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Chroniques du COVID-19 depuis Wuhan : quelle mascarade !

Catégories: Asie de l'Est, Chine, Catastrophe naturelle/attentat, Droits humains, Femmes et genre, Médias citoyens, Santé, COVID-19
Un chat juché sur une table, les oreilles baissées fixant un oiseau à l'extérieur. [1]

Un chat confiné dans sa maison. Photo de Ai Xiaoming.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en chinois, ndlt]

La chronique ci-après est la neuvième d'une série de « journaux intimes » rédigés par la cinéaste indépendante et universitaire féministe Ai Xiaoming [2] et l'activiste féministe Guo Jing [3]. Toutes deux vivent à Wuhan, l'épicentre de la pandémie de COVID-19. Vous trouverez ci-après la première [4], la deuxième [5], la troisième, [6] la quatrième [7], la cinquième, [8] la sixième [9], la septième [10] et la huitième [11] partie de la série [fr].

Ce neuvième volet a été rédigé entre le 6 et le 8 mars 2020. Les originaux de ces « journaux intimes » sont disponibles en chinois sur Matter News.

Guo Jing : 6 mars 2020 [12]

Du haut de leur balcon, plusieurs résidents apostrophent les fonctionnaires se trouvant dans la cour de leur résidence.

Les habitants crient “mensonges, mensonges” lorsque des fonctionnaires se déplacent dans leur quartier. Capture d'écran d'une vidéo Youtube [13].)

很多保障民生的措施看起来很好,但是否能够实施是另外一回事。昨天,中央指导组在捂汗市青山区翠-园社区开-元-公-馆考察的时候,有居民对社区假装让志愿者送菜送肉的行为十分不满,在家里透过窗户大喊“假–的,假–的,形-式-主义”。这不是在疫情中捂汗人民第一次发出不满的呼声。

Un grand nombre de mesures sont proposées pour garantir les moyens de subsistance de la population mais leur mise en œuvre est une autre problématique. Hier, lorsque l'équipe de surveillance du COVID-19 du gouvernement central est allée à la rencontre de la population de Cuiyuan dans le district de Qingshan à Wuhan, les résidents se sont montrés furieux parce que ces travailleurs sociaux s'étaient fait passer pour des volontaires chargé·e·s de livrer de la viande et des légumes dans le district désormais bouclé. Elles et ils criaient de leur fenêtre [14] « Mensonge, mensonge, ce n'est qu'une mascarade ». Ce n'est pas la première fois que les habitants de Wuhan manifestent leur ressentiment.

Guo Jing : 7 mars 2020 [12]

前天有捂汗人对形式主义喊出了“假–的”,昨天市–委书–记王–忠–林就提出要在广大市民中开展敢嗯教育,似乎是在回应表达不满的人。
在灾难中开展敢嗯教育也是史无前例
我们当然有很多人要敢嗯:一线的医护人员、环卫工、超市收银员、社区工作人员、志愿者等,他们在救助病人,他们在保障捂汗人民的基本生活。
为别人提供帮助的人也很少主动索要敢嗯。那到底是谁需要捂汗人的敢嗯呢?人民对真正为他们提供帮助的人不会吝啬敢嗯的。
有人发了一个链接可以输入地点了解周边感染新冠费盐的情况。湖北以外的城市早就可以查询相关的信息。捂汗今天终于也可以查询此类信息了。我点进去看了一下,早上,我住的地方1公里内有75个确诊病例,下午数字就变成了78。

Deux jours plus tôt, des habitants de Wuhan hurlaient « imposture » au cours d'une cérémonie de distribution d'aide à la population. Hier, le secrétaire du parti communiste de Wuhan, Wang Zhonglin, a suggéré de sensibiliser les citoyen·ne·s de Wuhan afin qu'elles et ils remercient le parti communiste chinois. Sa proposition paraît être une réaction au ressentiment exprimé récemment par certains citoyen·ne·s à l'égard du gouvernement.
Je pense que pour la première fois dans l'Histoire, un État unipartite invite son peuple à le remercier en période de catastrophe.

