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Hong Kong révèle les intentions de la cité pour l'édification d'une « vérité » orwellienne

Catégories: Asie de l'Est, Chine, Hong Kong (Chine), Droit, Droits humains, Liberté d'expression, Manifestations, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique
Au centre du poster "La vérité sur Hong Kong". Ce panneau est entouré d'images d'incendies, de pauvreté et de répression policière. [1]

Toile de fond de la conférence de presse du gouvernement de Hong-Kong dans le rapport du Conseil indépendant pour les plaintes contre la police de Hong Kong (IPCC). Image provenant de Twitter par la reporter de la RTHK Yvonne Tong.

Tous les liens de cet article renvoient vers des pages en anglais.

Le Conseil indépendant pour les plaintes contre la police de Hong Kong (en anglais, IPCC), une organisation nommée par le gouvernement sans pouvoir d'investigation pour faire comparaître les témoins, a publié [2] [pdf] le 15 mai son rapport sur les plaintes du public contre la police pendant les manifestations qui se sont déroulées dans la cité depuis juin dernier. Le rapport de 999 pages conclut que les policiers ont agi de manière générale conformément aux directives données, mais que les choses « pouvaient être encore améliorées ».

Clifford Stott, un expert britannique des études sur les émeutes qui a quitté le panel d'experts étranger du IPCC en décembre dernier, a suggéré que la toile de fond de la conférence de presse au cours de laquelle le rapport a été partagé, faisait partie d'un objectif plus vaste, visant la transmission d'un message particulier :

Il semblerait que la publication du rapport de l'IPCC fasse partie d'un spectre plus large d'annonces coordonnées conçues pour présenter la nouvelle « vérité ».

[image] Une photo de George Orwell, accompagnée d'une citation de l'écrivain : « Plus une société s'éloigne de la vérité, plus elle haïra les personnes qui la proclament. »

Des manifestations de grande envergure [6] ont éclaté en juin 2019, exigeant que le gouvernement de Hong Kong retire un projet de loi sur l'extradition permettant le transfert de fugitifs vers la Chine continentale. Le gouvernement a refusé de renoncer à ce projet de loi, même après la prise d'assaut des rues par des millions de manifestant·e·s le 9 juin. Trois jours après, des milliers de personnes ont bloqué les rues [7] [fr] autour du Conseil législatif et la police anti-émeutes a tiré des munitions de gaz lacrymogène sur les manifestant·e·s pacifiques.

La répression policière a conduit à des protestations massives le 16 juin, avec deux millions de personnes [8] [fr] appelant à la démission de la Cheffe de l'exécutif Carrie Lam et réclamant la suppression du terme « émeute » qui avait été accolé aux manifestations du 12 juin.

L'ajournement du retrait du projet de loi a conduit à de multiples séries d'affrontements entre la police et les manifestant·evs. Parmi les appels à la démocratie, l'ouverture d'une enquête indépendante sur l'usage de la force par la police a émergé comme une revendication essentielle.

« Une exonération choquante »

Cependant, le gouvernement a refusé de mettre en place un corps d'investigation indépendant, insistant plutôt pour que l'inoffensif IPCC examine le comportement de la police. Toutes les informations reçues par l'IPCC proviennent des forces de police. Finalement, Carrie Lam a accepté de nommer une équipe d'experts étrangers pour assister l'IPCC dans son analyse.

Dans leur rapport d'avancement [9] de décembre dernier, ces expert·e·s ont jugé qu'« il y avait un déficit crucial et évident en ce qui concerne les pouvoirs, la capacité et les possibilités de recherches indépendantes dont dispose l'IPCC ». Peu après, l'équipe a été dissoute.

Le rapport actuel n'aborde aucun cas individuel de violences policières. Il rappelle plutôt la réponse de la police dans six incidents majeurs de manifestation, notamment l'attaque de la foule de Yuen Long le 21 juillet [10] [fr], au cours de laquelle des manifestant·e·s et des passagers du métro ont été roué·e·s de coups par un groupe pro-Beijing. Il n'y avait aucune présence policière à l'extérieur de la station de métro où le groupe, armé de de bâtons, s'était rassemblé, poussant le grand public à croire à une connivence.

Le rapport de l'IPCC admet [11] qu'il y a eu « des défaillances dans le déploiement de la police et d'autres interventions policières en réponse aux événements », mais souligne qu'il n'y avait aucune preuve de collusion avec des criminels « malgré tous nos meilleurs efforts de recherche de sources accessibles au public ». Il a ajouté que la perception publique de la police était fondée sur un « malentendu ».

Les forces de police de Hong Kong ont accusé les médias de créer de fausses idées au sujet des forces de police. En mars, le commissaire de police Chris Tang a porté plainte [12] devant l'Autorité des communications contre le programme satyrique « Headliner » de la Radio-Télévision de Hong Kong (RTHK), affirmant qu'il contribuait à saper le travail de la police et à éroder le maintien de l'ordre public.

