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Militantisme numérique, peinture et grève nationale : comment les Mexicaines réagissent aux violences sexistes

Catégories: Amérique latine, Mexique, Cyber-activisme, Droits humains, Femmes et genre, Jeunesse, Liberté d'expression, Manifestations, Médias citoyens, Peuples indigènes
Vue aérienne de la manifestation du 8 mars à Mexico

Manifestation à Mexico, le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes. Au sol est peinte la phrase : « Nous sommes la clameur de celles qui ne sont plus. » Photo de Santiago Arau [1], reproduite avec son autorisation.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en espagnol, ndt]

Avant de parler des violences sexistes, rappelons quelques chiffres. Au Mexique, plus de dix femmes [2] sont assassinées chaque jour et plus de 27 % des Mexicaines ont été victimes de harcèlement ou d’agression sexuelle [3] dans l’espace public. Les violences contre les femmes augmentent et se complexifient [4] ; la majorité reste impunie [5].

En réaction à cette situation, diverses initiatives féministes sont apparues afin d’exiger un changement. Le 9 mars, par exemple, les Mexicaines ont disparu de l’espace public, des lieux de travail, des écoles, des magasins, des réseaux sociaux, ainsi que des activités quotidiennes dont elles ont la charge et qui tendent à être invisibilisées et impayées, bien qu’indispensables et productives, comme le travail domestique et le soin aux personnes [6].

Elles voulaient démontrer par là leur poids économique et social, et, par leur absence, stimuler la réflexion sur ces femmes qui disparaissent réellement [7] et à tout jamais.

Cette action émanait des « Sorcières de la mer » (Brujas del Mar [8]) qui l’avaient fait connaître sur les réseaux sociaux sous le hashtag #UnDíaSinNosotras [#UnJourSansNous]. Ce collectif féministe est basé à Veracruz, État littoral où l’on a dénombré en 2019 le plus grand nombre de féminicides [9] du pays.

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Si paramos nosotras, para el mundo. Unámonos a esta protesta simbólica, paralicemos nuestras actividades por un solo día para que se den cuenta que están dejando en el olvido al 52% de la población. #UnDíaSinNosotras #ParoNacional [10]

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[Sur l'affiche est écrit : « le 9, personne ne bouge ! #UnJourSansNous. Interruption nationale. Pas une femme dans les rues, pas une femme au travail, pas une fille à l’école, pas une fille à la fac, pas une femme dans les boutiques. 09 mars 2020. »]

Si on s’arrête, le monde s’arrête.

Retrouvons-nous pour une action symbolique : cessons toute activité une seule journée, pour qu’ils se rendent compte qu’ils oublient 52 % de la population.

Le collectif Sorora [12] explique dans le média numérique Animal MX [13] que cette interruption visait à :

hacer visible la violencia estructural que vivimos las niñas y mujeres en el país. Para enfatizar el impacto de nuestra ‘ausencia’ en un sistema patriarcal-capitalista que cosifica y comercializa nuestros cuerpos y que se sostiene por el trabajo de cuidados no pagados y la precarización laboral de las mujeres.

rendre visible la violence systémique vécue par les femmes et filles du Mexique, souligner l’impact de notre « absence » dans un système capitaliste et patriarcal qui objectifie nos corps, en fait des objets de consommation, et qui ne tient que par la précarité de l’emploi des femmes et le travail de soin impayé.

Les femmes autochtones de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN [14] [fr]), se sont jointes à l’appel et ont publié un communiqué le 1er mars expliquant l’importance de ce type d’action féministe : « Et si nous nous organisions plus et mieux ? Parce que la rage et la douleur ne mènent pas toujours au désespoir et à la résignation résignation. Il est possible qu'en jaillisse un militantisme. »

NOUS N'AVONS PAS BESOIN DE PERMISSION POUR LUTTER POUR NOTRE VIE.

Les femmes zapatistes rejoignent le Mouvement National du 9 mars.

Commandantes et coordinatrices des femmes zapatistes de l’EZLN

Autres initiatives symboliques

En février, à quelques jours d’intervalle, deux atroces féminicides [19] ont de nouveau mobilisé [20] les féministes. Ingrid Escamilla, une jeune femme de 25 ans, a été brutalement assassinée par son compagnon ; les photos extrêmement choquantes de son corps dépecé ont filtré dans la presse, soulevant une indignation générale. Fátima Cecilia Aldrighett, une petite fille de 7 ans, a été enlevée près de son école ; son corps torturé et marqué par des violences sexuelles a été retrouvé dans un sac plastique sur la voie publique.

Après l’exposition médiatique du corps violenté d’Ingrid Escamilla a surgi une initiative sur Twitter [21] souhaitant lui rendre hommage :

Mes amies, j’ai vu une fois le cas d’une États-unienne assassinée dont les clichés post-mortem avaient filtré [dans les médias]. Sa famille et ses amis ont alors partagé des photos de jolies choses, afin qu’en cherchant son nom sur internet on ne tombe plus sur ces images regrettables et que celles-ci soient marquées comme indésirables.

Des centaines d’internautes se sont alors mis·e·s à partager sur Twitter de belles images sous le hashtag #IngridEscamilla, empêchant ainsi que les recherches associées à son nom n’aboutissent aux photos de son corps brutalisé.

Signa Lab [23], un laboratoire universitaire spécialiste en analyse des réseaux, explique  [24]:

Ingrid fue brutalmente asesinada. Entre el coraje y dolor, las redes se convirtieron en espacios de propagación del horror. La inteligencia y los afectos colectivos irrumpieron para apagar el horror y exigir justicia.

Ingrid a été brutalement assassinée. Entre courage et douleur, les réseaux sociaux sont devenus des espaces où se propageait l’horreur. L’intelligence et la tendresse collective sont intervenues pour y mettre fin et réclamer justice.

Je pleure à cause de la magnifique idée de @citcitcitcit_

D’autres actions ont eu lieu, par exemple teinter de rouge des lieux emblématiques comme les [fontaines aux pieds des] statues de Diane chasseresse [28] à Mexico et de Minerve [29] à Guadalajara dans l’État de Jalisco :

Diane se pare de rouge. Les féminicides nous ont pris des milliers de femmes, mais leur mémoire perdure.

Nous n’arrêterons pas tant qu’ils continueront à nous tuer. Nous n’arrêterons pas tant qu’ils continueront à nous violer.

Nous n’arrêterons pas tant que nous ne serons pas LIBRES.

Ce samedi, la fontaine de Minerve au centre du rond-point s’est empourprée ; à ses pieds, face à l’avenue Vallarta, une banderole proclamait « México Feminicida » [Mexique Féminicide].

En outre, avant que ne commence la manifestation de masse pour la Journée internationale des droits des femmes [35] à Mexico, des militantes avaient écrit à la peinture sur la place centrale de la capitale, où se terminent en général les manifestations, le nom de femmes assassinées :

Aujourd’hui #8M, nous rappelons le nom de toutes celles qui nous manquent, celles qui ne peuvent être à nos côtés aujourd’hui, celles que la violence patriarcale nous a enlevées. Toutes ont un nom, un visage, une histoire. Aujourd’hui, leurs noms sont un cri de justice.

Voilà entre autres comment au Mexique, face à l’adversité, les femmes ont décidé de tisser des liens, conjuguer leurs forces, revendiquer leur rage et s’organiser pour faire face aux violences sexuelles.

Consultez le dossier spécial « Comment les femmes d’Amérique Latine luttent-elles contre les violences sexistes [40] » [fr].