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Nigéria : un athée menacé de mort pour blasphème contre l'islam

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Nigéria, Censure, Droits humains, Liberté d'expression, Médias citoyens, Religion, Advox
Mubarak Bala, vêtu d'un costume bleu, dans un couloir de bureaux. Un badge est accroché à sa veste.

Photo tirée du compte Facebook public de Mubarak Bala.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt]

Le 29 mars 2020, Mubarak Bala, athée autoproclamé, a été arrêté à Kaduna, au nord-ouest du Nigéria, pour avoir prétendument insulté le prophète Muhammad, relate [1] le quotidien nigérian Punch.

Le 27 avril, Mubarak Bala a été arrêté dans le cadre d'une requête remise au commissaire de police de Kano, dans le nord-ouest du Nigéria, par un groupe d'avocats lui reprochant d'avoir publié sur Facebook des messages « provocateurs et contrariants » à l'encontre des musulmans, selon le portail en ligne Zikoko, rapporté ici [2], [3] et encore là [4]. Ils ont déclaré que Mubarak Bala avait :

…calling the Prophet of Islam, Muhammad (PBUH, Peace be upon him), all sorts of denigrating names like pedophile, terrorist among other statement that will definitely incite Muslims to take laws into their hands, which will ultimately result in public disturbance and breach of the peace. 

… qualifi[é] le Prophète de l'Islam, Muhammad (saw), (« que la paix et la bénédiction d'Allah soient sur lui ») de toute sorte de termes méprisants tels que pédophile, terroriste, entre autres, déclarations susceptibles d'inciter les musulmans à faire justice eux-mêmes, entraînant ainsi des troubles publics et des atteintes à la paix.

Mubarak Bala sera probablement traduit en justice pour blasphème en vertu du code pénal de l'État de Kano. S'il est reconnu coupable, il est passible d'une peine de deux ans de prison avec amende voire des deux.

Mubarak Bala n'en est pas à sa première controverse

À 35 ans, Mubarak Bala, ingénieur chimiste et dirigeant de l'Association humaniste nigériane, a déjà connu des polémiques.

En juin 2014, sa famille l'a interné de force [6] dans un hôpital psychiatrique de Kano au motif qu'il avait renié l'islam, selon la BBC. Dix-huit jours plus tard, il quittait [7] l'hôpital psychiatrique de Kano.

En évoquant son calvaire à l'hôpital à Humanist Voices (Voix Humanistes) en 2018, Mubarak Bala a déclaré [8] qu'il avait été « drogué de force » au moyen de médicaments destinés aux « patients psychotiques et schizophrènes ». Ces drogues « ont provoqué des émotions inhabituelles au point de me rendre presque fou », précise-t-il.

Copie d'écran du post de Mubarak Bala paru sur Facebook [9].

Ainsi, ses derniers commentaires sur Facebook [9] ne sont pas surprenants, vu ses antécédents. Le 26 avril dernier, Mubarak Bala a partagé cette réflexion sur Facebook (traduite du haoussa) : « Il n'y a pas de différence entre le prophète TB Joshua (S.A.W.) [Salla Allahu Aleyhi Wa Sallam [10], que les prières et la miséricorde de Dieu soient sur lui, expression suivant habituellement le nom du prophère Muhammad] de Lagos et Muhammadu (A.S.) [Alayhi Salām, expression suivant le nom des prophètes] d'Arabie Saoudite, il est plus avantageux pour notre Nigéria de devenir une terre de terrorisme. »

TB Joshua renvoie à un pasteur évangélique [11] [fr] de la Synagogue Church of all Nations, à Lagos

Visiblement, sous l'effet des réactions négatives générées par son post, Mubarak Bala a partagé un autre post sur Facebook [12] dans lequel il précisait : « Si vous ne supportez pas le blasphème contre l'Islam, la critiques de ses dogmes, alors cette page n'est pas faite pour vous… »

Selon le site internet Sahara Reporters, Mubarak Bala a fait l'objet de menaces de mort [13] « de la part d'extrémistes », notamment de la part d'un « policier en service identifié sous le nom d'Abdulsamad Adamu ». Ce dernier fait partie du commandement de la police de l'État de Bauchi, au nord-est du Nigéria.  

C'est pourquoi les avocats de Mubarak Bala ont sollicité le transfert de son dossier [14] de Kano à Abuja, la capitale du Nigéria, suite aux menaces formulées « sans détours » à l'encontre de leur client et ce, avant son arrestation, « par le biais d'appels téléphoniques » et « via les médias sociaux ».

Blasphème ou liberté d'expression

Le blasphème constitue un délit punissable à la fois dans le système judiciaire coutumier (laïc) et dans celui de la charia (islamique) au Nigéria.

