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Les femmes biélorusses se tournent vers l’autodéfense pour lutter contre la violence domestique

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, Biélorussie, Droits humains, Femmes et genre, Médias citoyens
Une femme se tient au centre d'une salle de gym, montrant comment serrer les poings. D'autres femmes observent et discutent.

Participantes à une séance de wendo, Minsk, 2020. Photo de Hanna Liubakova, reproduite avec autorisation.

Une quinzaine de femmes se sont rassemblées très tôt un samedi matin dans l'un de ces bâtiments gris à trois étages qui sont omniprésents dans la banlieue de Minsk, la capitale biélorusse.

On peut se servir un café et des collations ; les chaises sont déjà disposées uniformément en cercle. La salle spacieuse où nous nous rencontrons est habituellement une salle de sport. Cependant, nous ne sommes pas là pour nous remettre en forme. Les deux jours à venir oscilleront entre cours d'arts martiaux et groupe de soutien.

C'est l'essence même du wendo [1] [en] : une méthode d'autodéfense et d'affirmation de soi développée pour permettre aux femmes de lutter contre le harcèlement, de devenir autonomes et de s’affirmer.

Ce genre de cours est relativement nouveau et peu répandu. De nombreuses raisons expliquent pourquoi l'idée d’une autodéfense pour les femmes n'est pas plus populaire en Biélorussie : divers stéréotypes sexistes, une tendance à blâmer les victimes de violence et le mythe persistant de la nécessité « d’une épaule d'homme fort » sur laquelle s’appuyer. Et pourtant, selon les données de l'ONU de 2018, une femme sur deux [2] [ru] en Biélorussie subit différentes formes de violence, dont des violences physiques pour près d’un tiers d’entre elles.

Le wendo enseigne des techniques physiques et verbales très variées. Les femmes apprennent aussi bien à se défendre, à réagir aux prises des poignets et des bras qu’à échapper aux étreintes et aux prises d'étouffement. Loin d'être une simple méthode d’autodéfense, le wendo se concentre également sur le consentement, la prise de conscience et la prévention des situations dangereuses. Voilà les compétences que nous allons acquérir au cours des deux prochains jours.

Tout type de femmes, grandes ou petites, les cheveux blonds ou bruns, étudiantes comme salariées, rejoignent ce groupe. Certaines d'entre nous ont la cinquantaine, d'autres viennent d'avoir 16 ans. Nous nous sommes rencontrées il y a un instant, mais nous faisons déjà preuve de solidarité entre nous.

Toutefois, lorsque notre coach Olga Laniewska nous demande soudain de hurler, nous nous jetons des regards confus. Car si ce cours est réservé aux femmes, et a beau se passer dans le cadre le plus agréable et sécurisant possible, il n'est néanmoins pas aisé de se mettre à hurler lorsque vous êtes entourée de quasi-inconnues.

Olga renchérit : « Les agresseurs savent parfaitement que les femmes ont souvent trop honte pour réagir lorsqu'elles sont victimes d’agressions sexuelles. Cependant, votre voix est votre arme, alors servez-vous en. »

Cette fois-ci, nous n'hésitons pas à hurler.

Vaincre ses peurs, briser les stéréotypes

Natalia (qui a demandé que son nom soit changé), une doctorante, devait résoudre un problème avec son directeur de thèse. Il abusait de sa position en lui posant constamment des questions personnelles sur sa famille et son conjoint. Elle se sentait dépendante de son directeur mais voulait mettre un terme à cette attention non désirée.

Lors des séances de wendo, les femmes partagent des expériences vécues d'agression physique ou verbale commises par des inconnus ou leurs connaissances (harcèlement dans la rue, conjoint violent, agression à l’école ou collègue qui dépasse les limites).

Ensuite, elles échangent et se confrontent à des situations réelles en vue d’accroître leur estime de soi et de réagir de la manière qui leur convient le mieux.

Dans le cas de Natalia, elle a travaillé sur sa posture, son langage corporel, sa voix et son emploi de mots spécifiques jusqu'à ce qu'elle soit satisfaite du résultat. Comme elle me l'a confié quelques mois plus tard, lorsque son maître de thèse l'a de nouveau approchée, elle a su, de façon polie mais ferme, mettre un terme à ses questions.

« Il n’a plus jamais eu de comportement déplacé », confie Natalia. « Il a probablement compris que je ne l’accepterais plus. »

Étrangement, leur relation s'est au contraire améliorée à partir de là, affirme-t-elle

« Quelle a été la réaction de votre mari lorsque vous vous êtes inscrite au cours ? » lui demandai-je.

« Il affiche son soutien et fait preuve d’ouverture d’esprit », dit-elle. « Néanmoins parfois, il ne comprend pas le lien entre le wendo et la violence domestique, puisque notre relation n'est pas basée sur la violence. » Alors qu’elle était âgée de 19 ans, quelqu'un a tenté d’abuser d’elle et bien qu’elle ait pu s'échapper, la peur ne l’a plus quittée.

