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En pleine pandémie de COVID-19, le pouvoir nigérien porte atteinte à la liberté d'expression des lanceurs d'alerte

Catégories: Niger, Catastrophe naturelle/attentat, Cyber-activisme, Droits humains, Gouvernance, Guerre/Conflit, Manifestations, Média et journalisme, Médias citoyens, COVID-19

Une infirmière venant de tester des patients à l'entrée d'un hôpital au Niger le 2 avril 2020. Photo [1] de Anna.psiaki via Wikipedia CC BY-SA 4.0 [2]

Alors que la transparence de l'information semble être le meilleur moyen de combattre [3] la pandémie de COVID-19, comme en témoigne l'exemple de Taiwan [4], le gouvernement nigérien semble étendre la censure aux journalistes ainsi qu'aux lanceurs d'alerte et au personnel médical. Ceci rend la situation encore plus volatile dans un pays déjà touché par le danger du djihadisme [5].

Dans un pays déjà touché par le virus, un docteur interpellé pour avoir mentionné le COVID-19

Le premier cas de virus a été signalé au Niger le 19 mars 2020. Depuis cette date on signalait le 23 avril 662 cas dont 22 mortels [6]. Le COVID-19 est donc bien présent au Niger, pourtant la police procède à des détentions de médecins et journalistes dont le seul “crime” semble être d'avoir tout simplement mentionné le virus dans une interview ou sur les réseaux sociaux, comme le dénonce [7] l'organisation des droits humains Amnesty International:

Le 14 mars dernier, le rédacteur en chef et une journaliste de la Télévision Labari ont été convoqués à la police judiciaire à la suite d’une interview sur le COVID-19 accordée par le docteur vétérinaire Zoulkarneyni Maiga. Ce dernier a aussi été convoqué et a été libéré le soir du 16 mars. Amnesty International a pu obtenir la vidéo de l’interview et le Dr Maiga n’a fait que parler de l’origine du virus et expliquer les étapes de son développement, tout en demandant au public d’appliquer les mesures de prévention.

Depuis le 5 mars, un autre journaliste, Kaka Mamane Touda est arbitrairement détenu après son post sur Facebook alertant sur un possible cas de COVID-19  au Niger.

La démocratie nigérienne en perte de vitesse

Dans le classement mondial de la liberté de la presse tenu par l'organisation Reporters sans frontières, le Niger se place [8] à la 57ème place au niveau mondial, et à la 10ème pour l'Afrique. Une place honorable dans le contexte panafricain, étant donné que ce pays sahélien est la cible du djihadisme. Pourtant, il semble que le gouvernement se préoccupe de moins en moins de son image car il multiplie les arrestations des militants des droits humains, des journalistes et des lanceurs d'alarme.

Une victime récente de la censure nigérienne est Ali Idrissa,  [9]habitué des prisons du Niger, car il a déjà été arrêté en 2005, 2017 et 2018. En tant que coordinateur du Réseau des Organisations pour la Transparence et l’Analyse Budgétaire (ROTAB), un collectif de plusieurs associations, organisations non-gouvernementales et syndicats du Niger qui participent à la campagne mondiale “Publiez Ce Que Vous Payez [10]“, il semble en effet déplaire au pouvoir.

Idrissa est aussi membre du cadre de Concertation et d’actions de la société civile ainsi que directeur général [11] du groupe de presse Labari. Suite à une plainte liée à une accusation de diffamation, il a été placé en garde-à-vue du 9 avril 2020 au 14 avril 2020 [12].

Ce délai dépasse la durée légale de garde-à-vue qui, au Niger, est de 48 heures renouvelables une fois, et va à l’encontre de la décision du ministère de la Justice du 20 mars 2020 visant à limiter, en période de pandémie de Covid-19, le recours à la garde-à-vue.

L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, partenariat de la Fédération Internationale des Droits Humains (FIDH [13]) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) dévoile [12] que:

En cas de condamnation, il encourt jusqu’à trois ans de prison. M. Ali Idrissa a été libéré provisoirement à la fin de l’audience.

