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Sélection de « chansons du coronavirus » d’Amérique latine et des Caraïbes

Catégories: Amérique latine, Arts et Culture, Cyber-activisme, Médias citoyens, COVID-19
Trois musiciens mexicains chantent la chanson du coronavirus, accompagnés de guitares et d'un accordéon.

Capture d’écran de la Chanson du coronavirus sur YouTube [1], interprétée par le groupe mexicain « Los Tres Tristes Tigres » (« Les Trois tristes tigres »)

En Amérique latine, les artistes n'ont pas renoncé à battre la mesure malgré la pandémie et les mesures de confinement obligatoires qui ont ont été imposées dans la quasi totalité des pays de la région. Les chansons ayant pour thème le COVID-19 ont tout particulièrement gagné en popularité sur internet depuis mars.

Voici une sélection de neuf chansons produites par des artistes latino-américains, pour la plupart depuis chez eux au cours des derniers mois, et empreintes d’une certaine touche d’humour. C’est par exemple le cas des artistes mexicains [2] [en] qui nourrissent souvent un goût prononcé pour l’humour « politiquement incorrect » dans leur art, une façon d’affronter les mauvaises nouvelles de l’actualité [3] [en]. Certaines de ces chansons avaient été mises en ligne avant que le virus ne frappe durement le continent. D’autres ont cependant un caractère plus solennel ou ont des paroles contenant des messages de protestation sociale.

Le corrido mexicain

Le groupe Los Tres Tristes Tigres, un collectif humoristique originaire de Monterrey au Mexique, a publié plusieurs chansons au cours de la crise du COVID-19. La première intitulée Canción del Coronavirus (La Chanson du coronavirus) a atteint 3,7 millions de vues sur YouTube et a même été relayée par l’artiste portoricain Bad Bunny sur son compte Instagram [4].

Le trio, dont le nom est inspiré du célèbre fourche-langue espagnol [Tres tristes tigres comen trigo en un trigal, en français : Trois tigres tristes mangent dans un champ de blé, ndt] est composé de Jesús Gallardo (accordéon, iPad et maracas), Erick Ibarra (basse et contrebasse) et de Pedro Palacios (guitare et chant). Dans leur répertoire figurent le stand-up et les chansons humoristiques, généralement construites à partir de genres musicaux mexicains tels que le corrido [5] populaire.

La Chanson du coronavirus retrace les premières phases de panique autour de la pandémie, lorsque les écoles furent fermées, les manifestations musicales annulées, et les supermarchés pris d’assaut par les gens qui voulaient stocker des denrées alimentaires. « Disneyland a fermé, et ça me fait froid dans le dos », entonnent-ils, sans lésiner sur les jurons espagnols mexicains.

Guitare nicaraguayenne

L’un des chanteurs du Nicaragua les plus proéminents, Luis Enrique Mejía Godoy [6], a mis en ligne une chanson sur YouTube encourageant la population à rester chez soi afin de ralentir la propagation du COVID-19.

Mejía, parfois aussi désigné sous le nom de troubadour de la révolution [7] [es], participa activement aux activités du premier gouvernement révolutionnaire sandiniste [8] du Nicaragua qui dura de 1979 à 1990. Ses chansons sont connues en Amérique centrale pour leur dimension sociale et politique.

Dans Quedate en Casa (Reste chez toi) il chante avec sa guitare espagnole : « Reste chez toi, n’insiste pas tant [à sortir], demain nous pourrons enfin nous enlacer les uns les autres. »

Le Nicaragua, l’un des pays les plus pauvres [9] d’Amérique centrale, a été sous le feu des critiques pour son laxisme politique dans la lutte contre la transmission du virus. Les écoles et les frontières sont par exemple restées ouvertes, et le président Daniel Ortega est largement resté absent de la sphère publique.

Le dembow dominicain

Yofrangel 911 a probablement été l’un des premiers artistes latino-américains à sortir une chanson sur le COVID-19, dès le 9 février. Avec 8,5 millions de vues totalisées sur YouTube, le titre Corona Virus interprété par le chanteur dembow [un genre musical originaire de la Jamaïque que l’on retrouve notamment dans le raggaeton, ndt] Yofrangel appelle ses auditeur·ice·s à « se couvrir la bouche », tout en dressant la liste des symptômes courants de la maladie sur un rythme entraînant. D’après Insider [10], nombreuses ont été les réactions sur Twitter. L’activiste Angy l’a plébiscitée [11] en allant jusqu’à demander à l’Organisation mondiale de la santé que des campagnes sanitaires soient axées autour de cette chanson. D’autres commentateurs sur YouTube ont à l’inverse estimé qu’elle était « irrespectueuse envers toutes les personnes et les entreprises qui ont tant perdu à cause du virus ».

Yofrangel 911 a par ailleurs sorti [12] une nouvelle chanson intitulée Antidoto (Antidote) le 11 avril.

Salsa cubaine

Le chanteur cubain Ariel de Cuba, qui réside actuellement en Espagne [13] [es], a lui aussi produit une chanson intitulée Quedate en casa avec des mélodies enjouées de salsa et de reggaeton. La chanson, intégralement produite depuis chez lui, comprend des paroles telles que « prenez soin de papi et mamie, si nous sommes unis, nous vaincrons. » « Cette vidéo a été enregistrée par ma fille, en collaboration avec mon fils et éditée par moi », a-t-il ainsi confié [14] [en] au Houston Chronicle. Cette chanson a également inspiré 44 instructeurs de fitness d’El Salvador qui se sont filmé·e·s [15] en train de danser et de s’entraîner afin de promouvoir l’exercice physique à la maison durant le confinement.

