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Népal : Un jeune homme “intouchable” amoureux d'une jeune fille de caste supérieure lapidé avec cinq de ses amis

Catégories: Asie du Sud, Népal, Droits humains, Gouvernance, Manifestations, Médias citoyens, Politique
Deux jeunes enfants, une fille et un garçon, souriants et entourés par d'autres enfants, juste derrière eux. Ils se trouvent dans une salle de classe aux murs bleu turquoise. [1]

Enfants à Shikharpur, Népal. Photo par Linus Mak [1], sous licence CC BY-NC-ND 2.0 [2].

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt]

Au Népal, en dépit du multiculturalisme du pays, les communautés minoritaires, désignées sous le nom de Dalits [3] [fr] ou d’intouchables [4], font souvent l'objet de diverses formes de discrimination, allant des discours de haine et des insultes au viol [5] [pdf] et au meurtre [6].

Tout récemment, le 24 mai, deux garçons Dalits, Nawaraj Bishwakarama (BK) et Tika Ram Sunar, ont été retrouvés morts [7] sur les rives de la rivière Bheri dans le district de Jajarkot [8], au sud du Népal. Les corps de Ganesh Budha, Sandip BK et Lokendra Sunar ont été retrouvés [9] plus tard et un autre jeune, Govinda Shahi, est toujours porté disparu. Une histoire d'amour inter-castes est à l’origine [10] de leur mort tragique [11].

Un amour sans lendemain

Originaire de Jajarkot, Nawaraj Bishwakarama, 21 ans [12], passionné de sport et aspirant à intégrer les forces de police, est né dans une famille Dalit. Il est tombé amoureux [13] de Sushma Malla, une jeune fille de 17 ans issue d'une caste supérieure. Lorsque la famille de la jeune fille a découvert leur liaison, Nawaraj Bishwakarama et ses proches ont reçu de nombreux avertissements les enjoignant de se tenir à l'écart de Sushma Malla et, le jeune homme a fait l'objet d'un signalement à la police.

La famille de la jeune fille souhaitant [14] la marier avec un membre de sa propre caste, elle aurait demandé à Nawaraj Bishwakarama de lui venir en aide avant qu'ils n'agissent. La nuit du 23 mai, il s'est dirigé avec 18 amis [12] vers le village de Soti, dans le district de Rukum, où résidait son amoureuse, afin de s'échapper avec elle. Dès leur arrivée, ils ont été poursuivis, lapidés et battus [10]. Dans un réflexe de survie, certains d'entre eux ont sauté dans la rivière voisine et ont pu s'échapper. Cependant, Nawaraj et cinq de ses amis n'ont pas survécu à leur chute. Cinq corps ont été récupérés à ce jour, un est toujours porté disparu et plusieurs autres membres du groupe ont été livrés à la police avant d'être relâchés [15].

Un rescapé s'est confié aux médias [16] :

Nawaraj was badly beaten up by the crowd. All his body parts, including his head, were seriously injured. He wasn't able to move and he was thrown into the river, he was not in a condition to even swim [so he] could survive.

La foule a violemment battu Nawaraj. Il était grièvement blessé sur toutes les parties du corps ainsi qu'à la tête. Il ne pouvait pas bouger et il a été jeté dans la rivière, incapable de nager pour survivre.

La police a arrêté [12] le père de Sushma, Dambar Bahadur Malla, qui est responsable de la municipalité locale, ainsi que quinze autres personnes en lien avec les faits.

Des protestations autour des meurtres

Plusieurs associations de défense des droits humains et des dirigeants Dalits ont exercé des pressions sur le gouvernement afin qu'une action immédiate soit engagée dans cette affaire et que justice soit rendue aux familles des victimes [17] (vidéo en népalais, sans sous-titrage) :

Si des protestations [18] et des débats sont en cours dans différentes régions du pays, nombreux sont ceux qui, comme tant d'autres dans le passé, redoutent [19] que cette affaire ne tombe bientôt dans l'oubli. Un utilisateur de Twitter a expliqué :

Ce qui s'est passé à Rukum est un crime odieux. Les déclarations de deux amis, ayant fui avec Nawaraj BK et ainsi échappé à la foule [afin] de sauver leur vie, sont bouleversantes. En écoutant ses amis, on comprend aisément que Nawaraj a été assassiné parce qu'il était un Dalit. Les vies de Nawaraj et de ses amis ne seront pas restituées par le biais d'une quelconque logique ou rumeur.

