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Dans une annonce faite le 2 avril 2020, le Bureau gouvernemental du développement commercial et économique de Hong-Kong a accusé la chaîne publique de la ville, Radio Television Hong-Kong (RTHK), d'avoir enfreint la politique de la Chine unique.
L'annonce, signée par le ministre de tutelle du Bureau, Edward Yau, a jeté le blâme sur le programme d'informations « The Pulse », au cours duquel la journaliste Yvonne Tong a insisté auprès du représentant de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), Bruce Aylward, pour qu'il se prononce sur la qualité de la réponse de Taïwan devant l'irruption du Covid-19 ainsi que sur son statut dans l'OMS.
Taïwan assistait aux réunions de l'OMS en tant que membre non-officiel jusqu'en 2013, avant que Beijing n'exerce [fr] sa pression diplomatique pour écarter le pays. Suite à la victoire aux élections présidentielles de Tsai Ing-wen du Parti démocratique progressif, qui est en faveur de l'indépendance de Taïwan, le président chinois Xi Jinping a décidé de lui opposer une politique d'isolement complet.
L'embarras de l'OMS fait le buzz
L'émission en question, diffusée le 29 mars, faisait le point sur les mesures prises dans le monde entier contre la pandémie. Sommé de dire au cours de l'entretien si l'OMS serait disposée à ré-examiner l'adhésion de Taïwan comme membre, Aylward a répondu qu'il n'avait pas entendu la question, avant de couper brusquement la communication. La journaliste l'a rappelé et, cette fois, lui a demandé son avis sur la façon dont Taïwan contrôlait la propagation du Covid-19, mais Aylward s'est contenté de dire qu'il avait déjà émis une opinion sur la Chine et a mis fin à l'interview.
Bien que Taïwan ait alerté l'OMS sur l'éventualité d'une transmission humaine du virus dès la fin du mois de décembre 2019, dans le cadre de la politique d'isolement, les autorités taïwanaises ont été exclues de la réunion d'urgence du 22 janvier pour faire face à la crise sanitaire. Il n'empêche que Taïwan a surpassé bien d'autres pays dans la lutte contre la propagation du virus.
Dans ce contexte, on a pu interpréter le refus d'Aylward de se prononcer comme la preuve de la position politique pro-chinoise de l'OMS. Le clip a fait le buzz sur les réseaux sociaux où beaucoup ont accusé l'OMS de conspirer avec la Chine pour sous-estimer la gravité de la pandémie.
Bruce Aylward @WHO did an interview with HK's @rthk_news When asked about #Taiwan he pretended not to hear the question. The journalist asked again & he even hung up! Woo can't believe how corrupted @WHO is. pic.twitter.com/uyBytfO3LP
— Studio Incendo (@studioincendo) March 28, 2020
Bruce Aylward de l'OMS a accordé un entretien au journal d'informations de RTHK (Hong-Kong). Quand on lui a posé des questions sur Taïwan, il a fait comme si il n'avait pas entendu la question. La journaliste l'a de nouveau interrogé & il a carrément raccroché ! Ouah, incroyable comme l'OMS est corrompue.
L'incident a attiré les foudres de Beijing. Le lendemain, le site de la télévision centrale chinoise (CCTV) publiait un commentaire accusant la journaliste de « mauvaises intentions ».
Des rédactions sous pression ?
Le gouvernement de Hong-Kong s'est fait l'écho de la position de Beijing en accusant « The Pulse » de violer tout à la fois la « politique d'une Chine unique » et « la mission de RTHK en tant que service public de radio selon les termes de sa charte ».
Le porte-parole de RTHK a rejeté les critiques du gouvernement en faisant remarquer que l'émission concernait les réactions globales devant la pandémie et que la section sur Taïwan faisait simplement partie du programme. De plus, il a fait valoir que la journaliste avait parlé de Taïwan, non comme d'un « pays », mais comme d'un « endroit », ce qui n'enfreignait ni le principe d'« Un pays, deux systèmes », ni la charte de la RTHK.
Le syndicat des producteurs de radio a assimilé l'annonce du gouvernement à une attaque contre le messager, tout en priant le public de défendre l'indépendance de la rédaction.
Une membre du comité consultatif des programmes de RTHK, Fermi Wong, a suggéré qu'il s'agissait d'une annonce faite sous la pression de Beijing :
When you look at the interview done by the Pulse reporter, it is about the coronavirus issue, it is about health. I don't really understand why when a reporter is asking something relating to health, she or he has to remember there is ‘One Country, Two Systems’ … in line with the government or China. I believe the government statement may come after some kind of pressure from the Foreign Ministry or the Chinese Communist Party, I don't know. But I think the statement is the biggest nonsense.
Si vous écoutez bien l'entretien mené par la reporter de The Pulse, vous voyez qu'il s'agit du virus, de la santé. Je ne comprends pas vraiment pourquoi, quand un reporter pose une question de santé, il faut qu'il ou elle se souvienne qu'il y a “Un Pays, Deux systèmes”… en accord avec le gouvernement ou la Chine. Je crois que la réaction du gouvernement a pu être le résultat d'une forme de pression de la part du ministère des Affaires étrangères ou du Parti communiste chinois, je ne sais pas. Mais je pense que leur réaction n'a aucun sens.
En 2004, suite à son échec à faire passer un ensemble de lois sur la sécurité nationale inscrites dans l’Article 23 de la Loi organique, Beijing s'est mis à accroître son contrôle sur les organes de presse de Hong-Kong. Depuis, la RTHK s'est retrouvée sous pression politique parce qu'elle ne s'aligne pas sur la politique gouvernementale. Ces dernières années, la pression sur RTHK pour s'auto-censurer a été énorme aussi bien sur certains programmes d'affaires publiques très suivis, que sur l'émission satirique d'informations « Headliner » et son forum public hebdomadaire « City Forum ».
Intimidation par les forces de police
La toute dernière manoeuvre d'intimidation s'est produite en août 2019. Dans le contexte de manifestations anti-chinoises contre la loi d'extradition qui duraient depuis des mois, des journalistes de RTHK ont mené l'enquête sur l'échec de la police de Hong-Kong à protéger les citoyen·ne·s contre une attaque par une foule le 21 juillet à Yuen Long. En août, des manifestant·e·s pro-Beijing ont organisé plusieurs manifestations devant le siège de la RTHK, accusant le groupe médiatique de partialité.
Le Préfet de police, Chris Tang, a également déposé une plainte auprès de l'Autorité de communication contre l'émission « Headliner » de RTHK arguant qu'elle entravait le travail de la police et portait atteinte à l'ordre public.
En mars 2020, suite à une demande émise par la radio commerciale gratuite la plus importante dans la ville, TVB, l'Autorité de communication a tenté de réduire l'influence de RTHK en supprimant une clause de la licence de TVB, qui obligeait jusqu'alors la station à rediffuser 3 heures et demi des programmes de RTHK chaque semaine.
Par ailleurs, le président du comité de direction de RTHK, Eugene Chan, a proposé d'établir un groupe de travail de trois personnes pour traiter les plaintes déposées contre les programmes de RTHK. Le syndicat des producteurs a critiqué cette initiative, y voyant une interférence directe dans les opérations quotidiennes de la station.
L'objectif de Beijing de faire de la radio son porte-parole se voit dans le slogan « La RTHK devrait représenter la voix du gouvernement » scandé par les manifestant·e·s pro-Beijing devant les bureaux de RTHK. Désormais, c'est de la part du gouvernement de Hong-Kong que provient une pression de plus en plus forte.