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Au Nigéria, un roi adepte de la phytothérapie affirme pouvoir guérir le COVID-19

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Nigéria, Arts et Culture, Catastrophe naturelle/attentat, Ethnicité et racisme, Gouvernance, Guerre/Conflit, Idées, Médias citoyens, Peuples indigènes, Santé, Sciences, COVID-19
Le sceau de l'Ọọ̀ni est superposé aux ingrédients pour fabriquer le remède [1]

L'Ọọ̀ni Adéyẹyẹ̀ Ẹniìtàn Ògúnwùsì, Ọ̀jájá II a diffusé une vidéo faisant la publicité de remèdes à base de plantes pour guérir le coronavirus sur Twitter le 30 mars 2020.

L’article d'origine [2] a été publié en anglais le 1er avril 2020. Des mises à jour ont été ajoutées entre crochets pour refléter l'évolution de la situation.

Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages en anglais, ndlt.

Le nouveau coronavirus connu sous le nom de COVID-19 secoue actuellement le monde tel un violent tremblement de terre.

Selon l'université John Hopkins, le coronavirus a infecté plus de 900 000 personnes [3] dans le monde. Le Nigeria enregistre 174 cas au 1er avril 2020. [Mise à jour : au 11 avril, le nombre de cas confirmés [3] s'élève à 305 au Nigéria, et à plus de 1 699 000 dans le monde, ndt.]

Alors que les chercheurs et les scientifiques travaillent activement à la production d’un vaccin [4] contre le virus, les herboristes traditionnels proposent leurs solutions.

Au Nigeria, le Àdìmúlà Ifẹ̀, le roi du peuple Yorùbá, Ọọ̀ni Adéyẹyẹ̀ Ẹniìtàn Ògúnwùsì, Ọ̀jájá II, croit que les plantes peuvent guérir le COVID-19.

En partenariat avec YemKem International, une entreprise de médecine alternative, l'Ọọ̀ni (roi) travaille à la fabrication d'une thérapie à base de plantes pour une production de masse et un conditionnement pour la vente.

La préparation se compose d'un mélange de plantes amères, de feuilles et de graines de neem, de soufre, de poivre noir et de clous de girofle qui sont utilisés de façon traditionnelle en pays yorùbá comme des antioxydants puissants pour débarrasser le système des dangereux virus.

L'Ọọ̀ni, qui siège également en tant que co-président du Conseil national des dirigeants traditionnels du Nigeria (NCTRN, acronyme anglais), a posté sur Twitter une série de tweets [5] pour faire l'annonce de ses découvertes, affirmant avoir testé [6] sa mixture spéciale à base de plantes sur lui-même et sur d'autres personnes atteintes du coronavirus. Dans des tweets publiés le 30 mars, l'Ọọ̀ni appelle les chercheurs à utiliser les plantes pour la production d'un vaccin.

Je travaille aussi actuellement avec l'entreprise pharmaceutique Yem Kem International (Expert en médecine alternative) pour l'emballage et la distribution de ceux-ci au niveau mondial.

Il s'agit de sauver le monde maintenant. Demain il sera peut-être trop tard.

Restons tous en bonne santé.#Coronavirus #COVID19

Les tweets contiennent deux vidéos [1] avec des instructions détaillées concernant des remèdes maison à base de plantes, comprenant l'usage d'oignons pour retirer l'infection virale et d'encens pour expulser les « énergies négatives ».

Une prédiction d'Ifá

La médecine traditionnelle à base de plantes joue un rôle essentiel dans la culture yorùbá.

Au mois de juin de chaque année — le début de la nouvelle année [10] du calendrier yorùbá — les adorateurs du dieu de la sagesse (Ifá [11][fr]) dans la cosmologie yorùbá se rassemblent pour un festival à Òkè Ìtasẹ̀ où l'oracle d'Ifá parle et prédit l'avenir.

Le 6 juin 2019, au festival mondial Ifá, Òtúrá Méjì de l'Ifá a prédit la « fureur imminente d'une guerre pandémique invisible ». Les fidèles croient [12] maintenant que cette prédiction s'applique au COVID-19.

Une proclamation divine a été dévoilée au monde l'année dernière le 6 juin 2019, pendant le festival mondial Ifa – Otura Meji. Nous avons prédit l'imminence de cette fureur d'une guerre pandémique invisible, mais peu de gens nous ont écoutés.

