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Entre conjoint violent et virus mortel : les femmes du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord face à une double menace

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Femmes et genre, Médias citoyens, Santé, COVID-19
Trois jeunes femmes iraquiennes, portant des robes et des hijabs colorés, posent pour la caméra.

Des femmes iraquiennes à Bagdad, le 4 avril 2016. Photo de David Stanley [1], sous licence CC BY 2.0 [2].

Sauf mention contraire tous les liens renvoient vers des pages en anglais.

Dans de nombreux pays à travers le monde, la violence domestique est en augmentation en raison de la pandémie du COVID-19 qui oblige les personnes à rester chez elles.

Les violences faites aux femmes ont grandement progressé pendant la période d'application des différentes mesures et lois de confinement, y compris dans les démocraties progressistes. La violence domestique a augmenté de 30 % en France [3] depuis le début du confinement, un chiffre similaire à ceux constatés en Italie, en Espagne, au Royaume-Uni, au Brésil et en Chine. [4]

Le problème reste largement ignoré en Afrique du Nord et au Moyen-Orient (région ANMO) où la violence dans les sociétés hautement patriarcales est particulièrement aiguë. Dans la région, la pandémie de COVID-19 intervient en même temps que des conflits à grande échelle, des soulèvements et des récessions économiques.

Cette situation a incité le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, à dénoncer une « horrible épidémie de violence domestique », et à demander aux gouvernements d'agir [5] de toute urgence.

Lorsque la maison devient un lieu dangereux

Les violences faites aux femmes ne sont pas un fléau récent dans la région ANMO, où les taux restent élevés [6] dans les évaluations globales de l'égalité des sexes. La violence sexuelle et sexiste est chronique et endémique. Le « partenaire intime » est le plus souvent l'auteur des violences.

Les femmes sont confrontées à un large éventail de discriminations juridiques et de normes sociales patriarcales dans les pays de la région ANMO, où leur participation à l'espace public et civique est faible : seulement 25 % des femmes font partie de la population active [7].

Désormais, l'ampleur et la gravité de ces violences ont augmenté dans toute la région car les familles sont obligées de rester confinées à la maison. En Tunisie, les violences sexistes ont été multipliées par cinq [8] [fr] depuis le début de la pandémie de COVID-19, selon Asma Shiri Laabidi, la ministre tunisienne des Femmes, des Enfants et des Personnes âgées.

Des logements surpeuplés et des conditions de vie difficiles accentuent la surveillance extrême et le contrôle au sein des familles nombreuses qui vivent dans des espaces restreints. Selon Yosra Frawes [8] [fr], la présidente de l'Association tunisienne des femmes démocrates :

Many women report feeling that they are suffocating as a result of the physical proximity to their husbands who are watching their every move.

De nombreuses femmes nous font part de leur sentiment d'étouffement dû à la proximité physique de leur mari qui surveille constamment leurs faits et gestes.

Avant le confinement, au Liban, où des soulèvements massifs [9] [fr] ont eu lieu contre la corruption et la mauvaise performance économique du pays, la violence domestique a augmenté de 20 % [10].

Au Maroc, une enquête gouvernementale de 2019 [11] [fr] a révélé que plus de la moitié des femmes avaient subi des violences, mais que seulement 7 % d'entre elles les avaient signalées. Un groupe rassemblant des organisations de défense des droits des femmes a récemment tiré la sonnette d'alarme et a envoyé une lettre [12] [fr] aux autorités avec un message clair : « La maison est le lieu le plus dangereux pour les femmes. »

La violence physique est généralement la dernière étape d'une longue chaîne qui commence par des violences verbales et peut également inclure des agressions sexuelles. Najia Tazrout, responsable de l'Anjad contre les violences sexistes, une organisation marocaine de défense des droits des femmes a déclaré [13] [ar] :

Marital rape is a taboo and women don’t talk about it. Women accept this violence because they are financially dependent on their husband who is often the only breadwinner in the family.

Le viol conjugal est tabou et les femmes n'en parlent pas. Elles acceptent cette violence car elles dépendent financièrement de leur mari qui est le seul à subvenir aux besoins de la famille.

Des réseaux de soutien perturbés

Actuellement, de nombreuses femmes se trouvent enfermées pour une période indéterminée avec leurs agresseurs. Elles ne peuvent plus se réfugier chez leurs parents en raison des restrictions imposées lors des déplacements ou par peur d'être exposées au virus. Elles deviennent de plus en plus isolées et se trouvent dans l'incapacité de contacter les réseaux de soutien et les services sociaux.

