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En Afghanistan, la guerre n'épargne même pas les nouveaux-nés dans les maternités

Catégories: Asie Centrale et Caucase, Afghanistan, Droits humains, Ethnicité et racisme, Femmes et genre, Guerre/Conflit, Médias citoyens, Politique

 

"une rue de Kaboul en Afghanistan avec des hommes et un véhicule des forces de sécurité qui barre la route" [1]

Les forces de sécurité afghanes montent la garde sur le site de l'attaque contre les nouveau-nés et leurs mères à Kaboul, en Afghanistan, le 12 mai. Photo de Ezzatullah Mehrdad, utilisée avec sa permission.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndt]

Le matin du 12 mai 2020, les Afghans ont appris au réveil que deux nouveaux attentats terroristes avaient été commis. Ils se sont alors souvenu que la guerre en cours avait atteint un nouveau degré de brutalité. Cette fois-ci, même les nouveaux-nés et leurs mères n'ont pas été épargnés.

Une maternité de Kaboul, cible d'attaques

Ce jour-là, trois militants ont pris d'assaut une maternité gérée par l'ONG Médecins Sans Frontières dans le quartier de Barchi, à l'ouest de Kaboul. Global Voices a pu s'entretenir avec plusieurs témoins des événements. Parmi eux, la famille de Soraya Ibrahimi, une femme enceinte de 31 ans, qui avait été emmenée à la clinique le 11 mai à 23 heures. Soraya a donné naissance à son bébé à une heure du matin. Alors que sa famille attendait son retour, un voisin les a informés que la clinique était attaquée.

Sa famille s'est précipitée vers la clinique où les militants étaient entrés et ont commencé à tuer des bébés, dont certains n'avaient même pas vu leur mère. Son bébé a survécu, mais Soraya a été tuée [2].

« Les gardes de la clinique n'étaient pas armés et les militants sont entrés sans problème », a déclaré Habibullah Amiry, un témoin oculaire, à Global Voices. « Il a fallu 30 minutes avant que la police n'arrive sur les lieux. Ils ont continué à tuer pendant 30 minutes sans rencontrer de résistance. »

Comme beaucoup de médecins et d'infirmières connaissaient l'existence de salles sécurisées dans la clinique, ils ont pu s'échapper. Mais les nouveau-nés, les femmes enceintes et les autres patientes n'ont pas pu se protéger des balles. Trois femmes et un enfant ont été abattus dans le couloir. Sept femmes ont été tuées dans leurs lits. Deux femmes ont été abattues sur le sol de la salle d'opération. Une mère qui avait son bébé dans le bras a été abattue et une infirmière a été brûlée, selon [3] [ar] la journaliste Anisa Shaheed.

« Pourquoi n'avons-nous pas pu emmener toutes ces mères dans des chambres sécurisées ? » a écrit Wahida Mukhtar, une employée de la clinique, dans sa publication sur Facebook [4], « Ce chagrin me tuera ». Une femme  conduite dans une chambre sécurisée a accouché à l'intérieur de celle-ci alors que des militants tuaient des gens à l'extérieur.

Les militants ont échangé des coups de feu avec les forces de sécurité afghanes pendant quatre heures, laissant des centaines de personnes à l'extérieur de la clinique s'inquiéter du sort de leurs proches piégés à l'intérieur. Le Ministère de la santé afghan a indiqué [5] que 24 femmes et nouveaux-nés ont été tués lors de l'attaque.

Ils s'en prennent même aux morts dans cette escalade de la violence

Ailleurs dans la province de Nangarhar, à l'est du pays, un kamikaze a marché parmi les 500 personnes [6] qui assistaient aux funérailles d'un commandant de la police locale, Sheikh Akram. L'imam avait demandé aux gens de se mettre en rang et venait d'annoncer le début de la prière lorsque l'explosion a divisé la foule, tuant près de 30 personnes et en blessant 70 autres.

« Le corps de Sheikh Akram était proche de l'explosion », a déclaré Naeem Jan Naeem, un témoin, au New York Times. “Son cadavre a été touché après sa mort.”

L'accord entre les États-Unis et les talibans sous le feu des critiques

Ces attaques ont eu lieu dans le contexte d'un processus de paix fragile impliquant les talibans et les États-Unis qui ont signé un accord [7] le 29 février dernier, dans l'espoir de mettre fin à la guerre dans un avenir proche. Cet accord devait réduire la violence dans le pays et favoriser les négociations entre le gouvernement afghan et les talibans.

Pourtant, l'accord s'est trouvé confronté à une impasse majeure concernant la question de la libération de 5 000 prisonniers talibans. Le gouvernement afghan a refusé de libérer un si grand nombre de prisonniers et au final, seul un petit nombre a été libéré.

Malgré les appels internationaux à un cessez-le-feu humanitaire, les talibans ont continué à mener une guerre dans les zones rurales. Le gouvernement afghan a accusé [8] les talibans d'avoir commis des attaques contre l'hôpital de Kaboul et l'attentat suicide de Nangarhar. Le président Ashraf Ghani a désormais ordonné [8] aux forces afghanes d'abandonner leur « défense active » précédente et de passer à l'offensive contre les talibans.

En représailles, les talibans ont répondu dans une déclaration que le gouvernement faisait dérailler les discussions pur la paix et lui ont reproché les attaques contre l'hôpital. Les Talibans ont déclaré qu'ils étaient prêts à faire la guerre au gouvernement.

Attaques répétées contre les chiites Hazara

Comme s'interroge Deborah Lyons, resoonsable de la mission de l'ONU en Afghanistan:

Qui s'attaque aux nouveau-nés et aux nouvelles mères ? Qui fait ça ? Le plus innocent des innocents, un bébé ! Pourquoi ? La cruauté n'a pas de défenseurs au sein de l'humanité.

L'État islamique a revendiqué [6] l'attentat suicide de Nangarhar. Mais aucun groupe n'a revendiqué la responsabilité des tirs sur des mères et des nouveaux-nés dans le quartier de Barchi à Kaboul. Une zone majoritairement habitée par la communauté chiite Hazara, qui a été la cible d'attaques très médiatisées contre des civils depuis 2015, date à laquelle elle avait revendiqué la responsabilité de l'attentat.

Les attaques précédentes contre la communauté comprenaient des attentats suicides à la bombe au sein d'une mosquée, d'un centre éducatif, d'un centre sportif et d'une salle de mariage. L'attentat suicide a tué à chaque fois de nombreux civils qui s'étaient rassemblés pour célébrer, pleurer et apprendre.

« L'incident est plus que douloureux, c'est une catastrophe », indique la résidente locale Amiry à Global Voices « Nos adolescents sont massacrés dans le centre pédagogique ; on nous tue dans les salles de mariage, les mosquées ne sont plus des lieux sûrs et cette fois-ci, c'est un hôpital qui est attaqué. Nous sommes les personnes les plus démunies. Nos mains sont coupées du ciel et nos jambes sont coupées du sol. »