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Alors que le tourisme décline au Cambodge, les conducteurs de « tuk-tuks » de Phnom Penh traversent des moments difficiles

Catégories: Asie de l'Est, Cambodge, Economie et entreprises, Médias citoyens, Santé, Travail, Voyages, COVID-19
Plusieurs tuk tuks sont garés dans une rue de Phnom Penh. Un chauffeur attend les clients, assis dans son véhicule. [1]

Le 23 avril 2020, un chauffeur, assis dans son « tuk-tuk », attend les clients au marché de Deumkor, à Phnom Penh. Photo et légende de Panha Chorpoan pour VOD.

Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais.

Cet article de Taing Keoratanah [1] est tiré de VOD News, un site d’information indépendant cambodgien. Une version éditée est publiée sur Global Voices, dans le cadre d'un accord de partage de contenu. L‘article original [2] est paru en khmer sur VOD Khmer.

Lorsqu'en 2019, Poeun Da a quitté son emploi dans une usine de vêtements de Phnom Penh, pour conduire un « tuk-tuk » (un véhicule tricycle motorisé [3] servant de taxi), son investissement de 3 000 dollars américains dans ce véhicule semblait porter ses fruits. Poeun Da affirme que grâce à des applications mobiles de commande de taxi, il pouvait gagner au minimum 100 000 riels (25 dollars) par jour, et entre 500 et 600 dollars par mois, en conduisant les habitants et les touristes à travers la capitale cambodgienne.

C'était le cas jusqu'à la mi-mars, lorsque la COVID-19 a fait son apparition au Cambodge (avec un nombre de cas confirmés passant de un à plus de 100) et a porté un coup à ses moyens de subsistance. Désormais, il gagne entre 2,50 et 5 dollars par jour, comme il l'explique :

It’s really hard, bro! To be frank, in one day, [I get] only one ride. Today, from morning till night, I had only one ride, and I need to pay to the [ride-hailing] company and some for gas.

C'est vraiment dur, mon frère ! Pour être honnête, en une journée, [je n'ai] fait qu'une seule course. Aujourd'hui, du matin jusqu'au soir, je n'ai effectué qu'un seul trajet, et je dois payer l'essence et l’entreprise [de commande de taxi].

Les conducteurs de tuk-tuks comme Poeun Da perdent leurs revenus, alors que le nombre de touristes arrivés au Cambodge a chuté, et que les habitants décident de rester à la maison. Dans le même temps, les personnes travaillant dans le secteur informel sont largement exclu·e·s de la protection sociale limitée à laquelle les employé·e·s du secteur formel ont accès pendant le ralentissement économique.

Depuis janvier, le Cambodge a enregistré 122 cas de COVID-19, et la quasi totalité des patients se sont rétablis et ne sont plus en quarantaine. Le ministère de la Santé n'a signalé aucun nouveau cas de coronavirus depuis le 12 avril, et aucun décès lié à la pandémie de COVID-19 n'a été confirmé.

Mais selon l'Organisation mondiale de la santé [4], dans le monde, plus de 3 millions de personnes ont contracté le virus et plus de 210 000 décès ont été recensés, de nombreux pays limitant les déplacements intérieurs et le passage des frontières.

Le Cambodge a ordonné l'interdiction de voyager pour les personnes en provenance d'Espagne, d'Italie, de France, d'Allemagne, des États-Unis et d'Iran. Le gouvernement a également fermé les écoles, les cinémas, les musées, les boîtes de nuit et les gymnases, et a temporairement interdit les manifestations religieuses, ainsi que d'autres rassemblements publics.

Bien que la plupart des magasins, cafés et restaurants de Phnom Penh restent ouverts, les conducteurs de tuk-tuks affirment que les gens sortent moins souvent, depuis l’instauration des restrictions en mars.

Vorn Pao, président de l'Association pour la démocratie indépendante de l'économie informelle (IDEA), un groupe de travailleurs, déclare que depuis que le nouveau coronavirus a frappé le Cambodge, les travailleurs informels comme les chauffeurs de taxi et de tuk-tuks ont été confrontés à une forte baisse de revenus, en raison de leur travail irrégulier et des prêts que beaucoup d’entre eux contractent pour acheter leurs véhicules.

Si le virus et ses répercussions économiques persistent, Vorn Pao assure que les chauffeurs pourraient se sentir contraints de quitter leur emploi dans la capitale et de retourner dans leurs provinces d'origine.

Dans son commerce de véhicules de la commune de Stung Meanchey, Ry Silay a affirmé qu’il achèterait toujours des tuk-tuks en bon état, mais à un prix inférieur de 200 ou 300 dollars à la valeur du véhicule avant la pandémie. Cependant, Ry Silay admet qu'il n'a acheté aucun tuk-tuk au cours des deux derniers mois :

The difference between [the number of] buyers and sellers is big. There are five, six or seven [drivers who want to sell their tuk-tuk] a day, but there are almost no [buyers] in a day, maybe one or two, so we cannot sell.

La différence entre [le nombre] d'acheteurs et de vendeurs est importante.
Il y a cinq, six ou sept [conducteurs qui veulent vendre leur « tuk-tuks »] par jour, mais il n'y a presque pas [d’acheteurs] de toute la journée, peut-être un ou deux, donc nous ne pouvons pas vendre.