Parmi les rares institutions et organisations publiques qui viennent en aide à ces femmes, de nombreux foyers, des espaces sécurisés et des centres de santé réservés aux femmes, ont été fermés ou sont en difficulté de fonctionnement en raison de budgets limités. Les services du planning familial ont également fermé leurs portes [14]. Les tribunaux sont à l'arrêt et la police s'est surtout occupée d'appliquer les mesures de confinement dans la région.

Hend, une victime marocaine qui ne cite que son prénom, a déclaré que « les foyers ont refusé d'héberger des femmes par peur de la propagation du virus ».

Selon la directrice [10] de l’ABAAD [15], une organisation à but non lucratif qui dirige des foyers pour les femmes au Liban et qui est aussi un centre de ressources pour la parité des sexes :

With the cases that are turning up at the shelters right now, we’re seeing a violence more severe than before the financial crisis and even during the revolution. There are more death threats.

Avec les femmes qui se présentent actuellement dans nos foyers, nous assistons à une violence plus grave qu'avant la crise financière et que durant la révolution. Il y a plus de menaces de morts.

Des cas de meurtres sont aussi signalés. Selon un communiqué de l'armée libanaise [16], un homme a abattu sa mère et sa sœur dans la vallée de Beqaa le 17 avril.

Un fléau sous-estimé

Même si plusieurs rapports alarmants font état d'une recrudescence de la violence domestique, l'ampleur réelle de cette violence est probablement plus importante et reste indicible.

Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), les violences faites aux femmes [17] sont le type de violation des droits humains le plus répandu mais le moins signalé. La peur, les normes culturelles et la stigmatisation font partie des freins qui dissuadent les femmes de signaler les agressions.

Une étude récente de l’Organisation internationale pour les migrations [18] [fr] (OIM) révèle [19] que 75 % des femmes en Iraq n'osent pas porter plainte auprès de la police, craignant des violences supplémentaires et la stigmatisation culturelle.

L'absence de protection juridique contre la violence domestique et le manque de ressources empêchent les femmes de s'exprimer.

Il n'existe aucune loi [20] [pdf] au Koweït incriminant la violence domestique et sexuelle envers les femmes. En Iraq, un mari a le droit de « punir [21] » sa femme, et les parents sont autorisés à discipliner leurs enfants « dans les limites prescrites par la loi ou la coutume ».

Les droits des femmes ignorés dans la réponse à la pandémie

Les gouvernements ont imposé le confinement sans avoir prévu ou mis en place des dispositions suffisantes pour lutter contre les violences sexistes générées par ces mesures.

Alors que la violence domestique atteint des sommets dans les situations d'urgence, notamment lorsque les couples passent de longues périodes ensemble sous le même toit, les droits des femmes ne sont tout simplement pas pris en considération.

Suad Abu-Dayyeh, de l'association Equality Now, en tire la conclusion [10] que les gouvernements de la région ont « complètement occulté toutes les questions des violences faites aux femmes dans cette pandémie de coronavirus. Le manque de préparation et les retards dans la lutte contre ces violences signifient que des dommages irréparables ont été commis alors qu'ils auraient pu être évités.

La réponse genrée à la pandémie a été présentée comme un « effort de guerre [22] » [fr] dans la région, reproduisant des dynamiques de genre patriarcales.

Alors que les femmes ont été fortement mobilisées en première ligne comme personnel de santé, étant donné qu'elles représentent 70 % de l'ensemble des professionnel·le·s de ce secteur [23] selon l'OMS, elles sont également les principales proches aidantes auprès des malades.

Selon l'Organisation internationale du travail, les femmes accomplissent 76 % du total des heures de travail de soin (care) non rémunérées [24], soit trois fois plus que les hommes.

Les femmes ont été confinées à un rôle subalterne et exclues des décisions exécutives supérieures. Elles sont sous-représentées dans l'action politique. Les décideurs de la région sont en grande majorité des hommes et la représentation politique des femmes est une des plus faibles dans le monde [25] [pdf].

En réponse à la pandémie, les dirigeants masculins ont élaboré une stratégie en termes de budgets et de plans qui ne tiennent pas compte des questions relatives aux droits des femmes. Les médias reproduisent également [26] ce déséquilibre du pouvoir.

Cette pandémie de COVID-19 met à nouveau en lumière la situation désastreuse des droits des femmes dans la région et aggrave la pandémie silencieuse mais mortelle de violence domestique.