La société de diffusion publique a fait face à des pressions importantes après son enquête [13] sur l'attaque de la foule de Yuen Long établissant que la police locale avait eu connaissance de ces actes de violence, mais n'était pas intervenue. Énumérant les incidents les uns après les autres, le rapport de l'IPCC donne 52 recommandations, dont la majorité concerne l'amélioration des relations publiques de la police, des équipements et des effectifs.

Benedict Rogers, de l'organisation londonienne Hong Kong Watch (l'Observatoire de Hong Kong), a critiqué [14] le rapport en le qualifiant de « blanchiment » et a appelé à une intervention internationale plus importante :

The Independent Police Complaints Council’s report is a shocking whitewash which shows that there is no viable mechanism in Hong Kong to ensure accountability either for police brutality or police complicity with violence by criminal thugs. With rights groups reporting incidents of torture in detention and routine excessive use of force, it is now time for the international community to establish an independent inquiry, to hold the perpetrators of violations of human rights in Hong Kong to account. The introduction of targeted Magnitsky sanctions on those responsible for such violations should then be considered.

Le rapport du Conseil indépendant des plaintes contre la police peut être considéré comme un blanchiment choquant, qui révèle le déficit de mécanisme viable à Hong-Kong pour garantir la prise de responsabilité face aux violences policières ou à une complicité policière avec des actes de violence de voyous criminels. Après les signalements des groupes de défense concernant des actes de torture en détention ainsi que l'usage courant et excessif de la force, la communauté internationale doit maintenant établir une enquête indépendante, afin que les auteurs d'atteintes aux droits humains à Hong Kong puissent rendre compte de leurs actes. Il faudrait ensuite envisager l'introduction de sanctions ciblées selon les lois Magnitsky contre les responsables de telles atteintes.

Les lois Magnisky [15] [fr] permettent d'imposer des sanctions aux auteurs d'atteintes aux droits humains.

La législatrice pro-démocrate Claudia Mo a également vertement critiqué [14] le rapport :

The report is not just superficial. It’s hollow. It has recollected some government information services handout. It’s all part of the establishment speak. It’s [the] Ministry of Truth à la George Orwell’s 1984.

Le rapport n'est pas seulement superficiel, il est également creux. Il a rassemblé quelques feuillets des services d'information du gouvernement. Tout ça s'inscrit dans le discours institutionnel. C'est [le] ministère de la Vérité à la manière de 1984 de George Orwell.

En effet, la question de la « vérité » est politiquement significative : le rapport reproche à des informations en ligne de détruire l'image de la police, ouvrant la voie à la répression de la liberté d'expression :

[Many complaints are] blatant propaganda with little or no factual basis, aimed at smearing the Police Force and impeding police officers from performing their duty to maintain law and order.

[Beaucoup de plaintes sont] de la propagande évidente avec peu voire aucune base factuelle, visant à dénigrer les forces de police et à gêner les policiers dans leurs missions de maintien de l'ordre public.

« La vérité sur Hong Kong »

En se tenant devant la toile de fond de la conférence de presse qui proclame « La vérité au sujet de Hong Kong », Carrie Lam a annoncé que la police pourrait obtenir des pouvoirs étendus pour surveiller les réseaux sociaux, et lutter contre « les informations fausses et malveillantes » ainsi que les « rumeurs ». [16] À cette suggestion, Clifford Scott s'est exclamé :

Je suis sans voix !

En amont de la publication du rapport de l'IPCC, des groupes politiques pro-Beijing ont lancé deux campagnes de plaidoyer pour restreindre la liberté de la presse et la liberté d'information de la cité.

En mai 2013, l'Alliance démocratique pour l'amélioration et le progrès de Hong Kong, le plus grand parti politique de Hong Kong, a publié des études indiquant que 70,9 % et 61,6 % des personnes interrogées pensaient, respectivement, que la jeunesse était invitée par les « fausses informations » et par des leaders d'opinion à commettre des délits, notamment des manifestations violentes, et de ce fait préconisaient [19] [zh] vivement l'adoption d'une législation contre la diffusion de la désinformation en ligne.

Le 14 mai, Civic Force, un groupe de la société civile aux positions pro-gouvernementales, a organisé une manifestation devant l’Association des journalistes de Hong Kong [20], demandant la mise en œuvre d'un système de licence délivrée par le gouvernement pour l'exercice du journalisme [21] [zh].

La loi sur les rumeurs en ligne et le système de licence pour les journalistes sont déjà en place en Chine continentale. La nouvelle « vérité » à Hong Kong est en train de s'aligner sur le principe de « un pays » [22] [fr] [au lieu de « un pays, deux systèmes », ndt].