Une pénalisation des discriminations qui reste théorique

La discrimination fondée sur la caste reste un fléau [4] dans la société népalaise car les Dalits sont constamment victimes de préjugés sociaux et de violences.

Ainsi, le 23 mai 2020, au lendemain de son mariage forcé avec son violeur de caste supérieure, une fillette Dalit de 12 ans, originaire du quartier ouest de Rupandehi, a été découverte pendue à un arbre. Les enquêtes préliminaires de la police laissent penser [22] qu'elle a été violée et assassinée.

Au Népal, chaque année, on recense de nombreux cas [23] de mariages inter-castes [24]. En 2016, par exemple, Ajit Mijar, 18 ans [25], a épousé sa petite amie Kalpana Parajuli, issue d'une caste supérieure. Cinq jours plus tard, son corps a été retrouvé pendu. Quand sa famille est arrivée sur les lieux, la police avait déjà enterré le jeune homme et, sans avoir mené d'enquête, a conclu à un suicide.

En vertu de l’article 18 [26] de la Constitution du Népal, la discrimination basée sur la caste est criminalisée – mais si le pays s'est affiché comme une nation libre de toute forme d'« intouchabilité » en 2006, la loi n'est entrée en vigueur qu'en 2011 et n'est pas appliquée. La plupart des cas de discrimination liée à la caste sont étouffés [19], la police néglige souvent d'enquêter sur les signalements de violence à l'encontre des Dalits et les coupables ne sont souvent pas inquiété·e·s ou restent impuni·e·s.

Le journaliste Ajay Das a tweeté :

De grands intellectuel·le·s estimant que la radiation du mot “Dalit” de la constitution supprimera la discrimination elle-même, soutiennent que la disparition du mot “pauvreté” dans le vocabulaire fera également tomber la pauvreté et engendrera la prospérité.

Shiwani Neupane, entrepreneuse, a lancé aux médias le défi de ne pas fuir leur responsabilité :

Je souhaite que les médias népalais poursuivent l'histoire du lynchage de garçons Dalits innocents au Népal aussi longtemps que la justice ne sera pas rendue. Aucune place ne peut être laissée à l'impunité et ceci devrait être bien compris de tous. J'implore les médias de ne pas mettre cette affaire entre parenthèses pour passer au prochain cycle d'information. S'il vous plaît.

Un changement culturel

Au Népal, les Dalits demeurent l’un des groupes les plus déshérités [31], incitant l'entrepreneuse sociale et militante des droits humains [32], Bishnu Maya Pariyar [33], elle-même issue d'une famille de basse caste, à revenir au Népal et à produire un documentaire, Untouchable [34] (Intouchables), consacré à la discrimination à laquelle elle a été confrontée pendant son enfance (vidéo en anglais, avec sous-titrage en anglais) :

Selon le principe des castes, les Brahmanes [35] [fr] (prêtres) sont en haut de l'échelle, suivis des Kshatriya [36] [fr] (guerriers et princes), des Vaishya [37] [fr] (agriculteurs et artisans) et des Shudra [38] (cordonniers, tailleurs, métallurgistes et serviteurs). Un cinquième groupe, les varna [39], catégorise les individus jugés entièrement extérieurs à son champ d'application, parmi lesquels les populations « tribales » et les intouchables tels que les Dalits.

Selon un recensement exhaustif en 2011 [40], les Dalits constituaient 13,6 % de la population totale (environ 3,6 millions de personnes), cependant, à en croire certain·e·s chercheur·e·s, cette proportion pourrait être plus élevée. Le recensement est réalisé tous les dix ans au Népal et le gouvernement procède [40] actuellement à la collecte de nouvelles données.

La structure des castes est une composante essentielle [41] du paysage social, économique et politique du Népal. La majorité des membres des castes supérieures exercent des fonctions de direction, alors que les Dalits se voient freiné·e·s économiquement, socialement, culturellement et politiquement. Dans certaines régions du Népal, les Dalits ne peuvent toujours pas utiliser les robinets publics [42] [pdf], ni fréquenter les temples ou les commerces.

Si ces violences – allant de l'exclusion sociale au meurtre – persistent à l'échelle nationale, elles sont habituellement plus fortement ressenties dans les régions conservatrices comme l'ouest du Népal, quoique les préjugés sous-jacents s'expriment de manière plus subtile dans les villes.