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Chroniques du COVID-19 depuis Wuhan : les restrictions se durcissent

Catégories: Asie de l'Est, Chine, Catastrophe naturelle/attentat, Droits humains, Femmes et genre, Liberté d'expression, Médias citoyens, Santé, COVID-19
Quelques personnes gravitent autour d'une table, où le personnel accueille les riverains

Le point d'accueil du service de proximité situé à un carrefour. Photo de Guo Jing.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en chinois, ndlt]

La chronique ci-après est la quatrième d'une série de « journaux intimes » rédigés par la cinéaste indépendante et universitaire féministe Ai Xiaoming [1] et l'activiste féministe Guo Jing [2]. Toutes deux vivent à Wuhan, l'épicentre de la pandémie de COVID-19. Vous trouverez ci-après la première [3], la deuxième [4] et la troisième [5] partie de la série [fr].

Ce quatrième volet a été rédigé entre le 11 et le 16 février 2020. Les originaux de ces « journaux intimes » sont disponibles en chinois sur Matter News.

Guo Jing : 11 février 2020 [6]

今天是阴天,早上我本不打算出门,结果看到武汉市新冠状肺炎防控指挥部在半夜发布通知,决定在全市范围内所有住宅小区实行封闭管理。这下我必须出去了。我要确认这是不是真的已经开始落实,以及封闭管理究竟是怎么回事。
小区门口除了保安还有3个人,我出门的时候并没有人阻止我。我去了超市,蔬菜很多,肉基本被抢空,酸奶在半价卖。我到肉柜前的时候刚好称重的工作人员又称了几包肉放过来,我就买了3袋肉。一些零食也被卖光了,我买了一些牛肉干。
这可能是我最后一天出门,我想在外面多待会,就骑着车游荡。
我进小区的时候,他们对我说:“尽量少出门。”我担忧地说:“那买菜怎么办?”
“多买一些。”
“那吃完了也要出去买。”
“可以出”
“你们每天都在这里吗?”
“不会,保安会在,市里检查。”
面子工程总还是会有人力。封锁的不只是病毒,还有人。
回家后,我把3袋肉分成了14份,接下来的两周我都有肉吃。

Le ciel est nuageux aujourd'hui. Je n'avais nullement envisagé de sortir ce matin. Toutefois, j'ai lu une notification émanant du centre de prévention et de commandement COVID-19 de Wuhan (Wuhan COVID-19 Prevention and Command Center) hier soir, dans laquelle ils se sont engagés en faveur d'une politique de fermeture de tous les quartiers résidentiels de la ville. Je ressens le besoin de voir si cette nouvelle mesure est effective et quel est le sens de cette procédure d'enfermement.

Trois personnes, en plus du gardien, se trouvaient à l'entrée du quartier résidentiel. Je suis sortie sans que personne ne m'arrête. Je suis allée au supermarché. Il y avait beaucoup de légumes, mais la majeure partie de la viande avait été vendue. Les yaourts étaient vendus avec une remise de 50 %. Quand je me suis rendue au rayon boucherie, le personnel a disposé quelques variétés de viande fraîchement conditionnées sur les étals et j'ai pu me procurer trois lots. Certaines collations étaient également en rupture de stock. J'ai aussi pris de la viande de bœuf séchée.

Comme je pressentais que ce pourrait être mon dernier jour de sortie, je souhaitais rester dehors aussi longtemps que possible. Je me suis promenée à vélo dans la ville. À mon retour dans mon quartier, les gens m'ont dit : « Il est préférable de ne pas sortir aussi souvent.» J'étais inquiète et je leur ai demandé : « Comment puis-je me procurer de la nourriture ? »
– Achetez-en en plus grande quantité.
– J'ai toujours besoin de sortir lorsque je suis à court de nourriture.
– Tu peux toujours sortir.
– Tu seras là tous les jours ?
– Non. Le garde de sécurité restera ici tous les jours. Aujourd'hui, il y a une inspection de l'administration municipale.

Ils enferment non seulement le virus mais aussi les êtres humains.
À la maison, j'ai réparti les trois paquets de viande en 14 petits paquets. Je pourrai ainsi manger de la viande tous les jours au cours des deux semaines à venir.

