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Au Cameroun, l'équipe de foot d'une région minée par les conflits remporte contre toute attente son premier titre national

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Cameroun, Catastrophe naturelle/attentat, Ethnicité et racisme, Gouvernance, Guerre/Conflit, Manifestations, Médias citoyens, Santé, Sport
Photo-montage de l'équipe de football PWD représentant les portraits des 23 joueurs et le plan américain de l'entraineur déterminé David Pagou au centre. Le fond de l'image est bleu, couleur de l'équipe ; le titre : "Les champions de la Ligue 1 2020"

L’équipe camerounaise de football PWD Bamenda. Crédit: PWD Bamenda media, reproduite avec autorisation.

En 2016, le PWD Bamenda, un club de football originaire de la région nord-ouest du Cameroun, véritable zone de combat, montait en seconde division nationale, aussi appelée Elite Two.

Cette même année, des protestations [1]éclataient dans les régions nord-ouest et sud-ouest du pays, paralysant les activités footballistiques dans les deux régions anglophones. Parmi les revendications [2] exprimées par les manifestants se trouvaient l’usage de l’anglais comme langue officielle dans les tribunaux et les écoles anglophones ainsi qu'une distribution égalitaire des ressources économiques.

Les manifestations gagnèrent en violence pour aboutir à un conflit sanglant qui dure depuis près de quatre ans, opposant les forces gouvernementales, principalement francophones, aux milices séparatistes anglophones.

Durant cette période, le PWD Bamenda se positionne : il accède à la première division nationale, Elite One, et est sacré champion avant la fin d’une saison perturbée par le coronavirus [3], dont seulement quelques rencontres ont été annulées.

Le club a résisté à l’épreuve du temps – surmontant les menaces liées au coronavirus et au conflit séparatiste permanent – pour atteindre le plus haut niveau.

Au début de la saison de football qui vient de s'achever, le président du club Abunde Pascal confiait à CBS Radio qu’il souhaitait voir son équipe jouer un rôle-clé lors du championnat, ayant échappé de peu à la relégation lors de la saison précédente.

« Les objectifs de cette saison n’ont pas encore été bien définis, mais nous pensons que nous devrions jouer un rôle-clé dans le championnat cette saison. Nous ne voulons pas nous retrouver à devoir lutter pour éviter la relégation, comme ce fut le cas l’an passé, » déclarait M. Pascal en octobre 2019.

Le PWD Bamenda se remettait à peine de la relégation de la saison précédente, lors de laquelle l’ancien entraîneur, Augustin Choupo, avait été kidnappé ; les soupçons se portant sur des séparatistes anglophones [4]. Le club a également dû faire face à des menaces répétées alors qu’il recevait d’autres équipes à domicile, à Bamenda, chef-lieu de la région nord-ouest.

« Il y avait des négociations permanentes avec les forces de sécurité pour protéger le terrain de l’équipe, » explique Kouamo Arnold, un journaliste de Bamenda couvrant les activités du club, lors d’un entretien avec Global Voices le 16 mai 2020. « L’équipe compte des joueurs francophones, et la plupart d’entre eux craignaient de se faire kidnapper lors de leur séjour dans le nord-ouest étant donné que l’entraîneur précédent Augustin Choupo avait été enlevé. »

L’équipe a subi une série de défaites en début de saison 2020 et s’est rapprochée de la relégation, mais elle s’est ressaisie avant la clôture de la première poule – amassant 29 points [5] et finissant en seconde place.

« Beaucoup ont critiqué le plan de jeu en 3-5-2 de l’entraîneur [David] Pagou [le nouvel entraîneur]. Mais il a pris le risque, s'éloignant de la philosophie de l’entraîneur précédent, et ça a commencé à payer, » ajoute Kouamo Arnold.

Le PWD s'est peu à peu hissé en deuxième position avec 40 points après avoir battu 1 à 0 le club légendaire Tonnere Kalara lors d’une rencontre à la 24ème journée. Le club avait perdu des points au cours de quelques matchs du début de la seconde poule dans leur quête initiale pour s’assurer de leur maintien en première division.

« L’idée de remporter le championnat n’avait jamais vraiment effleuré l’esprit du club », indique Giovanni Wanneh, journaliste footballistique au Cameroun, au cours d’une entrevue avec Global Voices. D’après lui, le tournant décisif pour le PWD a eu lieu lors de la 28ème journée, avec une victoire déterminante qui les a propulsés au sommet de la ligue.

« Remporter une victoire contre l’Union Sportive de Douala a fait comprendre à l’équipe et à ses supporters qu’ils pouvaient vraiment gagner la ligue. Les supporters ont commencé à pousser », analyse Giovanni Wanneh.

Cette victoire a mené l’équipe au sommet [6] de la ligue Elite One avec un score de 47 points – à un point des géants camerounais du Coton Sport, qui avaient malheureusement fait match nul contre leurs adversaires. Une victoire aurait permis au Coton Sport d'accéder à la première place ; mais les choses en sont restées là et le championnat fut suspendu en mars à cause du coronavirus.

Le Cameroun est l'un des pays de la région ayant recensé le plus grand nombre [7] de cas de coronavirus sur cette période.

La Fédération Camerounaise de Football (Fecafoot) en charge de la ligue a fini par clôturer le championnat et a déclaré le PWD vainqueur à six jours de la fin du championnat.

L’équipe, qui fut fondée il y a 58 ans à l’époque du Cameroun britannique [8], va désormais représenter la Cameroun lors de la Ligue des Champions de la CAF [Confédération Africaine de Football] – une grande première pour eux.

« Nous sommes très heureux parce que jouer dans cette partie du pays [région nord-ouest] n’est pas facile, avec les difficultés que vous connaissez [crise anglophone], » explique Abunde Pascal, président du PWD Bamenda lors d’un entretien avec Global Voices, le 16 mai 2020.

Le journaliste Afeseh Apong, qui a suivi l’équipe sur le terrain durant toute la saison, confirme.

«Un match était prévu à Bamenda et les Dragons de Yaoundé – l’équipe adverse – se sont rendus sur le terrain avant nous. De présumés combattants séparatistes les ont arrêtés à l’entrée du stade. Les joueurs ont été traumatisés et ne voulaient pas jouer le match. Il a fallu recourir à beaucoup d’efforts pour les convaincre de jouer, » explique-t-il à Global Voices le 17 mai.

« Avec tous ces facteurs défavorables, je pense que le PWD a déjoué tous les pronostics. »