Il y a naturellement des personnes que nous devrions remercier, par exemple les professionne·le·s de santé, les agents de nettoyage, les caissiers et caissières dans les supermarchés, les travailleurs sociaux et les bénévoles. Ce sont elles et eux qui aident les patients et répondent à nos besoins élémentaires.

Les personnes désireuses d'aider les autres ne s'attendent que très rarement à ce que les autres leur rendent grâce. Qui, sur Terre, a besoin des remerciements des habitants de Wuhan ? Nous n'hésitons jamais à remercier les personnes qui nous aident.

Un lien vous permet de localiser le nombre de cas contaminés dans votre entourage, en fonction de votre adresse. Dans d'autres villes, les habitants ont déjà pu effectuer ce type de recherche. Nous pouvons enfin le réaliser à Wuhan aujourd'hui. J'ai consulté ce site aujourd'hui. Il y avait 75 cas confirmés dans un rayon d'un kilomètre autour de mon domicile ce matin. Dans l'après-midi, le chiffre est passé à 78.

Guo Jing : 8 mars 2020 [12]

三八节是一个女权的节日,世界各地的女权行动者都在这一天聚集起来,表达女权的声音。新冠费盐如今扩散到世界各地,女权主义的集会也受到了影响,意大利的女权行动者将线下罢工改成了云集会。
费盐不是阻止我们发声的唯一因素。2018年3月9日,女权之声的微信和微博账号被封,而女权之声是中国最具影响力的的女权平台。代表女权行动者的声音在三八妇女节后却被关掉。一些女权主义者现在依然还在呼唤女权之声的归来。
今天有很多网友成为反家暴小疫苗,出门贴了反家暴的倡议书。
人们一直在黑暗和封锁中寻找光和联结,追求改变的渴望从未消失,而且随时会爆发出巨大的能量。
昨天,我的日记在微博和微信上都发了三四次,要么发不出来,要么发出来后很快被删。我有点气馁,想着我的日记也没那么重要,也想放弃。但有人私信我说怎么没看到昨天的日记,有人在被删除的链接下留言说看不到。有人在看,那我就要坚持发声。
昨晚梦到我想要去爬山,可是莫名地却回到了中学,必须要上课,不能逃课去爬山,就被困在了学校。

La journée du 8 mars est un jour férié célébrant les droits des femmes. Ce jour-là, les militant·e·s des droits des femmes partout dans le monde se mobilisent et prennent la parole. Mais aujourd'hui, l'épidémie du COVID-19 touche toute la planète et les manifestations publiques des militant·e·s des droits des femmes sont également impactées. En Italie, leur mouvement s'est transformé en une réunion en ligne.

La pandémie est loin d'être le seul obstacle à la prise de parole. Le 9 mars 2018, le compte « Feminist Voices » sur Weibo et Weixin a été supprimé. Feminist Voices représentait la plateforme la plus efficace en matière de défense des droits des femmes en Chine mais son compte a été fermé au lendemain de la Journée internationale des femmes. Certaines militantes des droits des femmes tentent toujours de récupérer ce compte.

Aujourd'hui, de nombreux internautes participent à des activités de sensibilisation contre la violence domestique. Certain·e·s sont sorti·e·s et on fait un communiqué commun contre la violence domestique dans leur communauté.

Les habitants ont recherché de la lumière et des liens pendant les périodes sombres du confinement. Le désir de faire bouger les choses ne faiblit pas. Notre espoir peut véhiculer une formidable énergie et peut exploser à tout moment.

J'ai essayé hier de publier mon journal sur Weibo et WeChat à plusieurs reprises. Le billet n'a pas été téléchargé ou a été supprimé peu après sa publication. J'étais contrariée. Je me suis dit que mon journal n'était peut-être pas si utile, alors j'ai envisagé d'abandonner. Toutefois, certaines personnes m'ont adressé des messages privés me demandant pourquoi elles ne voyaient pas mon journal hier. Quelques-un·e·s ont laissé des messages sous le lien du journal supprimé indiquant qu'ils ne pouvaient pas le visualiser. Des personnes consultent mes journaux intimes, je me dois donc de faire le maximum pour continuer.

Cette nuit, j'ai rêvé de randonnée. Mais soudainement, j'étais retournée au collège et je devais suivre des cours. Je ne pouvais pas manquer les cours pour faire de la randonnée. J'étais coincée au lycée.