Je vous prie de noter que Efod / Urim et Thurim figurent dans les Livres saints.

L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a soutenu la médecine traditionnelle comme faisant partie des soins primaires de santé et a rendu public un bulletin [14] analysant l'éthique de la médecine par les plantes pour la santé mondiale.

Cependant, l'OMS a clairement indiqué qu'il n'y avait actuellement aucun remède ou vaccin [15] contre le nouveau coronavirus COVID-19.

Médecine traditionnelle contre démarche scientifique

Faire des déclarations sur des remèdes à base de plantes non vérifiés par des contrôles scientifiques sérieux peut induire la population en erreur.

Le Dr Olúwatómidé Adéoyè, un scientifique spécialiste du développement pharmacologique basé à Lisbonne au Portugal, réfute le fait que le remède naturel à base de plantes du roi puisse guérir le coronavirus.

Dans un email adressé à Global Voices, le Dr Adéoyè a écrit :

There is no way that [the Ọọ̀ni] could know for certain that his ‘medicine’ (concoction) can cure the coronavirus. The proper protocol to test such medicine will be to (i) isolate the virus and test the medicine in ‘petri dishes,’ if effective, (ii) test in animals (models) and eventually in (iii) Humans (safety and efficacy).

Il n'y a aucun moyen de savoir avec certitude si son « remède » (préparation) peut guérir le coronavirus. Le protocole approprié pour tester un tel remède serait (i) d'isoler le virus et de tester ce remède en « boîte de Pétri », et s'il est efficace, (ii) le tester sur des animaux (modèles) et finalement sur (iii) des humains (innocuité et efficacité).

Le pharmacologue affirme :

Even if we assume they jumped straight to human trials, there is no evidence that Ọọ̀ni has test kits with which he diagnosed people for COVID-19 in order to evaluate the clinical efficacy of the purported medicine.

Même si nous faisons l'hypothèse que les kits ont été directement testés sur des humains, il n'y a aucune preuve que l'Ọọ̀ni détient des kits de dépistage avec lesquels il a diagnostiqué des personnes au COVID-19, dans le but d'évaluer l'efficacité clinique du prétendu remède.

Dans l'email, le Dr Adéoyè réfute aussi plusieurs mythes au sujet des remèdes traditionnels dont le roi fait la promotion dans ses vidéos.

Par exemple le roi affirme [1] que les oignons détruisent les énergies négatives et favorisent les énergies positives. Ainsi, les oignons tranchés et placés sous les pieds supprimeraient les virus et renforceraient le système immunitaire.

Le Dr. Adéoyè déclare que les publications universitaires appuyant ces affirmations « sont souvent scientifiquement médiocres » en termes de designs expérimentaux, de contrôle et de robustesse de données. En outre, « plus de 90 % de ces affirmations ne parviennent pas à satisfaire les tests efficacité-innocuité effectués sur les humains » :

Even if we assume that onions are effective viral neutralizers — if they can’t get into the body or get into the lungs (in the right dose/concentration), there's no way for them to act and be effective.

Même si nous faisons l'hypothèse que les oignons sont efficaces pour neutraliser les virus — s'ils ne peuvent pas pénétrer dans le corps ou dans les poumons (à la bonne dose/concentration), ils ne peuvent pas agir et être efficaces.

Le Dr. Adéoyè a également rejeté l'affirmation du roi selon laquelle brûler de l'encens [16] serait efficace.

Considering the breathing difficulties observed in COVID-19 patients, it will be an extremely stupid thing to reduce the air quality (oxygen) of someone whose lungs are under-performing.

En considérant les difficultés respiratoires observées chez les patients atteints du COVID-19, ce serait une chose très stupide de réduire la qualité de l'air (oxygène) d'une personne dont les poumons ne fonctionnent pas correctement.

Le fait de brûler de l'encens fait partie intégrante de la culture populaire au Nigeria, mais l'encens lui-même « n'est pas un désinfectant efficace », a rapporté le Dr Adéoyè à Global Voices.

Sur les implications de santé publique des déclarations du roi, le Dr Adéoyè a indiqué que ceux qui font commerce de « leur propre remède de charlatan comme médicament contre le corona… vont seulement entraîner plus de morts ».

Le Dr Adéoyè a également averti que les préparations à base de plantes « font courir le risque de toxicités aiguës et chroniques ».