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Zanzibar : la force des communautés et du soutien mutuel face au COVID-19

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Tanzanie, Catastrophe naturelle/attentat, Développement, Education, Gouvernance, Idées, Médias citoyens, Santé, Sciences, Voyages, COVID-19

Nafisa Jiddawi, (à gauche) du dispensaire Wajamama, devant l’Hôpital Mnazi Moja avec Mme Harusi, ministre adjointe de la Santé (à droite) à Stone Town sur l’île de Zanzibar, suite à la distribution de masques et d’autres équipements de protection individuelle (EPI) à des soignant·e·s. Photo par LULURAY PHOTOGRAPHY [1], utilisée avec sa permission.

Veuillez consulter la couverture [2] de l’impact du COVID-19 dans le monde entier par Global Voices.

Le COVID-19 n’a pas épargné Zanzibar, cet archipel semi-autonome situé au large des côtes tanzaniennes, en Afrique de l’Est. Avec leurs plages superbes et leurs villes chargées d’histoire, les deux îles principales de Zanzibar, Pemba et Unguja, attirent les voyageur·se·s du monde entier depuis des siècles.

Mais aujourd’hui, rues et plages sont pratiquement désertes [3], tandis que la population des deux îles, une communauté très soudée d’environ 1,3 million de personnes, se prépare à affronter la pandémie.

Le 9 avril, la ministre de la santé tanzanienne, Mme Ummy Mwalimu, a annoncé [4] les premiers cas de COVID-19 contaminés par transmission communautaire à Zanzibar. Au 24 avril, 98 cas ont été recensés selon les communiqués de presse officiels.

C’est la cohésion communautaire qui fait vivre Zanzibar : grâce à cet esprit d’umoja ou « unité » en swahili, une vague d’initiatives lancée par des groupes locaux s’est répandue sur les îles en vue de sensibiliser les habitant·e·s et de les informer sur le caractère hautement contagieux de la maladie.

Une innovation : se laver les mains sans contact

À la mi-mars, avant même l’apparition des premiers cas à Zanzibar, nombre d’hôtels locaux, qui, en temps ordinaire, auraient reçu des milliers de visiteur·se·s en provenance de zones fortement touchées comme l’Italie et l’Espagne, ont décidé de fermer leurs portes et d’appliquer des mesures préventives [5], telles que la distanciation physique et le lavage fréquent des mains. Ils respectent ainsi les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé et des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies.

Le 18 mars, les hôteliers se sont réunis sur la côte est de Zanzibar avec l’Agence de tourisme et de développement local de Zanzibar (Zanzibar Tourism Local Development, [6] ZTLD) afin d’informer la population sur le virus. Ils ont organisé un plan de distribution de gel hydro-alcoolique et d’eau pour chaque foyer, ainsi que la réalisation d’affiches éducatives.

Le gîte Mustapha’s Place [7], situé à Bwejuu, a conservé son ouverture d’esprit, malgré la fermeture de ses portes. Mustapha's Place et le ZTLD ont conçu et construit plusieurs bornes à eau qu’on actionne « avec les pieds, sans les mains ». Ils les ont ensuite réparties dans des lieux stratégiques le long de la côte est, où sont disséminés de petits villages de pêcheurs.

Mustapha' s place is temporary closed, but our mind is open and creative! Desing and buiding "foot operated hands-free" hands washing stations. Together with our communities we fight the spread of corona virus, supporting each other, learning from one another. Big up #zanzibartourism&localdevelopment #staysafe #washstations #zanzibar #mustaphasplace #creativeminds #coronavirusinafrica #coronavirus

Geplaatst door Mustapha's Place [7] op Woensdag 8 april 2020

Au cours de la semaine dernière, le ZTLD a réussi à livrer plusieurs bornes à eau « sans contact » à des mosquées, des commissariats de police, des dispensaires, des hôpitaux et des villages de la région.