Une autre étudiante, Alina (24 ans) a été victime de violence domestique. Le wendo lui a appris à fixer des limites et à ne pas autoriser les autres à les enfreindre. Quelques mois plus tard, elle me confie qu'il lui est encore aujourd’hui difficile de dire « non » sans éprouver de culpabilité. Mais elle apprend.

À la fin de chaque séance, les participantes cassent un morceau de bois d'un revers de main. Tout comme dans les arts martiaux, faire démonstration de sa force et de son courage, fait partie de l'entraînement. Pour celles de mon groupe, cela a été un moment d'autonomisation et de résolution.

« Cela renforce votre degré d'assurance. Sans cela, il est impossible de se défendre », explique Hanna Parkhomenka, membre du groupe.

Natalia, Hanna et Alina comptent parmi les 900 femmes ayant suivi un cours de wendo en Biélorussie, depuis le premier organisé il y a environ quatre ans.

« Cela signifie-t-il que toutes savent où frapper un agresseur ? » demandai-je à Olga Laniewska, la seule coach de wendo de Biélorussie et l'une des très rares coachs russophones à l'échelle internationale.

« Cela ne se résume pas uniquement à des coups de pied et des blocages, même si je les enseigne également », dit-elle.

« Dans l’idéal, une fois qu'une femme a appris le wendo, elle ne se laisse pas violenter ou attaquer en premier lieu, car elle est consciente de ses limites et des comportements qu'elle trouve inacceptables », renchérit Olga Laniewska. L'objectif principal du wendo est d'éviter les menaces et les agressions si possible. Au cours des séances, nous discutons de l'importance de ces principes en Biélorussie, où le concept juridique d’autodéfense n'est pas entièrement développé.

En 2016, Olga Laniewska, a reçu son attestation de formation wendo par le biais de l'ONG Fondation Autonomie [3] [en] en Pologne, où elle a vécu pendant 15 ans. Il a fallu 18 mois et de nombreux entretiens et conversations avec des psychologues, avant de l’obtenir. Elle est ensuite retournée en Biélorussie, et a commencé à offrir gratuitement des cours d'autodéfense, lorsque l'organisation d'aide aux victimes de violence domestique Radislava [4] – avec laquelle elle s'est associée – parvient à réunir les fonds. Lorsqu’il n'y a pas d'argent des sponsors, Olga Laniewska donne des ateliers rémunérés. Toutefois, si un groupe ne peut pas payer, elle travaille gratuitement.

Le wendo peut être adapté aux âges et capacités de chacune. Les cours durent généralement 12 heures, répartis sur deux jours. Laniewska enseigne principalement à Minsk, bien qu'elle ait également donné des cours à Hrodna, Navapolack, Brest et dans d'autres villes biélorusses.

Des résultats positifs

L'autonomisation par l'autodéfense n'est pas une nouveauté mais ses effets positifs finissent par s’observer, comme l’affirment ses défenseurs.

Au Canada, où le wendo est apparu dans les années 1970, la méthode a été intégrée à un programme de résistance aux agressions sexuelles conçu pour les étudiantes de première année de trois universités canadiennes. Les résultats [5] [en], publiés en 2015, étaient impressionnants. Selon les auteur·e·s, qui ont effectué une comparaison avec un groupe témoin d’étudiantes, la formation a permis une réduction de 46 % des viols et de 63 % des tentatives d'agression sexuelle au cours de l'année suivante.

Une étude similaire menée par Jocelyn Hollander de l'Université de l'Oregon, auprès d'étudiantes universitaires ayant suivi un cours d'autodéfense, est parvenue aux mêmes conclusions [6] [en]. Le rapport indique que les femmes qui y ont participé ont subi « beaucoup moins d'agressions sexuelles au cours de l'année suivante que les femmes inscrites dans d'autres enseignements au sein de la même université ».

La formation des femmes à l’autodéfense semble également avoir des effets positifs dans d’autres sociétés. En 2014, des chercheur·e·s de Stanford ont découvert que des adolescentes vivant dans les bidonvilles de Nairobi avaient signalé une baisse [7]des viols  [7]de plus d'un tiers [7][en] durant l'année suivant leur participation à un programme d'autodéfense de 12 heures.

Un rapport du Parlement européen datant de 2016 a indiqué qu’en Europe, malgré la préconisation du Conseil de l’Europe il y a plus de 20 ans, en faveur d’une formation gratuite à l'autodéfense pour les filles et les jeunes femmes, peu de progrès ont été accomplis au niveau national.

En Pologne, les administrations municipales ou les employeurs ont parfois financé des cours de wendo.

