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La profanation de trois sites religieux témoigne de l'oppression persistante des minorités en Iran

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Iran, Droits humains, Histoire, Manifestations, Médias citoyens, Religion
L'intérieur du tombeau d'Esther, éclairé par un chandelier. Deux tombes sont recouvertes d'un drap. Sur le mur de gauche, on peut lire des inscriptions en hébreu.

Intérieur du tombeau d'Esther. Photo de Pooyan Tamimi Arab, utilisée avec permission.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt]

La profanation de trois sites religieux en Iran, en l'espace de moins d'une semaine, est un rappel cinglant des conditions d'insécurité dans lesquelles vivent les minorités religieuses iraniennes depuis la révolution islamique.

Le 15 mai, une tentative d'attaque sur le tombeau d'Esther et Mordechai [1] à Hamadan, haut lieu de pèlerinage pour les Juifs d'Iran, a été suivie [2], quelques jours plus tard, par un incendie dans un cimetière chrétien à Eslamshahr [3], au sud de Téhéran, et par un autre incendie dans un temple hindou à Bandar Abbas [4] [fa].

Les autorités d'Eslamshahr ont reproché au gardien du cimetière d'avoir brûlé de l'herbe. L'incendie du temple hindou a été jugé involontaire.

Les menaces proférées par des membres de [5]Basij [5], un groupe étudiant militant de Hamadan, qui affirment vouloir détruire la tombe d'Esther et de Mardochée, pour se venger d'Israël et de Washington, ont fait la une des journaux et déclenché des réactions [2] de la part de plusieurs organisations juives ainsi que du gouvernement américain.

Ce tombeau – censé abriter les reliques de la reine juive Esther [6] [fr], épouse de l'ancien roi achéménide Xerxès, et celles de son cousin Mardochée – est aussi un site protégé appartenant au patrimoine culturel iranien.

Le journaliste iranien Farzane Ebrahimzad a tweeté que, selon une source locale, un individu aurait jeté un objet sur la tombe. Les autorités iraniennes ont confirmé la présence de « dégâts mineurs » résultant d'un incendie sur le site.

Depuis la révolution islamique de 1979, les symboles, les lieux de culte, les cimetières et autres édifices appartenant à des minorités religieuses, ont été la cible d'attaques perpétrées par des individus non identifiés et des représentants officiels.

Pressions systématiques, gommage des identités

Mansour Borji, directeur exécutif d’Article 18 [7], une importante organisation de défense des chrétiens basée à Londres, a confié à Global Voices que :

“The elimination of Persian-speaking churches has not always been violent, but more often than not this elimination has been accompanied by a gradual and systematic approach. Forcing churches to accept new members, drying up their financial resources, limiting the days of meetings, forcing leaders to exile or threatening them to send to jail….there are pieces that are put together to rot the official churches, and finally, by removing their identity marks (such as the church and their tombs [8] and other properties).”

La disparition des églises persanophones n'a pas toujours été violente : ce processus s'est le plus souvent accompagné d'une approche graduelle et méthodique. Contraindre les églises à accepter de nouveaux membres, tarir leurs ressources financières, restreindre les jours de réunion, obliger les leaders à s'exiler ou encore les menacer de prison…. On assemble des éléments afin de détruire à petit feu les églises officielles, avant d'éliminer leurs symboles d'identité (comme l'église et ses tombeaux [8] et autres biens).

Pooyan Tamimi Arab, professeur adjoint en sciences religieuses à l'université d'Utrecht aux Pays-Bas, a témoigné à Global Voices de sa visite sur le tombeau d'Esther et de Mardochée :

“I have been there myself several years ago, and already then a closed atmosphere surrounded the gated building. The person present at the time was clearly nervous when showing me around, asking not to be filmed, and avoiding sensitive topics. While the Islamic Republic may honor its Jewish citizens on occasion, this does not mean that Jews are not discriminated against in Iran or that anti-semitic tropes are not rampant as they have been for decades. The list goes on, attacks against Dervishes and persecution of Christian converts, which leads to a steady flow of religious minorities fleeing Iran to countries like the Netherlands, where I live.”

