Premier décès causé par le COVID-19 dans une prison brésilienne : un désastre à venir ?

Pénitencier rural de Monte Cristo, dans l'état de Roraima, au nord du Brésil. Photo: Luiz Silveira, Agence CNJ. Utilisée avec autorisation.

Sauf indication contraire, tous les liens de cet article sont en portugais brésilien.

Au Brésil, le premier décès d'un détenu lié au COVID-19 a été enregistré le 17 avril. Le pays craint que la maladie ne dévaste le système carcéral du pays, surpeuplé [fr], insalubre et colossal (il abrite la troisième population carcérale la plus importante au monde).

Selon le Département National des prisons du Brésil, les prisons du pays comptaient dès le mois d'avril 125 cas suspectés de COVID-19. Le 31 mars, le nombre de cas suspectés était de 74. Les trois premiers cas confirmés de la maladie [fr] en milieu carcéral ont été signalés le 9 avril.

A la date du 20 avril, le pays dénombrait 2 575 décès et plus de 40 000 cas confirmés de COVID-19, selon son ministère de la santé. Toutefois, ces chiffres sont probablement beaucoup plus élevés, car les capacités de test sont limitées.

Une étude réalisée par l'Imperial College London et publiée fin mars, estimait que le futur nombre de décès liés au virus au Brésil pourrait se situer entre 44 000 (avec application de mesures de confinement) et 1,1 million de personnes (sans application de mesures de confinement), dans un pays dont la population totale est de 210 millions d'individus.

Le système carcéral brésilien est depuis longtemps sous le feu des critiques pour la surpopulation importante et les mauvaises conditions d'hygiène qui y règnent. Les invasions d'insectes y sont courantes, tout comme le manque chronique de produits de santé et d'hygiène : selon les données obtenues par le journal Folha de S. Paulo auprès du Bureau du ministère public brésilien, 31% des unités pénitentiaires n'ont pas de médecin attitré·e. Les expert·e·s estiment que 300 000 places supplémentaires seraient nécessaires dans les prisons du pays.

La Pastorale des Prisons (Pastoral Carcerária), une branche de l'église catholique qui fournit une assistance sociale, juridique et médicale aux prisons brésiliennes, a réalisé une étude auprès de ses employé·e·s, des familles de détenu·e·s, des employé·e·s des prisons, des avocat·e·s, des juges, des procureurs et des membres d'organisations sociales au sujet du nouveau coronavirus. Les conclusions de cette étude ont été publiées le 9 avril :

377 pessoas (31,35%) responderam que sim, há suspeitas de casos de coronavírus nas prisões, enquanto que 207 (17,2%) alegaram que não. 621 pessoas (51,5%) não sabiam responder se há ou não suspeitas.

Em relação a casos confirmados, 245 pessoas (20,4%) afirmaram saber da existência de pessoas no sistema penal com o vírus, enquanto que 222 (18,5%) disseram que não sabem de casos concretos. Mais uma vez, um grande número de pessoas respondeu não saber: 736, ou 61,2%.

377 people (31,35 percent) said that yes, there are suspected cases of coronavirus in prisons, while 207 (17,2 percent) claim there aren't. 621 people (51,5 percent) didn't know how to answer whether such cases exist or not.

Regarding confirmed cases, 245 people (20,4 percent) claimed to have knowledge about people inside the prison system infected with the new coronavirus, while 222 (18,5 percent) said they didn't know concrete cases. Once again, a significant number of people replied they didn't know how to answer the question: 736, or 61,2 percent.

377 personnes (31,35%) interrogées ont répondu qu'il y a des cas suspectés de coronavirus en prison, 207 (17,2%) déclarent qu'il n'y en a pas, et 621 personnes (51,5%) ne se sont pas prononcées.

Concernant les cas confirmés du virus, 245 personnes (20,4%) déclarent connaître des détenu·e·s incarcéré·e·s porteur·se·s du coronavirus tandis que 222 (18,5%) déclarent ne pas connaître de détenu·e·s infecté·e·s. Encore une fois, un nombre significatif de personnes ont répondu ne pas savoir, soit 736 personnes ou 61,2% des personnes interrogées.

Le ministre de la Justice et de la Sécurité publique Sergio Moro, ancien juge fédéral devenu célèbre pour avoir mené l'opération Car Wash, a déclaré le 13 avril “que tout était sous contrôle” au sein des prisons brésiliennes. En mars, il avait rassuré la population en déclarant qu'il n'y avait “aucune raison d'avoir des peurs infondées [en ce qui concerne] les prisons”, avant d'ajouter :

Há ambiente de relativa segurança para o sistema prisional em relação ao coronavírus, pela própria condição dos presos de estarem isolados

There is an environment of relative safety in the prison system regarding the coronavirus, because of the prisoners’ very condition of being isolated.

