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En Angola, les centres de quarantaine fonctionnent dans un dénuement total

Catégories: Angola, Médias citoyens, Politique, Santé
Couchées sur des matelas à même le trottoir ou assises sur des chaises, plusieurs personnes attendent le bus. [1]

Des Angolais et Angolaises patientent en plein air à leur arrivée à Luanda. Capture d'écran d'une vidéo partagée sur Facebook par Wilcker Cláudio [2], reproduite avec autorisation.

Tous les liens de cet articles renvoient à des pages en portugais, ndlt.

Avec trois cas confirmés de COVID-19, l'Angola fait partie d'une quarantaine de pays africains ayant déjà constaté la présence du virus sur leur territoire.

Le 18 mars, une commission interministérielle a été mise sur pied afin de combattre la propagation de la pandémie dans le pays. Le ministère de la Santé a confirmé les deux premiers cas de COVID-19 le 21 mars.

L'Angola a fermé ses frontières aériennes, terrestres et maritimes à minuit le 20 mars, mais certains vols transportant des ressortissants angolais de retour de l'étranger ont été autorisés à atterrir.

Le gouvernement a mis en place des centres de quarantaine aux abords de la capitale Luanda afin d'accueillir les Angolais rapatriés. Un vol en provenance de Lisbonne a débarqué près de 200 passagers le 21 mars, mais tous n'ont pas été logés à la même enseigne.

Selon Célio Alberto, qui est parmi ceux qui estiment avoir été lésés, les autorités ont séparé arbitrairement les passagers destinés à être placés en quarantaine. Dans une interview pour le site d'information Maka Angola [3], il a expliqué ce qu'il avait observé :

Sem sabermos quais foram os critérios de selecção, as autoridades escolheram os passageiros que foram para o hotel de cinco estrelas Vitória Garden e os que foram enviados para o Centro de Quarentena no Calumbo.

Sans que nous sachions quels étaient les critères de sélection, les autorités ont choisi les passagers qui seraient conduits à l'hôtel cinq étoiles Vitória Garden et ceux qui seraient envoyés au centre d'isolement de Calumbo.

Les personnes acheminées vers le Centre pour le développement de l'enfance de Nova Esperança, dans la commune de Viana, ont dû attendre des autobus pendant plus de trois heures avant de pouvoir rejoindre le centre d'isolement.

Les passagers qui ont été amenés au centre de quarantaine de Calumbo ont été confrontés à une situation similaire. Ils et elles ont dû passer la nuit sur la route. Le récit de ce voyage [3] a été publié sur Maka Angola :

Manuela Silva relata, indignada, a jornada do aeroporto ao local de quarentena, onde chegaram por volta das 22h00. No trajecto, com sirenes e batedores, a passageira afirma terem sidos apedrejados na via como assassinos, como estando a trazer o vírus para matar os angolanos. Só às 2h00 da madrugada chegaram alguns indivíduos não identificados, os quais deram início à montagem de camas individuais e beliches nos quartos do Centro de Desenvolvimento.

Encontrámos os colchões ao relento, todos empoeirados e os quartos nunca antes habitados, em péssimas condições. As casas de banho nem sequer tinham papel higiénico. Uma médica que lá se encontrava de serviço disse-nos para irmos fazer as necessidades no capim. Nem nos permitiu perguntar-lhe como as mulheres o fariam no meio dos homens.

A [empresa aérea] TAAG ligou-nos porque havia um voo de emergência para transportar familiares de ministros e outros dirigentes e podíamos aproveitar. Ninguém nos informou de que ficaríamos sujeitos a estas condições degradantes. Muitos teriam preferido ficar em Lisboa.

Manuela Silva raconte, indignée, le trajet de l'aéroport au lieu de quarantaine, où le groupe est arrivé vers 22h. Sur la route, où ils ont roulé avec sirènes et girophares allumés, la passagère explique qu'ils ont reçu des jets de pierres comme s'ils étaient des assassins venus propager le virus pour tuer les Angolais. Ce n'est qu'à 2h du matin que quelques personnes non identifiées sont venues installer des lits individuels et des lits superposés dans les chambres du Centre pour le développement de l'enfance.