J'y suis moi-même allé il y a plusieurs années et, déjà à l'époque, une ambiance particulière enveloppait le bâtiment clôturé. La personne présente sur les lieux à l'époque était manifestement stressée à l'idée de me faire visiter les lieux, me demandant de ne pas être filmée et éludant les sujets sensibles. Si la République islamique honore occasionnellement ses citoyens juifs, cela ne signifie pas pour autant que les personnes juives ne sont pas discriminées en Iran ou que les préjugés antisémites ne sont plus monnaie courante comme cela a été le cas pendant des décennies. Et la liste est encore longue : attaques contre les derviches et persécution des chrétiens convertis, conduisant à une fuite constante des minorités religieuses de l'Iran vers des pays comme les Pays-Bas, où je réside.

Discours de haine

Depuis 40 ans, les agressions contre les minorités religieuses en Iran sont le pendant des discours de haine des autorités et des médias, allant du déni de l'Holocauste [9] jusqu'à la diffamation des Baháʼís [10], des chrétiens  [11]convertis [11] [fa] et même des musulmans sunnites [12] [fa].

Au sujet de l'impact de ces actions, Pooyan Tamimi Arab a déclaré :

“[that] there is an impact should be without any doubt. Those who attack a Jewish mausoleum may feel emboldened by anti-semitic discourses. In other instances, when the state resorts to using concepts such as “superstition” (khurafat) to describe other minorities’ practices, this may give license to discrimination. In the anthropology of religion, we know of such cases, for example when white Americans designated native American dances as “superstitious”, this could be used to argue that that practice was not properly religious and hence did not fall under constitutional freedom of religion. In Iran, which does not even formally recognize all religions as equal, hate speech against religious minorities should thus be considered as having great potential for violence.”

Il ne devrait faire aucun doute que cela a un impact. Quiconque attaque un mausolée juif pourrait se sentir conforté par des discours antisémites. Dans d'autres cas, lorsque l'État a recours à des concepts tels que la “superstition” (khurafat) pour qualifier les pratiques d'autres minorités, cela peut donner lieu à une discrimination. En anthropologie de la religion, de tels cas sont connus. Par exemple, lorsque des Américains blancs désignent des danses des peuples américains autochtones comme “superstitieuses”, cela pourrait être avancé comme argument pour faire valoir que cette pratique n'est pas proprement religieuse et ne relève donc pas de la liberté constitutionnelle de religion. Ainsi, en Iran, où toutes les religions ne sont même pas officiellement reconnues comme égales, les discours de haine contre les minorités religieuses doivent par conséquent être considérés comme ayant un grand potentiel de violence.

Récemment, l'ayatollah Ali Khamenei, chef suprême de l'Iran, a soulevé l'indignation en publiant une affiche anti-israélienne [13] comportant le message suivant : « La Palestine sera libre. La solution finale : la résistance est un référendum. »  Le terme « solution finale » a été utilisé par le régime nazi pour désigner le génocide du peuple juif  pendant l'Holocauste.

Au-delà des attaques de bâtiments

Par ailleurs, les pressions exercées sur les minorités religieuses se sont traduites par la persécution d'individus soupçonné·e·s de promouvoir la « propagande contre la République islamique » ou d'« appartenir à des groupes hostiles », des actes dénoncés [14] par des organisations internationales telles que les Nations unies.

Ces reproches n'ont cependant eu que peu de retombées et les autorités iraniennes ont poursuivi, voire intensifié, la discrimination à l'encontre des minorités religieuses.

La modification récente des formulaires de demande de carte d'identité [15] [fr] illustre bien cette situation. Selon Pooyan Tamimi Arab :

 “the pressure on Baháʼís has increased because the option of “other religions” than the officially recognized is no longer there. We know from other countries like Egypt, which also does not recognize the Baháʼí religion on ID cards, that such illiberal bureaucratic policies can have grave consequences for people’s status as citizens and for their everyday lives.”

La pression sur les Baháʼís s'est renforcée parce que l'option “autres religions” que la religion officiellement reconnue a disparu. D'autres pays, comme l'Égypte, qui ne reconnaissent pas non plus la religion baháʼí sur les cartes d'identité, nous apprennent que ce type de mesures administratives intolérantes sont susceptibles de provoquer de graves conséquences sur le statut [des minorités] au regard de la citoyenneté et sur leur vie quotidienne.