Salsa panaméenne

Le chanteur de salsa de renommée internationale Rubén Blades [16], lauréat de nombreux Grammy Awards, a quant à lui produit une chanson avec Ceferino Nieto pour redonner du baume au cœur à ses concitoyens panaméens en cette période de confinement. Cette vidéo montre des images de Blades qui chante vraisemblablement depuis son salon à New York, entrecoupées de visuels du Panama et d’un montage façon Zoom de personnes confinées chantant le refrain « Panama ».

Le Panama, qui a interdit tous les vols internationaux et imposé un couvre-feu, a également instauré un confinement genré [17] depuis le 1er avril, sur la base duquel seules les femmes ou les hommes sont autorisés à sortir en fonction des jours de la semaine. Le pays a été le premier et le plus sévèrement touché d’Amérique centrale, avec 144 décès et près de 5 000 cas confirmés.

Dans son journal Facebook de la pandémie qu’il a baptisé « Journal de la peste » [18], Blades confie qu’il s’agit « d’une opportunité pour changer radicalement nos comportements et créer des alternatives pour nous et notre environnement. Regardons plutôt toutes les possibilités qui s’offrent à nous et cessons de limiter nos inquiétudes à la nostalgie des jours pré-crise. »

Huayno péruvien

Le groupe « Los Chuguranos », originaire du Pérou, propose une chanson « COVID-19 » sur des tonalités et des rythmes de style huayno. Le huayno [19] est un genre musical et une danse populaire issu des peuples Quechua-Aymara. Il est joué dans la région andine comprenant le Pérou, la Bolivie, le nord de l’Argentine et le nord du Chili. Le huayno s’accompagne généralement d’une danse populaire.

Ici, le groupe chante « Oh Corona, mon petit Corona, te voilà arrivé dans mon Pérou » suivi des paroles « Que va-t-il advenir de ma vie ? Tu vas sûrement l’emporter. » Avant de chanter « Puisque tu es ici, écoute-moi bien : prends les colons, mais épargne mon Pérou. »

Le terme « colon » est usité à travers l’Amérique latine pour désigner toute personne qui pénètre sur un territoire autochtone et s’y installe pour se livrer à des activités liées à l’exploitation minière, la déforestation, l’extraction, l’exploration pétrolière, l’agriculture industrielle et aux églises évangéliques. Des communautés indigènes du Pérou et l’ONG Amazon Watch ont par exemple demandé à interdire l’entrée [20] à toute personne sur le territoire amazonien dans le but d’empêcher la propagation du virus parmi ces populations.

Les chanteurs concluent ainsi en exhortant le public à suivre les consignes de santé publique et à se laver les mains.

Humour vénézuélien

Le chanteur et humoriste Cesar Muñoz, qui réside actuellement à Miami, produit régulièrement des chansons sur les tracas du confinement. Il a par exemple consacré des morceaux à la nostalgie des promenades en extérieur [21], dédié un hommage aux infirmières du monde entier [22] et abordé le thème des angoisses quotidiennes [23] du confinement.

Dans sa chanson A Quarantine with Kids (Mise en quarantaine avec les enfants), Muñoz enchaîne rapidement les paroles sur un fond de piano classique qui n’est pas sans rappeler les airs de comptine.

Cumbia mexicaine

L’artiste mexicaine Emma Mayte Carballo Hernández, connue aussi sous le nom de Flor Amargo [24] [es], a produit une chanson de cumbia humoristique sur les difficultés rencontrées par les couples en confinement qui passent tout leur temps libre ensemble. Le cumbia [25] est un genre musical joué dans toute l’Amérique latine avec des teintes régionales.

Flor Amargo mélange habituellement des influences pop à celles de piano classique et de musique folklorique, une fusion qu’elle appelle pop cathartique [26] [es], une forme d’improvisation musicale et de chant qui se soucie peu de la forme.

Bien que les paroles soient destinées à faire sourire, elles pourraient sembler insensibles aux oreilles de certain·e·s. Elle chante par exemple qu’elle « préférerait être infectée et mourir » plutôt que de devoir cohabiter avec son partenaire toute la semaine. Les commentaires sur YouTube semblent apprécier son humour.

Rap portoricain

René Pérez Joglar, mieux connu sous le nom de Residente [27] [es], a réinterprété plusieurs de ses plus grands hits sous une « version quarantaine ». Il a ainsi d’abord sorti Apocaliptico [28] avant de mettre en ligne sa chanson autobiographique plus récente René [29] qui a engrangé plus de neuf millions de vues [à l'heure de la publication de cet article, ndt] à elle seule. Chaque clip vidéo est composé d’enregistrements de musiciens et de chanteurs qui jouent et chantent depuis chez eux.

Residente a également publié une version quarantaine de son titre de 2011 Latinoamérica, initialement produit par son groupe Calle 13 et vainqueur du Grammy Award de cette année-là. D’après les informations du journal El País [30], Latinoamérica est « considéré comme un hymne contre la pauvreté et pour l’identité latino-américaine ».

Le refrain du morceau, interprété ici par Kianí Medina, se répète ainsi : « Tu ne peux acheter le vent / Tu ne peux acheter le soleil / Tu ne peux acheter la pluie / Tu ne peux acheter la chaleur / Tu ne peux acheter les nuages / Tu ne peux acheter les couleurs / Tu ne peux acheter ma joie / Tu ne peux acheter ma douleur ».