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COVID-19 : en Inde, le confinement crée plus d'incertitudes pour les travailleurs migrants

Catégories: Asie du Sud, Inde, Droits humains, Economie et entreprises, Médias citoyens, Travail, COVID-19
Un bus sur une autoroute à 6 voies dans le Karnataka, en Inde. [1]

Une autoroute du Karnataka, en Inde. Image via Pxfuel.com, sous licence Creative Commons Zero – CC0. [2].

[Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages en anglais, ndlt.]

Un silence sinistre règne dans les rues de Delhi, alors que la capitale indienne, habituellement très animée, reste en confinement. Depuis le 24 mars, les entreprises ont fermé, les chantiers de construction ont été abandonnés et les syndics de copropriété ont fermé les portes à tout le monde, sauf aux résidents.

COVID-19 a paralysé le pays, créant davantage d'incertitude pour la population plus que précaire [3] des travailleuses domestiques migrantes et de leurs familles.

@VijaytaL et moi avons marché le long du Yamuna à Delhi et trouvé des centaines et des centaines de travailleurs migrants gisant abandonnés et affamés.

Ils disent qu'aucune nourriture n'a été servie pendant deux jours.

Ceci, à 10 km des bureaux du Premier ministre indien et du ministre en chef de Delhi.

[photo] Des travailleurs migrants dorment sur des tapis posés à même le sol ou vaquent à leurs occupations en plein air. Ils ont dû quitter le foyer où ils logeaient à cause d'un incendie.

Les secteurs [7] de la construction, de l'industrie manufacturière, du commerce, des transports et de l'hôtellerie sont les principaux employeurs de travailleurs migrants. Nombre d'entre eux travaillent également comme aides domestiques, ouvrier pour les petits travaux et vendeurs de rue. Ces personnes se retrouvent généralement dans l'économie informelle, où elles gagnent 2 dollars par jour.

A la suite du COVID-19, leur situation s'est aggravée. Privé·e·s de logement et de nourriture, nombre d'entre eux ont été contraint·e·s de se réfugier dans des camps de secours gérés par le gouvernement. Le Kerala, à ce jour, compte le plus grand nombre [8] de camps de secours pour travailleurs migrants gérés par le gouvernement (15 541 sur les 22 567 que compte l'Inde), suivi par l'Uttar Pradesh (2 230), le Maharashtra (1 135) et le Tamil Nadu (175). En plus des camps existants, le gouvernement a donné l'ordre de créer des camps de secours supplémentaires afin d'empêcher l'exode massif des travailleurs migrants des villes vers les villages. Cependant, les camps et les abris du gouvernement ne sont que des solutions provisoires.

Dans une interview accordée à Global Voices, Aarti, qui vit à Delhi dans une résidence gérée par un syndic de copropriété, a indiqué que son aide ménagère de 46 ans, Shaila, une migrante de Kolkata, l'a appelée deux fois pour savoir si elle pouvait reprendre son travail. Malheureusement, les aides domestiques ne sont plus autorisées à entrer dans la résidence.

L'histoire de Shaila trouve un écho dans les récits d'une grande partie des 45 millions de travailleurs migrants [10] des différentes régions de l'Inde. Vivant loin de leurs familles, elles et ils se retrouvent entre le marteau et l'enclume, sans travail et sans possibilité de retourner dans leurs villages. L'Uttar Pradesh reste le seul État à avoir organisé le transport des travailleurs migrants vers Delhi pour les ramener chez eux.  Toutefois, la crainte que les migrant·e·s de retour ne propagent davantage le virus a conduit le gouvernement central [11] [fr] à adopter une position plus stricte sur les voyages entre États, ce qui a laissé un grand nombre de personnes bloquées dans diverses régions de l'Inde. Un litige d'intérêt public [12] (LIP) a été déposé par Jagdeesh S. Chokkar, ancien directeur de l'Institut indien de management d'Ahmedabad, [13] pour permettre aux travailleurs de rentrer chez eux.

L'Uttar Pradesh (UP) est autorisé à envoyer 300 bus à Kota pour ramener les étudiant·e·s de l'UP à Kota en pleine période de confinement. Le Gujarat est autorisé à transporter 800 pèlerins bloqués à Hardwar pour les ramener au Gujarat pendant le confinement. Mais les travailleurs migrants bloqués sans emploi, sans argent et sans nourriture ne sont pas autorisés à y retourner !

Le gouvernement indien a dévoilé [16] un plan de relance économique de 23 milliards de dollars US qui couvrirait environ 800 millions de personnes au cours des trois prochains mois. Ce plan prévoit une ration mensuelle de 5 kg de blé ou de riz par personne, une bouteille de gaz pour les familles pauvres et quelques subventions en espèces. Mais il est peu probable que de nombreux travailleurs migrants éloignés de leur domicile puissent en bénéficier. En outre, plus de 100 millions de personnes [17] pourraient être exclues de l'inscription au système de distribution publique (PDS), puisque le nombre de personnes éligibles pour l'accès aux céréales alimentaires subventionnées n'a pas été actualisé pour tenir compte de l'augmentation de la population. En vertu de la loi sur la sécurité alimentaire nationale (NFSA), l'allocation par État est toujours calculée sur la base des chiffres du recensement de 2011.

Le confinement a provoqué une grave crise dans la vie des travailleurs migrants. Bien que le gouvernement ait annoncé certaines mesures d'aide aux travailleurs migrants, celles-ci n'ont pas encore été portées à la connaissance du public en raison des lacunes dans leur mise en œuvre. #COVID

Neeta Lal, du quotidien The Diplomat, critique la réponse du gouvernement face à la crise et explique pourquoi de nombreux travailleurs migrants rentrent chez eux :

Social distancing doesn’t work without social security. And as state governments and urban municipal bodies have evidently failed to take care of them, going back to their villages, even on foot, is their only option.

La distanciation sociale ne fonctionne pas sans sécurité sociale. Et comme les gouvernements des États et les organismes municipaux urbains n'ont manifestement pas su s'en occuper, retourner dans leurs villages, même à pied, est leur seule option.

N'ayant pas le choix, un grand nombre de travailleurs et leurs familles ont dû parcourir d'énormes distances pour se rendre chez eux. L'exode massif depuis Delhi et Mumbai, deux des États qui reçoivent le plus grand nombre de travailleurs, a révélé la peur que ressentent les migrant·e·s et leurs familles.

Il lui a fallu sept jours pour parcourir près de 1 700 km à vélo, soit environ 242 km par jour.
« J'étais sûr de rencontrer des fantômes », dit-il. « Je n'en ai pas vu un seul. »
Quelle histoire, par @debabrata2008 et Rudraneil Sengupta. #confinement #travailleurs migrants #Inde

[lien] Le récit de Mahesh Jena, un jeune travailleur migrant qui a parcouru 1 700 km à vélo en 7 jours pour rentrer chez lui.

Les chiffres du Centre pour l'observation de l'économie indienne (CMIE) [28] ont déjà révélé une forte hausse du chômage, qui est passé de 8,4 % le 22 mars à 23,4 % le 5 avril.

Même si personne ne peut dire avec une certitude absolue ce que la pandémie va signifier pour l'économie indienne, la conjoncture actuelle indique un monde où l'avenir des travailleurs migrants semble de plus en plus sombre.

Consultez le dossier spécial de Global Voices sur l'impact mondial du COVID-19 [29] (en français).