Guo Jing : 12 février 2020 [7]

风尘之后,有个女权伙伴问我是否了解风尘中的家暴问题,她担心地说“如果女人受到家暴,Jing茶还会不会出警?她能否获得支持?”
在封锁的城市里,一个女人遭受了家暴,一些认为这是家务事的Jing这个时候更加不愿意处理这样的案件。
受暴者此时也很难获得社会支持,社工机构也都没有上班。
她想离开家都是困难的,很难有人会收留她,没有交通也很难走远,酒店、旅舍也都没有营业。

Une fois le confinement mis en place, une collègue de notre groupe de travail sur les droits des femmes m'a questionnée sur la violence domestique dans une ville ainsi bouclée. Elle m'a confié avec une certaine angoisse : « Si une femme est victime de violence domestique et qu'elle le dénonce à la police, les policiers iront-ils enquêter ? Les victimes bénéficieront-elles du soutien dont elles ont besoin ? »

Dans une ville verrouillée, lorsqu'une femme est victime de violence domestique, les policiers seraient bien moins enclins à intervenir, estimant généralement que la violence conjugale est une affaire de famille.

En outre, il est particulièrement difficile pour les victimes de bénéficier d'un soutien social car toutes les structures de services sociaux sont désormais inaccessibles. De plus, il est compliqué pour la victime de quitter sa maison car il est peu probable qu'elle trouve quelqu'un disposé à l'accueillir maintenant. Les transports publics étant actuellement interrompus, elle ne peut pas aller bien loin et la plupart des hôtels sont désormais fermés.

Les clients observent la distanciation sociale dans la file du supermarché

File d'attente devant un supermarché. Photo de Guo Jing.

Guo Jing : 13 février 2020 [7]

早上出门的时候,阳光刚刚透过云层照到地上。我出门的时候,保安没有拦下我,也没有问我,能自由地出门让我感到幸运。昨天有朋友问我现在缺什么,我没有任何思考,脱口而出说缺自由”
风尘后,城市的马路上没有了喧嚣,可以听到鸟叫声。有个老人家在一栋楼的侧面打太极,超市开始控制人进入,队伍是从离门口五六米的地方才开始排的,人与人之间隔着一米的距离。
有一个路口摆着桌子,是供社区工作人员用的,桌子上放着体温仪和洗手液,旁边有八九个人,有两个人坐在桌子后面。有个老人家跟两个人说着什么,其中一个戴着社区工作人员专属的红帽子。
过了一会,老人家离开了,我走过去问她怎么回事。她着急地说:“老伴要去医院看病、开药,但他不是肺炎,是脑溢血,要一个月去一次医院,哪晓得出了这个事,都熬了好几天啦。他也走不到医院,社区不给安排车。”
她老伴吃的药有处方药,很难买。前面站着五个穿制服的人,老人家又过去跟他们说自己的情况,穿制服的人说:“这个还是找社区。”老人家无奈地走了。

Ce matin, en sortant, j'ai vu le soleil traverser les nuages et se poser sur le sol. Quand je suis sortie, le vigile ne m'a pas arrêtée et ne m'a posé aucune question. Je me suis sentie privilégiée de sortir sans entrave. Hier, un ami me demandait si j'avais besoin de quelque chose en ce moment. La liberté me manque.

Il y a moins de nuisances sonores depuis que la ville est fermée. On peut entendre le chant des oiseaux. J'ai aperçu une femme âgée pratiquant le Tai Chi de l'autre côté du bâtiment. Les supermarchés ont recommencé à accueillir des clients : les gens sont obligés d'attendre leur tour à 5 voire 6 mètres de l'entrée, en maintenant une distance d'un mètre entre chaque personne.

À un carrefour, il y avait un bureau pour les agents municipaux. Des thermomètres et des désinfectants se trouvaient sur le bureau. J'ai aperçu une dame âgée discuter avec deux d'entre eux.

Puis, cette dame est sortie. Je suis alors allée à sa rencontre et lui ai demandé de me raconter ce qui s'était passé. Elle m'a répondu : « Mon mari a besoin de se rendre à l'hôpital pour consulter le médecin et pour acheter des médicaments. Il ne souffre pas de pneumonie. Il a subi un AVC et a besoin de se rendre à l'hôpital une fois par mois. Qui peut prévoir ce qui se passera maintenant ? Nous attendons depuis plusieurs jours. Il ne peut pas se rendre à l'hôpital à pied et la municipalité a refusé de lui trouver une voiture. »

Il est difficile de se procurer les médicaments nécessaires à son mari. Elle a demandé aux cinq autres personnes en uniforme qui se tenaient devant nous. Toutes lui ont conseillé de contacter l'assistance sociale. Elle a quitté l'hôpital, désemparée.