« Nous avons trouvé des matelas dehors, tout poussiéreux. Les chambres n'avaient jamais été occupées et se trouvaient dans des conditions déplorables. Il n'y avait même pas de papier hygiénique dans les toilettes. Une médecin de service nous a dit d'aller faire nos besoins dans l'herbe. Elle ne nous a pas laissé l'occasion de lui demander comment les femmes étaient censées faire ça au milieu des hommes.

La [compagnie aérienne] TAAG nous a appelé·es pour nous dire qu'il y avait un vol d'urgence pour transporter les familles des ministres et autres dirigeants et que nous pouvions en profiter. Personne ne nous a informé que nous allions être soumis·es à ces conditions de vie dégradantes. Beaucoup d'entre nous auraient préféré rester à Lisbonne. »

Le même jour, un vol en provenance de Porto, l'une villes les plus touchées par le coronavirus au Portugal, a atterri à Luanda. Selon Célio Alberto, qui s'est également entretenu avec Maka Angola, les passagers n'ont pas fait l'objet d'un dépistage :

Misturaram-nos todos, os passageiros do Porto e de Lisboa. Não havia espaço nem condições para estarmos separados. Ficámos aglomerados e não havia quem nos desse informações nem estabelecesse quaisquer procedimentos de controlo. Mediram-nos apenas a temperatura à chegada, nada mais.

Ils nous ont tous mélangés, les passagers de Porto et de Lisbonne. Il n'y avait pas assez de place et aucun moyen de rester éloigné·es les un·es de autres. Nous étions serré·es et on ne nous donnait pas d'informations. Aucun protocole de dépistage n'était en place. On nous a simplement pris la température à l'arrivée, c'est tout.

Les proches des personnes placées en quarantaine leur apportent des vivres, en raison de l'incapacité du gouvernement à fournir des repas en quantité suffisante.

[4]

Cette situation a été relayée au journal télévisé au Mozambique. Bandeau sur l'écran : « Coronavirus en Angola : les Angolais se plaignent des conditions d'accueil dans les centres de quarantaine. » Capture d'écran du 24 mars 2020.

Suite à de nombreuses critiques dans la presse et sur les réseaux sociaux, le cabinet du Président de la République [3] a nommé le général Pedro Sebastião au poste de ministre d’État et secrétaire général en charge de la sécurité. Il assure la coordination de la Commission interministérielle de gestion des moyens de lutte contre la propagation du COVID-19, qui doit garantir l'accueil des passagers dans les meilleures conditions possibles :

Agradecemos a compreensão dos cidadãos pelos constrangimentos ocorridos. O Executivo está empenhado neste processo e tudo fará no sentido de salvaguardar a saúde pública e o bem maior, a vida de todos os angolanos.

Nous remercions les citoyens pour leur compréhension face aux désagréments qu'ils ont subis. L'Exécutif est engagé dans ce processus et fera tout ce qui est en son pouvoir afin de préserver la santé publique et l'intérêt général, ainsi que la vie de tous les Angolais.

Pendant ce temps, le professeur Gabriel Tchingandu a exprimé [5] sa frustation quant au manque d'informations dans les médias :

Sinto muita falta de informação sobre o COVID-19 em Angola. Se eu fosse director de uma rádio ou TV em Angola, suspendia toda a programação normal do órgão. Montaria uma tenda de repórteres na entrada do centro de quarentena Calumbo e outra na entrada do centro da Barra do Kwanza. Outra tropa de jornalistas diante das portas dos hospitais e clínicas assistindo casos.

Outra tenda de jornalistas ficava montada diante do quartel general da Comissão Inter-sectorial do Governo. No estúdio, os diferentes especialistas de saúde, comentadores e autoridades esgrimiriam argumentos com o foco virado para Angola.

Outros jornalistas em diferentes ruas das cidades fariam relatos de testemunhas com interesse no caso Covid-19. A cobertura de factos e ditos seria “no stop” em 24 horas. Os jornalistas nesta cobertura especial teriam seus salários duplicados.

