Les Azéri·e·s doivent envoyer un SMS avant de sortir de chez eux

Quelques passants sur la place Nizami au centre ville de Bakou pendant le confinement du pays en avril 2020

La place Nizami au centre ville de Bakou, en Azerbaïdjan, est quasiment déserte depuis la mise en place du confinement. Avril 2020. Photo de Akbar Mammadov, reproduite avec autorisation.

L’article d'origine a été publié en anglais le 10 avril 2020.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt]

Alors qu'environ 90 000 victimes du coronavirus sont recensées à travers le monde, les pouvoirs publics azéris ont décidé, à leur tour, de restreindre les déplacements de la population à l'intérieur du pays pour freiner la propagation de l'épidémie. Le 9 avril 2020, selon la carte de l'Université Johns Hopkins, il y avait 926 cas d'infection et 9 décès liés au coronavirus en Azerbaïdjan, où la population avoisine les 10 millions d'habitants.

Le 5 avril dernier, l'Azerbaïdjan a renforcé les mesures de confinement en vigueur depuis le 24 mars. Les habitant·e·s doivent désormais informer les autorités avant de quitter leur lieu de résidence en envoyant un SMS non facturé. Le départ du domicile ne peut être justifié que de trois manières, matérialisées par des choix sur le formulaire numérique : se rendre à une consultation médicale (choix 1), se déplacer à la pharmacie, à la banque ou dans un bureau de poste (choix 2), ou assister aux funérailles d'un proche (choix 3).

L'expéditeur·ice reçoit ensuite son autorisation dans un SMS qui affiche le texte standardisé suivant :

2-ci indeks uzre muracietiniz tesdiqlendi. Artiq 2 saat muddetine yashayish yerinizi terk ede bilersiniz

Votre demande est accordée pour le choix 2. Vous pouvez maintenant vous absenter de votre domicile pendant deux heures.

Le message gratuit de demande d'autorisation (à envoyer au numéro 8103) doit contenir un numéro d'identification personnel ainsi que les raisons du déplacement hors domicile. La personne reçoit alors un message de confirmation valant accord et dont la durée de validité est de deux heures. Une seule autorisation peut être délivrée chaque jour. Les ressortissants étrangers qui résident en Azerbaïdjan sont également soumis·es à cette nouvelle réglementation.

Les demandes présentant des renseignements erronés pourront être rejetées et on ignore si certaines d'entre elles ont déjà été classées sans suite pour un autre motif.

Toutefois, est-ce que tout le monde peut envoyer un SMS en Azerbaïdjan ? La couverture mobile est globalement bonne dans le pays, néanmoins, certain·e·s utilisateur·ice·s ont vu leur numéro de téléphone portable bloqué suite à des impayés auprès de leurs opérateurs. En effet, le crédit téléphonique doit être rechargé avant de pouvoir envoyer un SMS de demande de sortie. Les citoyen·ne·s les plus démuni·e·s peuvent alors rencontrer des difficultés.

L'obligation d'envoyer un SMS ne s'applique pas aux citoyen·ne·s de plus de 65 ans qui ne sont plus autorisé·e·s à quitter leur domicile depuis le 24 mars. De leur côté, les agents de plusieurs organismes d'État sont exemptés de demande d'autorisation. Les entités de droit privé et les missions diplomatiques présentes dans le pays bénéficient également d'une liberté de mouvement, à condition de s'enregistrer sur un site Internet gouvernemental [az]. Par ailleurs, les habitant·e·s peuvent quitter leur domicile sans en informer préalablement les autorités, en cas d'urgence mettant en péril leur santé ou leur sécurité. Il en est de même pour se rendre à une convocation du tribunal ou de la police.

Toutefois, des failles auraient été constatées depuis la mise en fonctionnement du système le 5 avril dernier. En effet, le 8 avril, Ibrahim Mammadov, porte-parole du Cabinet des ministres a exprimé ses inquiétudes sur le contournement des règles de confinement. « De nombreux cas d'obtention d'autorisations illégales sont à déplorer. »

Ibrahim Mammadov précise que « deux personnes ont été arrêtées pour avoir vendu des autorisations destinées à des journalistes. Ces arrestations ont été possibles après des interceptions d'appels et de messages frauduleux dont le lien a pu être établi avec des autorisations falsifiées. » Il ajoute que « le 7 avril, des mesures administratives ont été prises à l'encontre de 3 037 citoyen·ne·s azéri·e·s pour non-respect du confinement. » Le porte-parole informe également que « les restrictions pourraient être renforcées si de nombreuses personnes ne respectent pas les règles. »

Ibrahim Mammadov rapporte également que « des personnes physiques et morales, autorisées à poursuivre leurs activités, ont utilisé des noms de ressortissants étrangers sur le site Internet icaze.gov.az [az] et ont délivré de fausses identités à des personnes qui ne sont pas employées dans les médias, favorisant ainsi une multiplication des déplacements. Il s'agit d'une violation flagrante des règles de confinement. »

De plus, le porte-parole a rappelé à la population que les autorités peuvent avoir accès aux informations sur l'activité professionnelle grâce au système de déclarations des contrats de travail qui est géré par le ministère du Travail et de la Protection sociale. Il a également lancé un avertissement public contre la saisie d'informations fausses sur les sites gouvernementaux, en précisant que toute émission ou utilisation de documents falsifiés, pour transgresser le confinement, sont illégales.