Hout Ieng Tong, président directeur général de l’établissement de microfinance Hattha Kaksekar Limited (HKL), a expliqué que sa société aiderait les clients qui travaillent en qualité de conducteurs de tuk-tuks, et note qu’ en raison de l'impact de la COVID-19 sur leurs emplois, la Banque nationale avait exhorté les institutions de microfinance à venir en aide aux emprunteurs [5].

les « tuk-tuks » alimentés au GPL stationnent en ligne, les chauffeurs attendent les clients à Phnom Penh. [1]

Le 23 avril 2020, des tuk-tuks alimentés au GPL stationnent en épi, tandis que les chauffeurs attendent les clients à Phnom Penh. Photo et légende de Panha Chorpoan pour VOD.

Aucun touriste à transporter

Alors que l’économie cambodgienne commençait à ressentir les effets de la récession mondiale, le premier ministre Hun Sen a déclaré, début mars, que le tourisme serait l’un des secteurs les plus touchés par la pandémie.

En avril, le porte-parole du Secrétariat de l'aviation civile, Sinn Chanserey Vutha, a déclaré aux journalistes que le nombre de visiteurs internationaux avait diminué de 20 % en janvier, de 50 % en février, puis de plus de 70 % en mars et de 90 % en avril.

Garé devant l'aéroport international de Phnom Penh, Mao Yorn, un chauffeur de 40 ans, explique que d’ordinaire, grâce à une kyrielle d'applications mobiles de commande de taxi disponibles, il pouvait gagner 25 dollars par jour, en conduisant des touristes et d'autres personnes. Ce revenu suffisait à rembourser les 300 dollars mensuels du prêt de 5 000 dollars qu'il avait contracté auprès de la Cambodia Post Bank.

Mais lorsque le nombre de cas de coronavirus a augmenté au Cambodge, le nombre de clients qui l'ont approché en personne ou par le biais d'applications a diminué :

Today, as a whole from morning till night, I have not provided one service, and tomorrow, I’m not sure whether one will come or not. Finding a construction job is probably better.

Aujourd’hui, du matin au soir, je n’ai pas assuré un seul service de transport, et demain, j’ignore si j’en fournirai un. Il est probablement préférable de trouver un emploi dans la construction.

Dans un rapport d’avril, la Banque mondiale prévoyait [6] que le taux de pauvreté parmi les travailleurs du secteur hôtelier cambodgien (y compris le personnel des transports, du tourisme et de la restauration) pourrait atteindre plus de 20 %, si le revenu moyen du secteur était réduit de moitié pendant deux trimestres. Elle a également averti que les travailleurs informels seraient les plus gravement affectés. En mars, les experts de l'industrie ont déclaré que le secteur du tourisme ressentirait les conséquences de la pandémie [7] pendant au moins deux trimestres, sinon plus.

« Comment l’État pourrait-il posséder autant d’argent ? »

Outre toute une série d'initiatives économiques visant à aider le secteur touristique en difficulté, Hun Sen a annoncé [8] en mars que les travailleurs de l'industrie du tourisme qui ont perdu leur emploi, pourraient bénéficier d'une formation professionnelle. Cependant, en avril, le premier ministre a noté que les travailleurs de l'économie informelle (y compris les chauffeurs) n'auraient pas accès aux fonds [9] accordés aux travailleurs de l’industrie textile dont les usines ont suspendu la production.

Le 7 avril, Hun Sen a déclaré [10] :

For those who have the ID poor card [11], the state will intervene. But as you asked me, motorbike-taxi drivers have asked if there is any solution. [They must] sell their motorbikes first for spending and buy rice to eat, because if they all come and ask for a solution, [we are going to] die. How could the state have this much money?

Pour ceux qui sont identifiés comme pauvres  [11]sur leurs “Equity cards” (Cartes d'équité), l'État interviendra. Mais, comme vous, les chauffeurs de moto-taxi m’ont demandé s'il y avait une solution. [Ils doivent] d’abord vendre leurs motos pour acheter du riz pour se nourrir, parce que s’ils viennent tous solliciter une aide, [nous allons] mourir. Comment l'État pourrait-il posséder autant d'argent ?

Selon le président de l'IDEA, Vorn Pao, sur la base de recherches menées par son association, 50 000 tuk-tuks sont opérationnels, grâce à des applications mobiles de commande de taxi, et environ 10 000 tuk-tuks fabriqués au Cambodge circulent sur les routes.

Luy Lary, responsable marketing de l’entreprise cambodgienne de commande de taxi PassApp, a reconnu la pression ressentie par les conducteurs de la société et a déclaré que la direction réfléchissait à la façon de venir en aide aux travailleurs.

En 2019, les chauffeurs ont protesté contre la décision de PassApp de réduire les tarifs [12], et d'augmenter en même temps la commission de l’entreprise de 13 à 15 %, pour chaque trajet.

Pour Poeun Da, le chauffeur, l’échéance de paiement de son prêt de 2 000 dollars, contracté auprès de HKL, devient source d’inquiétude. Plutôt que d’attendre le soutien précaire des compagnies de commande de taxi ou du gouvernement, Poeun Da a déclaré qu’il envisageait de vendre son tuk-tuk et de chercher du travail sur un chantier de construction, ou de retourner dans une usine de vêtements.

Ce dernier secteur a vu plus de 130 usines solliciter des suspensions de production, touchant environ 100 000 travailleurs [13] au cours des derniers mois.

If the situation is still like this, we do not know what to do. If we cannot make enough money, we can only sell our tuk-tuks to cover daily expenses and bank loans. If we do not make sales, we can’t repay loans.

Si la situation continue, nous ne savons pas quoi faire. Si nous ne parvenons pas à  gagner suffisamment d'argent, nous pouvons seulement vendre nos tuk-tuks pour couvrir les dépenses quotidiennes et rembourser les prêts bancaires. Si nous ne réalisons aucune vente, nous ne pouvons pas rembourser les prêts.