En Afrique de l'Ouest, la lutte contre le COVID-19 s'accompagne de violations des droits humains

Image de Olga Lionart via Pixabay

Le COVID-19, cet envahisseur venu du Nord, a mis du temps pour arriver en Afrique. Mais il a vite rattrapé le temps perdu car si à la date du 20 février, on ne dénombrait pour toute la région que 210 personnes atteinte du virus, au 4 avril, l’Afrique comptait  8 018 cas confirmés dans 50 des 54 pays, 339 décès et 652 personnes guéries.

Les 15 pays de la Communauté des états de l'Afrique de l'ouest, qui ont tous été impactés, à eux seuls totalisaient 1597 cas avec 45 décès à la date du 4 avril.

Covid19 en Afrique, carte visualisant les pays touchés par l'épidémie.

Visualisation des pays touchés par le COVID-19 sur le continent africain au 20 mars 2020. Carte réalisée par MehdiBitw98, sous licence CC BY-SA 4.0.

À l'instar des pays européens, presque tous les pays africains ont pris des mesures pour empêcher le virus de se propager : fermeture des écoles de tous les niveaux, des lieux publics, des mosquées, des églises, des magasins, des frontières ainsi que des aéroports ; limitation des déplacements intérieurs ; distanciation sociale.

Cependant, dans certains pays, ces mesures ont pris une tournure violente.

Violences policières

La première nuit du couvre-feu (de 21h à 5h du matin) qui a été instauré en Côte d'Ivoire le 23 mars 2020, le journaliste indépendant Bally Ferro a relevé les bavures policières dans la capitale économique, Abidjan. Il en témoigne sur le site d'actualité ivoirien Yeclo.com :

La première nuit, du mardi 24 au mercredi 25 mars 2020, a été émaillée de bavures policières, avec les bastonnades et autres sévices corporels infligés par les agents des forces de l’ordre aux contrevenants…

Le cinéaste camerounais et militant pour les droits humains Saïd Penda a dénoncé le comportement des forces de l'ordre ivoiriennes, dans une publication sur Facebook :

Certaines vidéos que j’ai regardées sont d’une extrême violence, des agents des forces de l’ordre frappant aveuglément sur toutes les parties du corps avec des ceinturons militaires comportant des éléments métalliques.

Au Sénégal, où le couvre-feu a été décrété à Dakar par le Président de la république le 24 mars de 20 heures à 6 heures, les habitants en quête de nourriture ont du mal à le respecter. Mais les forces de l'ordre n'ont pas attendu longtemps pour se déchaîner contre ceux qui enfreignaient l'état d'urgence, comme l'a constaté le journaliste sénégalais Momar Dieng :

Des images postées sur les réseaux sociaux ont montré des policiers bastonnant avec une extrême violence des personnes qui ont eu la malchance (ou l’outrecuidance) de se trouver encore dans les rues après 20h…

​Ces violences policières ont été observées et filmées dans plusieurs quartiers de la capitale, dont la Médina.

Au Burkina Faso, où 6 ministres ont contracté la maladie, le quotidien en ligne lefaso.net, cite un communiqué du mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBDHP) dénonçant la violence avec laquelle les agents de sécurité ont traité les citoyens, qui condamne :

… les actes de torture et autres traitements inhumains et dégradants infligés par certains éléments des forces de défense et de sécurité (FDS) aux personnes appréhendées durant les heures de couvre-feu. Ces actes sont inacceptables dans un État de droit et ce d’autant plus que le Code de la santé publique prévoit une répression adéquate en cas de non-respect d’une mesure sanitaire.

Les Nigérian·e·s sont habitué·e·s à la violence de leurs forces de sécurité. Rebecca Bantie du site thebbcghana.com rapporte [en] comment un homme qui était sorti pour chercher du la nourriture pour sa femme a été tué par la police :

Residents of Abuja, the capital of Nigeria, are furious over the death of one of their own at the hands of the police who were supposed to protect, enforce the law and guide citizens.

The deceased went out to buy food for her starving pregnant wife during the lockdown order in the capital. The man, unfortunately, lost his life at the hands of the police who didn’t exercise patience with him but beat him for arguing which lead to his death, an eyewitness reported.

Les habitants d'Abuja, la capitale du Nigéria, sont furieux de la mort de l'un des leurs aux mains de la police qui était censée protéger, appliquer la loi et guider les citoyens.

