la distance exigée de 2 mètres entre eux. Sur leurs affiches bricolées était écrit “contre la motion”.

La décision de lancer une motion de défiance a été critiquée par les ambassades d'Allemagne et de France. Vjosa Osmani [22], la vice-présidente de la LDK, a elle aussi refusé de soutenir la motion lors de son annonce.

Démarche conjointe des ambassadeurs d'Allemagne et de France auprès du vice-Premier ministre Hoti remplaçant le Président M. Mustafa pour exprimer les préoccupations des deux capitales.
Restons aux côtés du peuple kosovar dans la crise. Invitons la LDK à reconsidérer le vote de défiance et à maintenir un gouvernement de confiance et stable face aux difficultés.

A l'inverse, les États-Unis ont salué [24] le changement de gouvernement, car le Président Thaçi est perçu comme plus favorable à un accord de paix élaboré par l'administration Trump [25]avec la Serbie, auquel l'ex-Premier ministre Kurti se refuse avec véhémence.

Beaucoup se sont rappelés [26] la similitude de ces concerts de casseroles avec ceux contre le régime Milosevic dans les années 1990. Comme dans cette lettre du rédacteur en chef de Kosovo 2.0  [27]:

(…) But I do remember a night in the 1990s, at age 6, grabbing a pan and spoon and joining my two older sisters on the balcony of our family home, hitting the pan and shaking keys. This was one of the many ways through which protest was expressed at that time. The metallic sound reverberated throughout our neighborhood in Prishtina, and it most probably added to a cacophony of discontent throughout the city; similar snippets are just as much a part of other people’s recollections of how the decade began.

(…) Mais ce que je me rappelle bien c'est comment un soir des années 1990, j'avais 6 ans, j'ai attrapé une casserole et une cuiller et j'ai rejoint mes deux grandes sœurs sur le balcon de notre maison familiale, en tapant sur les casseroles et en secouant des clés. C'était une des nombreuses manières dont s'exprimait la contestation à cette époque. Le bruit métallique se réverbérait à travers tout notre quartier à Pristina, et s'ajoutait certainement à toute une cacophonie de mécontentement dans toute la ville ; des bribes similaires font partie intégrante des souvenirs que gardent les gens du début de la décennie.

Dans un article [28] du quotidien Koha Ditore, l'homme politique et journaliste à la retraite Veton Surroi exprimait les mêmes sentiments en se remémorant les concerts de casseroles anti-Milosevic, un palliatif au couvre-feu policier de l'époque. Il disait ses regrets de voir une nouvelle crise politique contraindre les citoyens à faire de même trente ans plus tard.

Note de la rédaction : L'auteur de cet article est chercheur pour le projet “Améliorer la connaissance du Kosovo (3.0)”, financé par la Fondation Kosovo de l'Open Society.