La prison est un environnement relativement protégé du coronavirus, en raison des conditions d'isolement dans lesquelles se trouvent déjà les prisonnier·ère·s.

Prison centrale de Porto Alegre, dans le Rio Grande do Sul, au sud du Brésil. Image : Luiz Silveira, CNJ Agency. Utilisée avec autorisation.

Des conditions idéales… pour le virus

Les prisons brésiliennes sont depuis longtemps des environnements propices aux épidémies. Selon un rapport exclusif d’Agência Pública, un organe de presse brésilien à but non lucratif, il y avait plus de 10 000 cas confirmés de tuberculose dans les prisons du pays en 2018. Cela signifie, que lorsque l'étude a été réalisée, on comptait 1 400 cas de tuberculose pour 100 000 détenu·e·s incarcéré·e·s, tandis qu'en dehors des prisons, ce ratio se réduisait à 40 cas de tuberculose pour 100 000 personnes.

Nous avons interrogé Carla Machado, professeure à l'université fédérale du Minas Gerais ; selon elle, ce n'est qu'une question de temps avant que le coronavirus ne se répande de façon incontrôlable au sein du système carcéral. Sa collègue Dirceu Greco, professeure et médecin, a ajouté :

A superlotação é a condição ideal para qualquer agente biológico de transmissão aérea. A falta de insumos é outro fator: falta água e sabão para essas pessoas. E claro, faltam cuidados de saúde, atendimento de médicos, enfermeiros e equipe de assistência social.

Overcrowding makes for the ideal conditions for any biological agent transmissable by air. The lack of supplies is another factor: people don't have water and soap. And, of course, the lack of healthcare, medical care, nurses and social assistance.

La surpopulation est une des conditions idéales pour le développement de n'importe quel agent biologique transmissible par voie aérienne. Le manque de produits de première nécessité en est une autre : les détenus n'ont pas assez d'eau et de savon. Sans oublier, bien sûr, le manque de personnel de soin, de médecins, d'infirmier·ère·s et d'assistant·e·s sociaux·ales.

Pour éviter un scénario catastrophe, le district fédéral et presque tous les gouverneurs des 26 états brésiliens ont accordés à certains prisonnier·ère·s d'être assigné·e·s à résidence plutôt que détenu·e·s en prison, notamment à ceux en “semi-liberté” (une catégorie de détenu·e·s qui dorment en prison mais en sortent la journée pour aller travailler), ainsi qu'aux prisonnier·ère·s appartenant aux groupes à risque vis-à-vis de la pandémie.

Les visites aux détenu·e·s ainsi que les livraisons de produits d'hygiène et de nourriture par les familles ont également été interdites. Face à ces mesures, des révoltes ont éclaté parmi les prisonniers : des centaines de détenus se sont évadés d'une prison de São Paulo le 16 mars. En effet, de nombreuses prisons brésiliennes sont tributaires des produits fournis par les familles des prisonnier·ère·s. Dans un de ses rapports, la Prison Pastorale a dénoncé la fourniture de nourriture avariée aux détenu·e·s dans les prisons de l’État de l'Amazonas, au nord du pays :

Questiona-se: como prevenir a entrada de doenças no cárcere, como o coronavírus, ou reduzir os sintomas – ou permitir a cura – sem alimentos saudáveis, materiais de higiene e produtos de limpeza?

We ask: how do you prevent diseases from entering a prison, such as coronavirus, or how do you reduce symptoms – or allow the cure – without healthy food, hygiene and cleaning products?

Nous vous le demandons : comment comptez-vous éviter que des maladies comme le coronavirus ne se répandent au sein d'une prison, ou même soigner les détenu·e·s malades, sans nourriture saine ni produits d'hygiène suffisants ?

Une sur-incarcération

Le Brésil tente depuis de nombreuses années de trouver des solutions alternatives à l'incarcération afin d'endiguer la surpopulation au sein de ses prisons. Avec l'actuelle pandémie, des mesures telles que la réévaluation des détentions provisoires (253 963 personnes actuellement en prison dans le pays sont en attente d'un procès) font partie des recommandations du Conseil National de Justice (CNJ) visant à éviter le désastre.

Un rapport de Criminal Justice Network (Rede Justiça Criminal), un groupe de plusieurs organisations, insiste sur l'importance des mesures de précaution :

O crescimento alarmante de novos casos de contágio do coronavírus, a nível mundial, expõe a intensidade das vulnerabilidades sociais, raciais e econômicas no Brasil. No cárcere, a situação se agrava exponencialmente.

The alarming growth of new cases of coronavirus, in a global level, expose the intensity of social, racial and economic vulnerabilities in Brazil. In prison, the situation aggravates itself exponentially.

La croissance alarmante du nombre de cas de coronavirus à l'échelle mondiale met en évidence l'importance des vulnérabilités du Brésil sur les plans racial, économique et social. En prison, la situation s'aggrave de façon exponentielle.

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