Le wendo fournit les outils permettant de renforcer la confiance en soi et l'assurance. Mais ce n'est pas une panacée, explique Agnieszka Biela, psychologue et instructrice certifiée de wendo basée à Sosnowiec dans le sud de la Pologne. « Une femme ne peut pas être dans une situation de violence domestique active, car cela nécessite une aide plus ciblée et peut avoir l'effet inverse en lui donnant un sentiment d'impuissance. »

Les spécialistes du wendo doivent savoir quand faire appel à une aide extérieure, souligne Agnieszka Biela, se souvenant d'une femme de l'une de ses classes qui vivait avec un partenaire violent. « Heureusement, celle-ci s’est confiée à nous et nous avons pu l’orienter vers un centre d'intervention. »

Agnieszka Biela explique que d'un point de vue psychologique, le wendo se concentre sur la capacité des femmes à exploiter tout leur potentiel et encourage l'exploration de soi. « En tant que coach de wendo, nous montrons à une femme qu'elle est l'experte de son vécu. », explique Biela.

Dans une enquête réalisée par l'Autonomy Foundation [8] [ru] à l'issue d'un atelier de wendo, presque toutes les 54 femmes interrogées ont déclaré que si elles avaient eu la possibilité de suivre une formation de ce type au cours de leur adolescence, elles auraient pu éviter de nombreuses situations de danger dans la vie adulte. La moitié des femmes ont utilisé les compétences acquises dans les quelques mois suivant la formation.

L'accent mis sur la prévention

Ilya Murashko s’indigne du fait que la plupart des hommes suivent ses cours d'autodéfense à Minsk.

« Soyons honnêtes : les femmes ont davantage besoin d’apprendre à se protéger que les hommes. Avec les personnes âgées et les personnes en situation de handicap, elles sont plus souvent agressées que les hommes », souligne-t-il.

En plus du Krav Maga classique (une méthode de combat et d'autodéfense), l'enseignement prodigué par Ilya Murashko consiste à établir des limites personnelles et à en informer les autres ainsi qu'à reconnaître des situations dangereuses à un stade précoce. Ça vous dit quelque chose ?

« Oui, c'est similaire au wendo. Les deux sont cruciaux pour prévenir les agressions », répond-il.

L'inconvénient, ajoute Ilya Murashko, c’est que les cours de wendo sont trop courts pour que les femmes en maîtrisent les compétences et en fassent une habitude. C'est exactement ce que m'a confié Olga Kutas, une des femmes de mon groupe de wendo : « Les effets d’un seul cours pourraient rapidement se perdre dans les tâches quotidiennes des femmes. »

Mais comme l'explique Lena Bielska, alors que certaines astuces de défense physique pourraient tomber dans l’oubli avec le temps, les germes du respect de soi semées continueront quant à eux à se développer. Lena Bielska est professeure de wendo certifiée et co-fondatrice de la filiale de Lublin de HerStory, une organisation à but non lucratif qui s'intéresse aux questions d'égalité des sexes et de discrimination. C’est ce qui explique selon elle l'importance primordiale de se concentrer sur l'autonomisation et la confiance des femmes et non pas uniquement sur les arts martiaux. Par ailleurs, il arrive que des femmes participent plusieurs fois aux ateliers de wendo et certaines suivent un cours avancé.

Une lutte permanente

La formation en matière d'affirmation de soi n'est pas facile à inculquer dans une société qui attend d'une femme qu'elle soit douce, docile et modérée. Les femmes sont censées gérer les problèmes sans faire de scène. Elles sont élevées pour être « gentilles ».

« Les choses changent », dit Olga Yanchuk à propos des stéréotypes et des risques sociaux qui guettent une femme qui se défend.

Olga Yanchuk, sociologue, est la secrétaire générale de la filiale YWCA en Biélorussie, une organisation non gouvernementale qui défend les femmes et offre une formation en leadership. Elle a récemment lancé un projet intitulé Women’s Safety [9] [be]. Comme pour le wendo, l’accent est mis sur l’amélioration de l’estime de soi des femmes. Le projet propose des cours payants en ligne sous forme de vidéo et des consultations personnelles avec un·e psychologue sur les limites personnelles et les différentes formes de violence domestique.

Puisqu'il n’existe pas de loi contre la violence domestique en Biélorussie — le président Alyaksandr Lukashenka ayant rejeté l'idée comme étant « absurde » [10] [en] à l'automne dernier –, Olga Yanchuk estime qu'il est particulièrement important pour les femmes d'apprendre à se défendre et à fixer leurs limites. « Une femme apprend à s'écouter et à écouter son corps. Elle peut alors reconnaître plus facilement les premiers signes de violence, de tension ou d'inconfort potentiels. »

Olga Yanchuk et sa fille de huit ans ont également participé à une séance de wendo. « Le succès majeur de cette formation s’observe dans le fait que ma fille reconnaisse qu'elle a le droit et le besoin de se protéger », indique Yanchuk.

Ça, et le bloc de bois qu'elle a cassé à main nue et ramené à la maison en guise de trophée, ajoute-t-elle en riant.

Cet article a été initialement publié en anglais par Transitions [11], une organisation d'édition et de formation aux médias basée à Prague, et est republié ici dans le cadre d'un accord de partage de contenu. La présente version a été modifiée pour répondre à des exigences de style et de longueur.