Guo Jing : 14 février 2020 [7]

一个在湖北某县城的朋友说她所在的小区已经被限制出入好几天,社区通知昨天开始完全禁止出入,买菜都不行。
昨天早上,她家人赶快带着口罩和通行证出门买菜,很多人在菜市场抢菜,她家人去买土豆的时候前面一个人打算买完所有的土豆,她家人请求他留一些,她家人才买到一点土豆。下午,她家人想再出去买一些东西就出不了小区了。这如同武汉风尘时的套路,临时通报,没有告知居民生活如何得到保障。
Z_F在应对传染病的时候,除了控制病毒本身,还要将人们的恐惧考虑在内。可是恰恰相反,有的地方开始鼓励举报,举报一个新冠状病毒肺炎病人奖励1万元,病人自觉去医院也会奖励一些钱。
人们对Z_F的信任、人与人之间的信任不断地被消耗,恐慌却在被加强。这几天周围被管控得越来越严,超市限制进入的人数、周边被封起来的地方越来越多、更多的隔离区域。而很多人需要帮助的时候,社区工作人员、穿制服的人都成了无能者。我感到深深地绝望。

Une de mes amies, vivant dans une autre ville de la province de Hubei, me raconte qu'elle ne peut plus sortir depuis plusieurs jours. Hier, elle a reçu une notification lui indiquant que personne dans la localité n'est habilité à sortir y compris pour faire des courses.

Hier matin, un membre de sa famille a revêtu un masque et s'est empressé de faire des provisions sur présentation d'un laissez-passer. De nombreuses personnes ont acheté des vivres sur le marché dans un état de panique. En se rendant au rayon des pommes de terre, la personne en face d'elle a saisi toutes les pommes de terre se trouvant sur l'étagère, elle a donc dû la supplier de lui en laisser quelques unes. Dans l'après-midi, lorsque les membres de sa famille essayaient de sortir et d'acheter plus de nourriture, plus personne n'était alors autorisé à sortir. Voilà exactement ce qui s'est passé lorsque la ville de Wuhan a été mise en quarantaine : la fermeture a été décidée soudainement sans informer les habitants sur la façon dont ils pourraient organiser leur vie.

Lorsque le gouvernement riposte face à la pandémie, outre le fait de contenir le virus, ce gouvernement doit également prendre en compte les angoisses de la population. Au contraire, certains gouvernements locaux incitent les populations à dénoncer les personnes supposées être atteintes par le COVID-19. Un signalement rapporterait dix mille Renminbi (environ 1 284 euros). Si un malade se manifeste, il percevra également une somme d'argent.

Notre foi en le gouvernement et en autrui se détériore au fil du temps tandis que notre peur empire. Aujourd'hui, les contrôles sont de plus en plus stricts. Le nombre de clients à l'intérieur des supermarchés est limité. De plus en plus de quartiers ont été fermées et de plus en plus de centres de quarantaine ont été ouverts. En cas de besoin, les assistants sociaux et les fonctionnaires en uniforme ne sont plus en mesure de fournir une aide. Je me sens démoralisée.

Guo Jing : 15 février 2020 [7]

下午我发现我住的房子外侧漏雨,水渗进了里面…我跟房东说了房子漏水,房东让我跟物业讲一下。这也不是紧急的事情,现在物业肯定不会管。
下午下了雪,作为一个北方人这几年在南方很少见到雪,我想着可以顺便看看雪,就下了楼。我看到物业的门关着,以为没人,就去门卫室问一下物业的情况。到了小区的门口,我还没开口,保安就拦下我,说:“现在只有看病和上班可以出门,要去物业开出门证。”我担心地问:“那买菜怎么办?”
“买菜也可以,要开出入证才行。”
“什么时候不让出门的?”
“今天开始,市里发的通知。”
我问社区的人说:“买菜怎么开出入证吗?”
“三天出一次。”
“我刚好下了楼,这个口罩都用了,能不能让我出门买个菜?”
“不能因为这个出门”
我只得上了楼。

Cet après-midi, j'ai constaté que de l'eau s'infiltrait à l'extérieur du mur de mon appartement… J'en ai informé la propriétaire, laquelle m'a invitée à en informer le gestionnaire immobilier. Comme ce n'est pas un problème urgent, je doute que le gérant prenne la peine de s'en occuper.

Cet après-midi, il a neigé. J'ai grandi dans le nord de la Chine mais, depuis mon arrivée dans le sud, j'ai rarement observé de la neige. J'ai pensé que si je sortais, je pourrais en profiter.

Quand je suis descendue, j'ai remarqué que la porte du propriétaire était verrouillée, j'ai supposé alors qu'il n'y avait personne à l'intérieur. Je me suis rendue chez le gardien pour lui demander des informations sur le service de gestion immobilière. Lorsque je suis arrivée à la porte de notre quartier, le garde de sécurité m'a interpellée avant même que je ne prenne la parole. Il m'a dit : « Vous ne pouvez sortir de chez vous que si vous vous rendez à l'hôpital ou au travail et vous devrez demander au service de gestion immobilière de vous accorder un laissez-passer. » J'angoissais :

- Et concernant l'achat de nourriture ?
– Vous pouvez sortir faire des courses seulement si vous disposez d'un laissez-passer.
– À quand remonte la nouvelle disposition qui nous interdit de sortir ?
– Elle est entrée en vigueur aujourd'hui. Nous avons reçu la nouvelle du gouvernement local.