Le droit coutumier, en vertu de l'article 204 du code pénal du Nigéria portant sur l'« insulte à la religion », stipule [15] que :

Any person who does an act which any class of persons consider as a public insult on their religion, with the intention that they should consider the act such an insult, and any person who does an unlawful act with the knowledge that any class of persons will consider it such an insult, is guilty of a misdemeanour, and is liable to imprisonment for two years.

Toute personne accomplissant un acte considéré par une catégorie de personnes comme une insulte publique à leur religion, dans le but de les inciter à considérer cet acte en tant qu'insulte et, toute personne réalisant un acte illégal conscient qu'une catégorie de personnes le jugera comme une insulte, se rend coupable d'un délit et est passible d'une peine d'emprisonnement de deux ans.

L'État de Kano est soumis aux deux systèmes juridiques.

Toutefois, l'article 38 de la Constitution nigériane de 1999 [16] garantit le droit de chaque Nigérian d'exercer sa liberté de pensée, de conscience et de religion. De la même façon, l'article 39 confère également à chaque Nigérian le droit à la liberté d'expression.

Entre-temps, #FreeMubarakBala [17] est devenu incontournable sur Twitter, affichant des avis partagés sur l'arrestation de Mubarak Bala et l'accusation de blasphème qui pèse sur lui.

L'écrivain Gimba Kakanda a décrit l'arrestation de Mubarak Bala comme étant « abusive »

L'arrestation de @MubarakBala pour blasphème ne se justifie pas. Je n'ai pas vocation à provoquer la sensibilité de quelque groupe religieux que ce soit et je lui ai fait savoir qu'il était inacceptable de le faire, en revanche, le mettre en état d'arrestation est une mesure excessive. Il ne constitue pas une menace pour l'Islam. Il aurait tout simplement dû être ignoré.

« La critique d'une religion n'est pas une infraction pénale », a écrit cet internaute :

Le Nigéria est un État laïque et la liberté d'expression est l'une des caractéristiques fondamentales d'un État démocratique moderne.

Critiquer une religion n'est pas une infraction pénale.

Toute personne sensée est donc tenue de mettre de côté ses opinions religieuses et défendre Mubarak Bala #FreeBalaMubarak.

En 2020, cette internaute a remis en question le bien fondé de l'application des lois sur le blasphème

Si vous appliquez encore les lois sur le blasphème en 2020, c'est uniquement parce que votre religion ne supporte pas la moindre interrogation.

Toutefois, quelques personnes ont exprimé leur désaccord.

Cet internaute a publié sur Twitter un commentaire virulent dans lequel il affirme qu'une insulte visant le prophète Muhammad mérite la peine capitale :

Toute personne insultant le Prophète de l'Islam, Muhammad doit être executée.

Il n'y a pas de place pour le débat

La liberté d'expression ne signifie pas pour autant la violation de cette liberté par l'attaque d'une certaine religion.

Par ailleurs, cet internaute a dénoncé les militants des droits humains comme étant des hypocrites lorsqu'il s'agit de religion :

Quand une personne insulte notre Prophète, vous parlez de sa liberté d'expression

Mais lorsque nous insultons les gays et lesbiennes, vous parlez de discrimination

Vous, les militants des droits humains, vous êtes des hypocrites, vous l'avez toujours été et le serez toujours #FreeBalaMubarak

Athéisme au Nigéria

Avec une population estimée [26] à 200 millions de personnes, le Nigéria compte deux grandes religions : le christianisme et l'islam. Les musulmans et les chrétiens constituent [27] respectivement 50 % et 48 % de la population nigériane.

Les musulmans sont majoritaires dans le nord du pays, tandis que le sud du Nigéria est essentiellement chrétien. Les adeptes des religions traditionnelles sont peu nombreux dans les deux parties du pays.

L'athéisme n'est pas répandu, bien que certains Nigérians bien connus proclament ouvertement leur incroyance vis-à-vis de toute religion.

De jeunes athées nigérians ont été ostracisés [28] au sein de leur famille pour avoir critiqué la religion. La situation est particulièrement préoccupante dans le nord du Nigéria. Une étude de Pew Research de 2010 révèle qu'une majorité d'hommes musulmans dans le nord du Nigeria (58 %) soutiennent [29] [pdf] la peine de mort à l'encontre de ceux qui abandonnent la religion musulmane.

Il semble néanmoins qu'il s'agisse de cas extrêmes.

Dans une interview réalisée en 2018 par le magazine en ligne Business Insider de Pulse, l'un des membres de la Société athée du Nigéria a reconnu [30] que certains « se sentent encore » choqués de côtoyer des athées nigérians. Cependant, la plupart « des Nigérians sont tolérants et aiment donner leur opinion en cas de désaccord ». En conséquence, leur non-croyance a engendré « de nombreuses discussions » et « de très rares cas de menaces ou d'intimidation ».