Bien que l'intérêt des mesures de restriction des déplacements soit largement compris au sein de la population, le système d'autorisation par SMS a fait émerger des critiques. Certains défenseurs des droits numériques craignent que les garanties en matière de protection des données ne soient pas suffisantes. Emin Abbasov, spécialiste juridique, a récemment fait part de ses doutes sur Az-Netwatch, un site dédié à la liberté d'information en Azerbaïdjan. Il estime notamment que des zones d'ombre demeurent autour de l'utilisation des SMS pour pister les téléphones mobiles et de la suppression ou non des informations collectées à l'issue du confinement.

Quoi qu'il en soit, le système d'autorisation par SMS restera en place au moins jusqu'à la levée du confinement prévue le 20 avril prochain.

D'une manière générale, le cadre juridique du régime de confinement demeure flou. Il n'y a pas d'informations précises sur les contraventions ou les autres sanctions encourues en cas de non-respect des règles. Certain·e·s habitant·e·s ont été condammé·e·s à payer des amendes de 100 Manat ($60) pour infraction à l'obligation de confinement. Des personnes, qui ne portaient pas de masques de protection, ont également été inquiétées par la police. Toutefois, aucune contravention n'est prévue pour cette infraction car le pays subit actuellement une pénurie de masques.

Les autorités poursuivent, quant à elles, la surveillance étroite de la population et sanctionnent les infractions. Ainsi, le 5 avril, le ministère de l'Intérieur a révélé que 3 796 contraventions avaient été dressées, dont 1 881 à Bakou, la capitale azérie. Un habitant a reçu, de son côté, un avertissement pour diffusion d'informations erronées sur les réseaux sociaux, notamment sur l'application de messagerie WhatsApp.

D'autres mesures ont également été instaurées pour lutter contre le coronavirus. Par exemple, le 5 avril, les chauffeurs de taxi indépendants, qui utilisent leurs propres véhicules pour transporter la clientèle, ont dû suspendre leur activité. Un peu plus tôt, un programme d'aides avait été annoncé pour les mois d'avril et de mai. Il vise à atténuer les répercussions sociales de la pandémie. Le lendemain, le président de la République, Ilham Aliyev, a signé un décret permettant la libération anticipée de 176 prisonniers de plus de 65 ans. Des employés de l'ancien ministère Sécurité nationale font partie des prisonniers graciés. Le major général Akif Chovdarov et le général Subahir Gurbanov, ancien directeur du ministère, ont pu ainsi bénéficier de cette remise en liberté. Ils avaient été emprisonnés pour corruption en 2015.

Le gouvernement a annoncé la mise en place de mesures de soutien à l'économie pour faire face aux difficultés financières rencontrées par de nombreux citoyens et organisations du fait du confinement. Le 9 avril, Sahil Babayev, ministre du Travail et de la Protection sociale, a précisé qu'une somme de 1,7 millard de dollars sera injectée dans l'économie pour réduire l'impact de la pandémie. Par ailleurs, 235,2 millions de dollars seront débloqués pour soutenir le système de protection sociale. Les travaileurs du secteur informel, les personnes inscrites comme demandeurs d'emploi et les micro-entrepreneurs recevront respectivement une aide mensuelle de 210, 111 et 78 dollars. Les aides au paiement des factures d'électricité vont être prolongées de deux mois pour les bénéficiaires.

Il convient également préciser que le gouvernement a alloué un montant de 8,7 millions de dollars à la construction de six nouveaux hôpitaux modulaires de 200 lits chacun, pour accueillir les malades du coronavirus. Auparavant, une nouvelle clinique avait ouvert à Bakou pour faire face à la pandémie.

L'aspect le plus suprenant est l'absence d'une déclaration officielle d'un état d'urgence dans le pays, alors que les effets de la crise sanitaire se font nettement ressentir à Bakou. Le 2 avril, le quartier général opérationnel a toutefois annoncé qu'une situation de crise serait proclamée si la pandémie continuait de progresser.

Consultez le dossier spécial de Global Voices sur l'impact mondial du COVID-19 [fr].

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