J'ai demandé à d'autres habitants :

- Comment obtenir un laissez-passer pour acheter de la nourriture ?
– On peut sortir une fois tous les trois jours.
– J'ai déjà mis ce masque et descendu les escaliers, pouvez-vous me permettre de sortir et d'acheter de la nourriture ?
– Vous ne pouvez pas sortir.

Il ne me restait plus qu'à retourner à mon appartement.

Des barrières forment un couloir pour éviter les contacts entre personnes

Des barrières séparant les populations. Photo de Guo Jing.

Guo Jing : 16 février 2020 [8]

我对限制出门感到担忧,我再次有一种恐慌感,聊天的时候我有点像吃东西,好像也不是因为饿,但不知道什么时候会没吃的,吃了一个牛肉粒,也不敢多吃。
睡前我开始胡思乱想:如果物业不让出门,我可以从被暴风雨破坏的临时围栏的空隙中偷着跑出去。可是,我不知道如果我偷着跑出小区被发现会有什么惩罚,我担心我现在承受不起破坏规则的代价,尽管这个规则是不合理的。
因为昨天要求出小区被拒绝,我不知道今天能不能开到出门证。我抱着试一试的心态到了物业管理室,我说要出去买菜,工作人员给我开了个“居民临时通行证”,这个通行证看起来是批量生产的,上面写着住址和出入日期,出入日期最早是2月12日。
超市门口水果架上的水果比以往空了一些。蔬菜挺齐全的。有个放速冻食品的冰柜空了,酸奶的架子比较空,午餐肉、香肠这些都没了。今天的肉柜里有肉。
我今天的心情和第一天风尘有点像,再次为生存担忧。现在是三天外出一次,不知道明天会不会改成五天一次,甚至十天一次,一个月一次。我又买了5公斤大米、两袋面条和够我吃一星期的菜。
从风尘到封小区,我们的活动被控制得越来越紧,我们对世界的掌控感被一点点剥夺。
我下次出门的日期是2月19日。

Je suis préoccupée par les nouvelles règles qui m'interdisent de sortir. Je cède à nouveau à ce sentiment de panique. En discutant avec des amis, j'ai consommé de la nourriture non pas parce que j'avais faim mais plutôt par peur de ne plus avoir de quoi manger. J'ai avalé un morceau de bœuf. Je n'ose pas en manger trop.

Avant de m'endormir, j'ai nourri quelques réflexions délirantes : si le gestionnaire de la propriété refuse de me laisser sortir, je peux me glisser via une clôture endommagée. Néanmoins, je ne suis pas certaine du genre de punition à laquelle je peux être sujette si je sortais en douce. J'ai peur de ne pas être en mesure de supporter les sanctions si j'enfreins la règle maintenant, même si celle-ci n'est pas justifiée.

Étant donné que ma demande de sortie a été refusée hier, je ne savais pas si je pouvais bénéficier d'un nouveau laissez-passer aujourd'hui. J'ai fait une tentative et je suis rendue au bureau de gestion de la résidence. Je lui ai dit que je désirais acheter de la nourriture et le gérant m'a alors accordé un « laissez-passer temporaire pour les résidents ». Mon adresse et les dates auxquelles je peux sortir sont mentionnées sur le laissez-passer. La première date est le 12 février.

Les fruits sur les étagères, à l'extérieur du supermarché, étaient en moins grande quantité que d'habitude. Il y avait beaucoup de légumes. La partie dédiée aux fast-food surgelés, dans un des réfrigérateurs, était vide. La quantité de yaourt disponible était moindre que d'habitude. Il n'y avait ni jambon en boîte ni saucisses. Aujourd'hui, il y avait de la viande au rayon boucherie.

Ce que j'ai ressenti aujourd'hui est comparable à ce que j'ai ressenti le premier jour de la mise en quarantaine de la ville. Je me soucie à nouveau de ma survie. Maintenant, nous pouvons sortir une fois tous les trois jours. Je ne sais pas si ce sera une fois tous les cinq jours ou une fois tous les dix jours ou même une fois par mois. J'ai acheté un autre paquet de 5 kg de riz, deux paquets de nouilles et des légumes en quantité suffisante pour une semaine.

Du confinement de la ville à celui du quartier, les restrictions de nos activités sont de plus en plus sévères et nous sommes peu à peu dépossédés de nos droits.

Ma prochaine sortie est prévue le 19 février.

Consultez le dossier spécial de Global Voices sur l'impact mondial du COVID-19 [9].