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L'iguane des Petites Antilles sera-t-il sauvé de l'extinction ?

Catégories: Caraïbe, Anguilla, Antigua et Barbuda, Dominique, Guadeloupe, Martinique, Montserrat, Saint Kitts & Nevis, Saint-Barthélemy, Saint-Eustache, Saint-Martin, Sainte-Lucie, Environnement, Médias citoyens, Peuples indigènes
On distingue un iguane, en plan serré, sur une branche d'un arbre. Son corps, de couleur verte, se mélange aux feuillles de l'arbre. Le soleil vient le réchauffer. [1]

Un iguane des Antilles (Iguana delicatissima) dans un arbre à Coulibistrie, en Dominique. Image de Postdlf [2], CC BY-SA [3].

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en français, ndlt]

L'iguane est un reptile originaire d'Amérique centrale et du Sud [4] [en], souvent présenté dans les films d'action et d'aventure comme un lézard géant mangeur d'hommes [5] [en] ou comme un animal de compagnie inoffensif [6] [en].  

Dans les Petites Antilles [7] notamment, deux espèces ont été observées au cours des dernières décennies : l‘iguane vert commun [8] (Iguana iguana) largement répandu [9] [en] dans la région et l’iguane des Petites Antilles [10] (Iguana delicatissima), espèce endémique d’Anguilla [11], de la Dominique [12], de la Guadeloupe [13], de la Martinique [14], de Saint-Barthélemy [15] et de Saint-Eustache [16].  

Répertorié comme une espèce en danger critique d'extinction [17] (CR) sur la liste rouge de l'Union pour la conservation de la nature (UICN [18], Union for Conservation of Nature) [en] depuis 2009, l'Iguane delicatissima est menacé d'extinction et ce, malgré les initiatives prises par les gouvernements et les organisations régionales – mais est-il déjà trop tard ?

Historique de l'espèce

Il y a plus de 7 000 ans [19] [en] [pdf], les premiers iguanes sont apparus aux Antilles, alors que cette région était encore inhabitée. Ces reptiles y étaient si courants – surtout à Sainte-Lucie [20] – que l'indigène Kalinago a baptisé [21] l'île Iouanalao, ce qui signifie “Là où se trouve l'iguane”.  

Durant l'ère coloniale, ces reptiles étaient traqués et mangés [22] [pdf] par les Kalinago et les Français, qui les considéraient comme étant une bonne source de protéines.

Selon l'UICN, seuls 13 000 à 20 000 iguanes [19] [en] [pdf] adultes vivent encore dans les Petites Antilles. La majorité d'entre eux – 10 000 à 15 000 [19] [en] [pdf] – se trouvent en Dominique.  

Deux départements français d'outre-mer, la Guadeloupe et la Martinique, abritent une population importante d'iguanes des Petites Antilles.

En Guadeloupe, entre 1992 et 1993, 4 000 à 6 000 iguanes [19] [en] [pdf] ont été recensés sur les îlots de la Petite-Terre [23] et près de 400 adultes [19] [en] [pdf] ont été identifiés sur la commune de La Désirade [24]. En Martinique, 800 à 1 000 individus [25] [pdf] ont été aperçus sur l’îlot Chancel [26] en 2013.

En 1998, à Anguilla, ce nombre est passé à 300 [19] [en] alors qu'à Saint-Eustache, la population d'iguanes se chiffrait entre 275 et 650 [19] [en] [pdf] en 2004. Enfin, 300 à 500 adultes [22] [pdf] vivraient à Saint-Barthélemy.  

En revanche, l'iguane des Petites Antilles serait une espèce disparue sur les îles de Bonaire [27], Saba [28] et Saint Martin [29]. Il a également complètement disparu sur les archipels d‘Antigua-et-Barbuda [30] et de Saint-Christophe-et-Nevis [31].

Pourquoi ce déclin?

La régression de cette espèce, dont l'espérance de vie peut atteindre au moins 15 ans [22] [pdf], pourrait être liée à deux phénomènes étroitement liés: la compétition [32] [en] et l’hybridation [33] [en]. Dans le premier cas, des individus (de la même espèce ou d'espèces différentes) sont en compétition autour de la même ressource pour survivre et se reproduire. L'autre cas, lui, survient lorsque deux espèces similaires engendrent une progéniture hybride.  

L'incidence de ces phénomènes est aggravée par les conséquences environnementales de l’agriculture intensive [34] [en] et de l’urbanisation massive [35] [en] qui en découlent. Face à la détérioration de la végétation et à la réduction de leurs habitats naturels, les iguanes se voient contraints de vivre ensemble dans des espaces plus réduits.  