Assim ajudaria a combater o coronavírus em Angola, aumentando igualmente a audiência da minha TV/rádio

Je ressens un manque criant d'informations sur le COVID-19 en Angola. Si j'étais directeur d'une radio ou d'une chaîne de télévision en Angola, je suspendrais tous les programmes habituels. Je monterais une tente pour les journalistes devant l'entrée du centre de quarantaine de Calumbo et une autre devant celui de Barra do Kwanza. Et ensuite, je placerais une autre équipe de journalistes aux portes des hôpitaux et des cliniques qui soignent des patients atteints du virus.

Une autre tente de journalistes serait plantée en face du quartier général de la commission gouvernementale intersectorielle. En studio, différents spécialises de la santé, des commentateurs et des représentants des autorités s'affronteraient dans des débats mettant l'accent sur la situation de l'Angola.

D'autres journalistes postés un peu partout dans les villes recueilleraient des témoignages concernant la situation du COVID-19. Il y aurait une couverture médiatique des faits et des analyses 24h/24. Les journalistes impliqués dans ces reportages recevraient le double de leur salaire habituel.

C'est ce qui aiderait à lutter contre le coronavirus en Angola, et à augmenter également l'audience de ma chaîne de télévision ou station de radio.

Le journaliste André Mfumu Kivuandinga [6] affirme que les personnes en quarantaine auraient été privées de nourriture et ne sauraient pas où se trouvent leurs bagages :

Segundo denúncias acabadinhas de me serem feitas por um angolano, cujo nome irei omitir, que se encontra no Centro de Quarentena, em Calumbo, Viana, Luanda, desde às 1 horas da madrugada que comeram até agora estão sem alimentação, também não sabem o paradeiro das suas bagagens.

Até aqui nenhum responsável do Governo ou da comissão multissetorial os foi visitar, o cidadão em caso é hipertenso”.

Des plaintes me sont parvenues très récemment de la part d'un Angolais, dont je tairai le nom, qui se trouve au centre de quarantaine de Calumbo à Viana, dans le district de Luanda. Selon cette personne, leur dernier repas remonte à 1h du matin, et les gens ne savent pas non plus où se trouvent leurs bagages.

Jusqu'ici, aucun responsable du gouvernement ou de la commission multisectorielle n'est venu leur rendre visite. La personne à qui j'ai parlé souffre d'hypertension.

Carlos Pinho [7], un jeune commentateur politique, a publié sur son profil Facebook une vidéo montrant l'indignation des passagers qui se trouvaient encore aux abords de l'aéroport.

“Incompetência gritante. Mas afinal quando teremos um governo a sério. É disto que eu falo: dignidade”.

[On est face à] une incompétence flagrante. Mais en fin de compte, quand aurons-nous un gouvernement digne de ce nom ? C'est de dignité que je vous parle.

L'état d'urgence ayant été décrété pour une durée de 15 jours, un autre problème a surgi : est-il possible d'observer en pratique des mesures telles que le confinement complet de la population ? C'est ce que se demande Víctor Mendes [8], commentateur et spécialiste en communication :

Decretar estado de emergência e encerramento de todo funcionalismo público é o que venho falando há uma semana. Fechar para evitar o mal maior.

Inglaterra e Estados Unidos entram em lockdown brevemente. Foi esse o erro que a Itália cometeu.

Mas nós estamos perante um grande dilema. Sim ou não?

O nosso governo nunca se preparou para um cenário como este. Não fechar poderemos também pagar muito caro e com aquilo que não tem preço. Vida.

Le décret de l'état d'urgence et la fermeture de tous les services publics, c'est ce que j'avais préconisé il y a une semaine. Fermer pour éviter que le situation n'empire.

Le Royaume-Uni et les États-Unis se sont rapidement mis en isolement. C'est l'erreur qu'a commis l'Italie.

Mais nous nous trouvons face à un dilemme. Fermer ou non ?

Notre gouvernement n'est pas préparé à ce type de scénario. Nous pourrions aussi le payer cher si nous ne fermons pas [les services publics], et nous mettons en jeu ce qui n'a pas de prix : la vie.