Ai Xiaoming : 8 mars 2020 [1]

盡管我也沒有病,但是每天我的寫作都被各種疫情信息所困。結果,坐在書桌前, 注意力像新型冠狀病毒一樣從桌面升騰而起,在東南西北前後左右上天入地,開成了各種冠狀蒲公英。最後呢?最後就找不到北了;進入午夜自責時分。然後我就帶著滿腦子的蒲公英入睡,夢見了眾多魂野鬼,血腥呻吟……
每天我都有惡火攻心之感,不是急火, 我這歲數,根本不急——用武漢話來說,急揍麼事撒,趕殺場?所謂惡火,主要是這世界,突然就滿地呈現出冠狀病毒那種開枝散葉、無以言表的惡之無名火。隨便舉幾個例子:
一位群友告,她的中學同學,夫妻倆都危重住院。媒體裏曾經報道過這一段,他們想在一間病房,以便互相照顧,醫生沒能同意。 就這樣,一墻之隔便是陰陽兩界。他多麼想知道,妻子曾在手機上留下什麼話?可是, 殯儀館把手機甩了!他目前雖說是情況稍穩定,肺部也受到嚴重損傷。試想,當他歷此一難回到家裏,暖窩已變空巢,情何以堪!
另一位群友告,後續還有醫療費報銷、火葬費等問題。聽一位死者家屬說過,醫院和火葬場都打過電話給他們,由於到死都沒確診,四天就產生了六、七萬醫療費。他家二十多天去世三人,慘啊!

Même si je n'ai pas été contaminée, j'ai tout de même été prisonnière des informations sur la pandémie. Lorsque je m'assieds derrière mon bureau, je ne vois que le nouveau coronavirus. Les informations sur le virus arrivent de toutes les directions – est, sud, ouest, nord, avant, arrière, haut et bas – et fleurissent comme des pissenlits. En fin de compte, j'ai perdu tout sens de l'orientation. Vers minuit, je me reprochais [mon incapacité à me concentrer sur quelque chose] et je me suis assoupie au milieu des pissenlits dans ma tête. J'ai rêvé de fantômes, de sang et de gémissements…

Chaque jour, j'ai le sentiment que mon cœur brûle. Ce n'est pas une sensation de hâte. À mon âge, je ne ressens pas le besoin de me précipiter. Comme on dit à Wuhan, à quoi bon se précipiter ? Aller sur le champ de bataille ? Les flammes dans mon cœur émanent de la soudaine prolifération de ce coronavirus semblable à une mauvaise herbe, la sensation de brûlure ne peut être décrite avec des mots. Néanmoins, je peux raconter quelques histoires.

Une amie m'a confié qu'un de ses copains de classe au lycée et sa femme sont entrés à l'hôpital après être tombés très malades. Les médias ont couvert cette partie de leur histoire. Ils souhaitaient partager la même chambre pour pouvoir prendre soin l'un de l'autre. Mais le médecin n'était pas d'accord. Finalement, la mort et la vie les ont séparés. Il souhaitait connaître le message que sa femme lui avait laissé sur son portable mais le funérarium a tout simplement jeté le portable de son épouse ! Son état est aujourd'hui stable mais son poumon est sérieusement endommagé. Imaginez un peu : comment peut-il vivre la réalité de son foyer au retour de la tragédie et découvrir que sa maison, jadis si accueillante, s'est transformée en une maison vide !

Un autre ami m'a raconté que de nombreuses factures seront à payer plus tard au titre des frais médicaux et de l'incinération. Selon un proche d'un patient malade, l'hôpital et le service de crémation ont appelé pour signaler à la famille qu'elle devait payer 60 000 à 70 000 yuans (entre 8 472 et 9 885 USD) pour les frais médicaux des quatre jours, dans la mesure où le patient n'avait pas encore été diagnostiqué au moment de sa mort. Trois membres de la famille étaient décédés en l'espace d'un peu plus de 20 jours. Quelle horreur !

Consultez le dossier spécial de Global Voices sur l'impact mondial du COVID-19 [15] [fr].