L’arrestation de M. Ali Idrissa intervient dans la cadre de la révélation de supposés détournements de fonds destinés à équiper l’armée nigérienne pour la lutte contre le terrorisme. L’Observatoire rappelle que dans le même contexte, une manifestation pacifique a été violemment réprimée le 15 mars 2020 à Niamey, et de nombreuses personnes arrêtées, y compris des défenseurs des droits humains.

Idrissa a bien été libéré le 14 avril 2020, mais d'autres membres de la société civile arrêtés en même temps que lui sont toujours détenus. Le 31 mars, le Cadre de Concertation et d’Actions Citoyennes de la société civile indépendante a publié un communiqué de presse disant [14]:

Comme vous le savez, le seul tort de ces dignes fils de la nation aujourd’hui embastillés est d’avoir voulu organiser un meeting pacifique non seulement pour soutenir nos FDS [forces de sécurité] dans le combat ô combien périlleux qu’elles mènent contre les terroristes, mais aussi et surtout pour exiger un traitement judiciaire de la rocambolesque affaire de prédation des ressources publiques allouées au Ministère de Défense Nationale. Cette intimidation ne passera pas ! la lutte citoyenne doit et va continuer, sans relâche.

Elle va continuer en intégrant désormais la nouvelle et lourde épreuve que nous impose la nécessaire lutte collective contre cette meurtrière pandémie de CORONAVIRUS ou COVID19.

Dans un article publié le 18 avril, un auteur signale [9] que:

D’autres interpellations ont suivi. Au moment où des voix s’élèvent pour exiger la libération des acteurs de la société civile incarcérés depuis le 19 Mars, d’autres interprétations [interpellations] d’activistes et acteurs de la société civile ont suivi, ces deux dernières 24 heures. Il s’agit notamment de celle de Dr Mallah Toudjani et de Nassirou Saidou, président de l’association « La voix des sans voix ». Dr Mallah Tidjani est interpellé pour un audio qu’on lui attribue et qui a fait le tour des groupes whatsapp depuis 48h. Une audio dans laquelle il parle de la gestion de la situation née de la pandémie du covid 19. Pour le cas de Nassirou Saidou, c’est aussi un audio qui est à l’origine de son interpellation depuis ce mardi 14 Mars.

La société civile nigérienne a vivement réagi car elle refuse d'accepter que l'avenir de son pays puisse être hypothéqué à cause du détournement de l'argent destiné à acheter des armements pour ses militaires qui se battent contre des djihadistes mieux armés. Dans un communiqué de presse [15] du Collectif Tournons La Page Niger, Issa Garba, chargé de la communication, écrit:

Depuis l’audit financier réalisé au sein du Ministère de la Défense Nationale ayant révélé de graves détournements de fonds sur le matériel militaire, la société civile s’était mobilisée en soutien aux Forces de Défenses et de Sécurité qui sont les premières victimes de ces détournements, les privant d’équipement militaire de qualité en période de guerre, mais également en dénonciation des principaux responsables.

Une crise mal gérée

De toute évidence, le gouvernement nigérien n'a pas réussi à gérer la crise de la pandémie, comme en témoigne le rapport Quand l’antiterrorisme justifie la restriction de l’espace civique du même Collectif Tournons La Page Nigerqui indique [16] le 24 avril:

Les libertés de manifestation, de réunion et d’opinion sont en effet aujourd’hui mises en danger et bafouées par les autorités administratives non élues des différentes municipalités du pays. À mesure que la situation sécuritaire du Niger s’est dégradée, les interdictions par les autorités administratives des manifestations organisées par les organisations de la société civile (OSC) se sont multipliées. À plusieurs reprises, ce sont même des réunions dans des lieux privés qui ont été empêchées et ce, sans motifs valables. 

En effet, la dispersion musclée d'une manifestation à Niamey, a fait 3 morts début mars. Amnesty international a demandé [7] aux autorités d'ouvrir une enquête indépendante sur les circonstances de leur mort.

Le correspondant de l'agence Anadolu, signale [17] en outre le 20 avril que plusieurs quartiers de la capitale nigérienne Niamey ont été secoués par des manifestations.