Le défunt était sorti acheter de la nourriture pour sa femme enceinte affamée lors de l'ordonnance de confinement dans la capitale. L'homme, malheureusement, a perdu la vie aux mains de la police qui n'a pas fait preuve de patience avec lui mais l'a battu pour avoir tenu tête aux policiers, ce qui a conduit à sa mort, a rapporté un témoin oculaire.

Les journalistes et le personnel médical en ligne de mire

La journaliste Awa Faye indique sur seneweb.com que certain·e·s de ses confrères et consœurs ont été également maltraité·e·s au Sénégal, ce qui a donné lieu à un communiqué de la Convention des jeunes reporters du Sénégal (Cjrs) déplorant les agissements de certains policiers.

Au Niger, le journaliste et lanceur d'alertes Kaka Touda Mamane Goni a été arrêté pour avoir révélé la présence d’un cas suspect de COVID-19 à l’Hôpital Général de Référence de Niamey, selon un communiqué du Collectif Tournons la page Niger (TLP Niger).

Dans un communiqué, Reporters sans frontières révèle qu'outre les agressions et les intimidations, les citoyen·ne·s sont également privé·e·s d'accès aux sources d'information :

Les autorités du Nigeria et du Libéria ont décidé de limiter l’accès à la présidence à une poignée de médias, presque tous contrôlés ou proches du pouvoir. Celles du Cameroun ont exclu de la communication gouvernementale plusieurs médias privés critiques très populaires. Et à Madagascar, les programmes de libre antenne dans lesquels des auditeurs sont susceptibles d’intervenir et d’exprimer leur opinion sur la pandémie et sa gestion sont désormais interdits.

Le personnel médical n'est pas épargné par les violences. Le Faso MAG a évoqué sur Facebook des violences dont un ambulancier de la mairie de Houndé à plus de 250 km à l'ouest de Ouagadougou, avait été victime en pleine rue.

Le site web d’actualités Sibassor.net rapporte les propos publiés par le Pr Alain Khassim Ndoye de l'Hôpital Aristides le Dantec à Dakar, sur sa page Facebook. Selon lui, des membres du personnel hospitalier ont été malmenés par les forces de sécurité :

Ils ont passé leur journée au bloc opératoire. Ils ont été surpris par l’absence de transports en commun quand ils sont sortis à 17h. Certains ont marché jusqu’au “garage Petersen” où ils disent avoir subi la violence des policiers.

La tension monte en Guinée

En Guinée, le Président Alpha Condé a décrété le 26 mars 2020 une série de mesures, comprenant la limitation du nombre de passagers par voiture ou moto, la fermeture des lieux de culte et de loisirs ainsi que les frontières aériennes et terrestres. Un couvre-feu a également été instauré de 21 h à 5h du matin, interdisant les déplacements d’une ville à l'autre. Après une recrudescence des cas ce 2 avril 2020, le pays compte désormais plus de 50 cas de COVID-19.

C'est peut-être le pays le moins préparé à affronter une sérieuse crise de cette maladie. En témoigne cette mésaventure qui voit de hautes personnalités hospitalisées à Donka, un des hôpitaux publics de Conakry, la capitale. Voici comment le journaliste Youssouf Boundou Sylla du site Guinee News décrit les conditions de vie des malades :

…les personnalités elles-mêmes sont dans des mauvaises conditions; imaginez nous autres populations? A cause de ce mépris, Hadja Rabiatou Diallo [une célèbre leader syndicaliste] déjà malade a entamé une grève de la faim, elle est déjà gravement malade et ne recevait les repas qu'à 10h comme nous autres; elle dit avoir peur pour le reste de la population.

En outre, le journaliste Oumar Bady Diallo du site Africa Guinee, a reçu des témoignages indiquant qu'il avait eu de violents affrontements entre jeunes et policiers accusés de pillage. Citant un témoin oculaire, il écrit :

En ce moment les jeunes et les policiers échangent des jets de pierres et du gaz lacrymogène. Certains policiers rentrent même dans les quartiers pour chasser les jeunes mais ces derniers ripostent toujours

Dans des pays où la majorité de la population vit au-jour-le-jour, il est difficile de conjuguer la nécessité de trouver chaque jour de la nourriture et la stricte application de la distanciation sociale et les autres exigences du confinement. Il est donc à craindre que ces quelques violations des droits humains ne soient que le début d'une longue série.

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