De ce fait, ils ont tendance à s'accoupler [36] [en] quelle que soit leur espèce. L'iguane vert commun compromet donc l'existence de l'iguane des Petites Antilles du fait de ce croisement puisque leur progéniture hybride contribue à réduire la population “pure” de l'iguane des Petites Antilles. 

Par ailleurs, outre le fait qu'ils sont exposés aux prédateurs naturels, parmi lesquels les chiens et les chats [37] [en], les iguanes des Petites Antilles sont victimes d’accidents de la route et de la chasse [38] [en].  

Protection régionale et internationale

Dès les années 1970, les gouvernements du monde entier ont commencé à prendre des mesures de protection de la biodiversité. Le 3 mars 1973, 80 pays ont adopté la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction [39] (Convention on International Trade in Endangered Species of Wild Fauna and Flora) [en] [pdf] (CITES). Cet accord contraignant, signé à Washington DC, régule le commerce de 30 000 espèces de plantes et de 5 800 espèces d'animaux, dont les iguanes [40] [en].

Dix ans plus tard, le 23 mars 1983, 25 États des Caraïbes ont signé la Convention de Carthagène pour la protection et la mise en valeur du milieu marin dans la région des Caraïbes [41] (Cartagena Convention for the Protection and Development of the Marine Environment of the Wider Caribbean Region) [en], en vertu de laquelle l'Iguana delicatissima est protégé [42] [en] [pdf]. Ce protocole relatif aux zones et à la faune spécialement protégées [43] (Specially Protected Areas and Wildlife, SPAW) [pdf] a été signé le 18 janvier 1990 à Kingston, en Jamaïque. Le SPAW et la CITES ont tous deux ratifiés par la Dominique, la France, le Royaume-Uni et les Pays-Bas.

Certains pays sont allés plus loin et ont inscrit la conservation de l'espèce dans leur propre législation. En 1989, par exemple, un arrêté ministériel français a déclaré illégale la chasse, l'importation ou le commerce de l'iguane des Petites Antilles en Guadeloupe [44] et en Martinique [45]. En Guadeloupe, l'arrêté a d'abord permis de protéger les iguanes verts communs jusqu'à ce que ces derniers soient rayés de la liste des espèces protégées par un arrêté [46] publié le 10 février 2014.

La Dominique a organisé, les 21 et 22 octobre 2009, un séminaire sur la conservation de l'iguane des Petites Antilles. Celui-ci a permis d'élaborer le plan d'action pour la conservation [19] (Conservation Action Plan) [en] [pdf] de l'UICN, document créé pour assurer la survie à long terme de l'espèce dans la région.

Parallèlement, le Ministère français de l'Écologie a mis en place deux plans d'action nationaux, couvrant les périodes 2011-2015 [22] [pdf] et 2018-2022 [25] [pdf]. Le plan actuel vise à protéger l'iguane des Petites Antilles en enrayant la prolifération de l'iguane vert.

Un avenir imprévisible

Les citoyens de la Dominique et des Caraïbes françaises sont déterminés à préserver l'iguane des Petites Antilles en freinant la croissance de l'iguane vert commun.

Ainsi, WildDominique [47] [en], organisation à but non lucratif, recense et capture les iguanes verts [48] et sensibilise les Dominicains à l'importance de la conservation de l'iguane des Petites Antilles. De la même façon, les bénévoles de l'organisation environnementale guadeloupéenne TITÈ [49], Organisation pour la gestion des espaces naturels de la Désirade (Organisation for the Management of the Natural Areas of La Désirade) procèdent à des opérations de capture, notamment sur l'île de la Désirade et sur les îlots de la Petite-Terre. La réussite de ces opérations repose en partie sur l'engagement des citoyens, qui sont invités à signaler tout iguane vert qu'ils aperçoivent. 

Il reste néanmoins beaucoup à accomplir. En Martinique, par exemple, l’iguane des Petites Antilles est encore classé comme une espèce en danger critique d'extinction [50] [pdf] – le niveau de menace antépénultième avant l'extinction complète – selon la dernière liste rouge des espèces menacées en France de l'UICN, publiée le 22 avril 2020.

Seul le temps nous révélera si l'iguane des Petites Antilles survivra ou disparaîtra. Cependant, la découverte récente d'une nouvelle espèce d'iguane noir endémique [51] [en] (Iguana melanoderma) sur les îles de Montserrat et Saba, le 14 avril 2020, illustre l'imprévisibilité de la nature.  

Pourtant, pour beaucoup, ces signes d'espoir ne doivent pas ralentir les initiatives de conservation.