Le groupe de développement local du tourisme de Zanzibar installe une borne à eau « sans-contact » dans le dispensaire de Charawe, à Zanzibar, le 14 avril 2020. Photo de Shebbi Shabban, utilisée avec permission.

Des systèmes de santé fragiles, une communauté soudée

Le dispensaire Wajamama (Wajamama Health Center [8]), dont le siège est situé à Stone Town, a félicité le ZTLD pour son innovation qui « réduit l’obligation d’ouvrir et de fermer un robinet, voire de toucher un distributeur de savon… Nous sommes impressionnés par l’ingéniosité de ce système et reconnaissants d’assister à de tels efforts », selon leur page Facebook. 

Wajamama [9] est un acronyme associant les mots watoto, jamii, et mama, à savoir « enfants, société, maman ». Le dispensaire a été fondé par Nafisa Jiddawi, qui a saisi le besoin de créer un espace permettant aux femmes de recevoir en toute sécurité des soins de haute qualité fondés sur des pratiques de santé et de bien-être.

Dès le début, Nafisa Jiddawi et son équipe ont été les premier·ère·s à réagir au COVID-19 sur les îles : ils et elles se sont mobilisé·e·s pour informer et instruire les habitant·e·s dès les premières annonces de cas venus de l’étranger, fin mars 2020. À ce moment, l’équipe avait déjà installé une centaine de bornes à eau autour d’Unguja.

Ils et elles ont également informé les représentants locaux des dernières mesures en matière de lavage de mains, de port du masque et de distanciation sociale, tout en encourageant les habitant·e·s à garder leur calme et à relayer uniquement des informations scientifiquement fondées.

Le président de Tanzanie, John Magufuli, a été critiqué pour avoir encouragé les gens à continuer à se regrouper dans des lieux de culte [10] alors que les scientifiques déconseillaient fortement de tels rassemblements. Magufuli a fait fermer écoles et universités pendant 30 jours mais il s’est montré plus réticent à imposer un confinement officiel, même après l’apparition du tout premier cas, le 16 mars. Selon la BBC, au 23 avril, 284 personnes [11] avaient été testées positives au coronavirus en Tanzanie, îles non comprises.

Le 10 avril, Wajamama a posté une mise en garde sur Facebook : « L’heure n’est plus aux propos complotistes ni aux rassemblements ». Puis, une semaine plus tard : « Avec notre système de soins et notre économie déjà fragiles, limiter la transmission du Covid-19 au sein de notre population est notre SEUL espoir. »

Quelques jours avant, Wajamama avait fourni gratuitement un grand nombre d’équipements de protection individuelle au ministère de la Santé à destination des travailleur·se·s sanitaires, grâce au soutien du Rotary Club de Stone Town et de donateurs américains.

Le dispensaire poursuit sa collaboration avec des designers et des représentants communautaires locaux, comme Recycle At Ozti,  [12]Kumi Zanzibar [13]Jenga Zanzibar [14], Zanzibar Apparels & Doreen Mashika [15], pour distribuer aux populations des masques réutilisables. Tous ces acteurs ont rejoint le mouvement #mask4all (des masques pour tous).

En une dizaine de jours, Wajamama a collecté 8 500 dollars américains, pour un objectif de 10 000 dollars destinés à soutenir les efforts contre le COVID-19 [16].

La santé mentale au temps du COVID-19

La plupart des habitants de Zanzibar vivent sous le seuil de pauvreté international, avec moins [17] d’un dollar par jour, selon [18] Pamela Allard, conseillère auprès du Health Improvement Project Zanzibar [19] (HIPZ).

Le COVID-19 fait peser une contrainte supplémentaire sur les communautés locales, aggravant une situation déjà éprouvante en raison de la pauvreté chronique, de la mauvaise qualité des infrastructures de soins et de la dépendance vis-à-vis du tourisme [20], désormais au point mort.

Cela fait plus d’une décennie que le HIPZ a uni ses forces avec le ministère de la Santé de Zanzibar pour soutenir les hôpitaux de Makunduchi et de Kivunge, situés dans les zones rurales, où règne un manque criant de services médicaux. Le HIPZ a également identifié la nécessité de renforcer les mesures en faveur de la santé mentale pour faire face à la pandémie ; il s’est servi de son programme de radio [21] pour répandre des informations essentielles sur le virus au sein des populations locales.

C’est l’une des rares initiatives communautaires à Zanzibar qui tienne compte des conséquences du virus sur la société en matière de santé mentale.

Le coordinateur du HIPZ chargé de la santé mentale Haji Fatawi a pris le rôle d’animateur radio. Le 23 avril, il s’est rendu sur une île éloignée, Tumabutu, pour répondre à des questions lors d’une émission destinée à sensibiliser les gens à tous les aspects de la crise et à son impact sur la vie quotidienne.

Haji Fatawi, chef de l’équipe chargée de la santé mentale au sein du Health Improvement Project Zanzibar, lors d’une émission de radio portant sur l’impact du COVID-19 sur la santé mentale. Photo utilisée avec la permission de HIPZ.

Alors que des cas de COVID-19 commençaient à apparaître [22] sur les îles le 21 mars, le HIPZ a immédiatement mis sur pied un programme de formation dans les hôpitaux locaux pour démystifier le virus et dissiper les craintes des personnels de santé. C’est ce qu’a rapporté Pamela Allard dans un mail adressé à Global Voices.

Many staff believed many patients may be carriers of COVID-19, and therefore the health care could be improved due to a lot of fear-based assumptions within the local staff.

Beaucoup de soignants pensaient qu’un grand nombre de patients pourraient être porteurs du COVID-19. Cela signifie qu’on pourrait améliorer les soins en dissipant les craintes du personnel local.

HIPZ a dû revoir ses programmes pour se concentrer sur la protection et le soutien des personnels de santé directement concernés :

With an already fragile health system, we have had to reassess everything and try to prepare for COVID-19, focusing on keeping our staff as safe as possible to perform the critical work that will most likely be required of them. We have refocused many aspects of our budget to support the staff, with PPE and soap, and equipment and innovative systems of patient flow at this time. We have been fundraising like mad [23], and are preparing for the potential weeks to come, knowing that the curve in Zanzibar may not  be as flattened as it is in other countries due to the living conditions and socio-economic challenges that face most of the Zanzibaris.

Avec un système de santé déjà fragile, nous avons dû tout revoir pour essayer de nous préparer à l’épidémie de COVID-19, en mettant l’accent sur la protection du personnel soignant afin que ses membres puissent effectuer les tâches critiques qui vont probablement être les leurs. Nous avons revu les priorités de notre budget pour les soutenir, en leur fournissant des EPI, du savon et des équipements divers, ainsi que des systèmes innovants de gestion des flux de patients. Nous avons travaillé d’arrache-pied pour lever des fonds [23], et nous nous préparons à ce qui pourrait nous arriver dans les semaines à venir, sachant qu’à Zanzibar, la courbe ne pourra peut-être pas être aplanie comme dans d’autres pays, en raison des conditions de vie et des défis socio-économiques auxquels les habitants font face.

Selon les propos [24] tenus par l’homme politique Seif Sharif pour African Arguments, le mois d’avril est décisif pour Zanzibar et la Tanzanie en ce qui concerne le COVID-19.

Le gouvernement n’a proclamé aucun confinement officiel [25]. Il n’a annoncé ni programmes [26] majeurs d’allègement de la dette ni moyens de relance économique. Pourtant, la ministre de la Santé [27] de Zanzibar multiplie ses efforts pour informer les habitant·e·s et travailler à leur sécurité, en plus des initiatives locales et communautaires comme celle de Wajimama.

À Zanzibar, où une majorité de la population observe le ramadan depuis le 24 avril, le mois à venir sera placé sous le signe de l’esprit de solidarité, qui permet aux gens de rester en lien au travers des communautés de soutien mutuel.